La laïcité fait aujourd'hui un retour en force, cette fois-ci dirigée contre l'islam (mais, ne nous y trompons pas : les cathos en font les frais également). Ça marche bien, car l'islam fait peur, si j'en crois les courriels qui circulent en boucle sur le Net, et les articles menaçants dans toutes sortes de revues virtuelles (à Dijon, il y a quelques semaines, la venue d'un candidat aux présidentielles parfaitement inconnu a été abondamment médiatisée, et la Gazette locale n'a rencontré que des gens qui l'ont trouvé formidable).
Il suffit pourtant de sortir un peu de chez soi et de rencontrer des musulmans, ici ou ailleurs, pour comprendre que tous n'ont qu'une envie : accéder à notre mode de vie. En Algérie, au Maroc, la jeunesse ne regarde que les chaines de télévision occidentales, et Internet est pour elle une porte ouverte sur ce monde qui leur reste interdit. La peur de l'islam nous a fait rater les révolutions de Tunisie et d'Égypte, en soutenant des régimes corrompus qui se sont effondrés comme des châteaux de cartes. Elle pourrait bien nous faire rater notre propre révolution, car elle nous expose à des risques plus grands encore : à force de vouloir nous recroqueviller sur notre identité, nous risquons de perdre notre âme. Nous ne pouvons pas être le pays qui, d'un côté, se méfie de l'Islam ; et, de l'autre, se refuse à reconnaître l'importance du christianisme dans sa propre identité.
Quelques lignes, pour finir : elles sont écrites par un religieux catholique égyptien, auquel je préfère laisser le bénéfice de l'anonymat, et donnent une idée de l'atmosphère qui prévaut aujourd'hui en Égypte :
Folle ambiance : nous montons dans un microbus, dont le toit se peuple d’autant de monde que les sièges intérieurs. Pas de police dans la rue : des jeunes règlent la circulation. Plus on approche de Tahrir, plus la foule devient dense ; nous finissons à pied. Et nous nous retrouvons dans la foule de la fameuse place, qui exulte, crie des slogans, chante des chants patriotiques, danse, s’embrasse, agite des drapeaux. Très peu de signes islamiques : un petit groupe lance des « Allah-o Akbar », quelques Frères musulmans font une prière assez ostentatoire, mais ils ne sont qu’un élément parmi d’autres, dans la foule. Plus frappants sont les jeunes qui se tiennent par le bras, l’un, musulman, brandissant un Coran, l’autre, chrétien, arborant une croix. Des écriteaux aussi affichent la croix et le croissant, affirmant que « Nous sommes tous Égyptiens ». Nous marchons en enjambant les barricades qui ont protégé les manifestants les premiers jours. Nous croisons ici ou là quelques étrangers venus se joindre à la joie des Égyptiens. Les soldats sont sur leurs chars, se laissent photographier avec les gens. Bientôt des feux d’artifice éclatent. Nous retrouvons deux amis, étudiants en théologie à Sakakini, qui, comme notre frère, ont participé aux manifestations dès le début. Grandes embrassades, émues : ils ont gagné, et sans aucun recours à la violence ! C’est bien l’aspect le plus frappant de cette révolution : pas une balle n’a été tirée, ni par l’armée ni par les manifestants. Seule la police s’est déshonorée, les premiers jours, par une série de bavures ordonnées par le ministre de l’intérieur (ou son patron ?), lequel sera certainement traduit en justice. Un petit carré, sur la place, est réservé aux photos d’une trentaine de jeunes « martyrs » de la révolution, qu’on regarde un moment, avec émotion. Oui, une révolution arabe non-violente ! Voilà qui réhabilite l’image de l’Arabe, dans le monde, et qui restera inscrit dans l’Histoire.