jeudi 29 novembre 2007

12 novembre 2007

Visite de l’école en compagnie du curé. De pauvres maisons, des enfants dont certains (les plus petits) n’ont pas de table pour écrire… En première année (les débutants), il n’y a même plus d’escalier pour entrer dans la maison, il faut donc se livrer à des acrobaties pour pénétrer dans la salle de cours. A chaque fois que j’entre dans une classe, les enfants se lèvent et disent avec un bel ensemble : « Bonjour monsieur l’abbé Emmanuel Pic ».

Vient le temps des adieux, ce qui signifie aussi le défilé des séminaristes pour me faire un dernier brin de causette et me confier les précieuses missives en partance pour l’Europe. Ceux qui ont des correspondants à Dijon me laissent également les cadeaux qu’ils leur ont préparé : miel, poisson séché…

Après les séminaristes, le village. Comme il me reste un tas de stylos et du papier, j’apporte tout cela aux enfants qui en font leurs choux gras. L’impayable Dido trouve le moyen de me demander si pendant que j’y étais je ne pouvais pas apporter aussi de la viande. Il m’entraîne ensuite avec son copain Rodolphe vers l’école, conscients que c’est plutôt à cet endroit que devraient servir les stylos…

Enfin, le soir, c’est bière avec les confrères, et avant l’extinction des feux les dernières visites des séminaristes, qui viennent me veiller comme si je partais pour le front.

mercredi 28 novembre 2007

11 novembre 2007




Après la messe à la paroisse, qui a déclenché une véritable émeute chez les enfants présents (ils voulaient tous se faire photographier), j’ai pris une bière avec le curé, ce qui nous a donné l’occasion de refaire l’Eglise et le monde. Sur le chemin du retour, j’ai retrouvé mon petit copain Dido, qui était là avec sa maman (il n’a pas de papa ou quasiment), et son petit frère qu’elle porte évidemment dans son dos. Dido veut que je l’emmène en France, et prétend que sa maman est d’accord. Il tiendrait facilement dans ma valise, mais je crains qu’il ne se fasse repérer lors de l’enregistrement des bagages.

L’après-midi, pendant le match de foot qui a opposé théologiens et philosophes (1-0 pour les théologiens), j’ai beaucoup parlé avec sœur Cyprienne, qui est l’hôte du séminaire. Elle collabore avec Hippolyte, un des profs d’ici, dans un projet peu banal : une école à Kinshasa, de la maternelle au secondaire en passant par des formations professionnelles (informatique, menuiserie…). Ils ont construit un très beau bâtiment de quatre étages presque de leurs propres mains (j’exagère à peine). Ils ont du mal à trouver des enseignants… Quand je pense à tous les jeunes d’ici qui rêvent de passer un an à l’étranger et ne savent pas comment faire ni où aller !

Dommage qu'il faille parler allemand pour lire leur site web...

mardi 27 novembre 2007

Le rap des trois jeunes gens



Le rap de Shedrak, Meshak et Abed Nego
Les trois enfants dans la fournaise

10 novembre 2007






Journée de vacances… J’en profite pour remettre à jour mes notes en vue du cours de février au CUCDB.

L’après-midi, départ pour Kisantu avec les abbés Alexandre et Donatien. Jolie petite ville, kisantu, enfin jolie à l’africaine : pas très propre, pas ordonnée du tout, pleine d’odeurs, pleine de gens, pleine de couleurs et de bruits. Après un petit tour à la radio diocésaine, nous rendons les visites réglementaires aux sœurs (la visite est l’occupation principale de l’Africain en congé). Puis passons un excellent moment dans une famille amie d’Alex ; j’en profite pour écouler deux petites voitures qui font la joie des enfants de la maison, prénommés Shedrak, Misak, Abed-Nego et Alexandre.

Fin de journée à l’évêché, une belle demeure en surplomb de la ville, au milieu d’un grand parc. La résidence épiscopale est entourée de la radio, la procure, un centre Internet, un lycée catholique, une maison de récollections… bref tout un petit Vatican, regroupé autour de la grande cathédrale néo-romane en brique. Tout ça est l’œuvre des Jésuites, et ça se sent. Le vicaire général m’apprend que les bons pères viennent de construire la plus belle bibliothèque de toute l’Afrique centrale à Kinshasa, près de l’Université. Il m’entretient aussi des soucis financiers du diocèse : chaque mois, ils se demandent comment ils vont boucler le mois suivant… L’évêque est en ce moment en Belgique, sans doute pour y réactiver quelques contacts.

lundi 26 novembre 2007

9 novembre 2007




Aujourd’hui, une corvée qui ne plaît ni aux étudiants ni au professeur : l’examen… 27 entretiens d’un quart d’heure pour évaluer si l’enseignant a été pédagogue. Toute la journée a été bercée par les tam-tams, car le papa de notre chauffeur est mort et il y avait deuil au village. Malheureusement je n’ai pu y aller pour cause d’examen. C’est dommage car ce même chauffeur est le père des enfants chez qui je vais souvent, j’aurais aimé lui témoigner ma sympathie.

Le soir, rencontre avec les séminaristes, sur le thème : la pastorale en France. Rien que ça. Vraiment très intéressants, ces échanges, ils permettent de faire changer les idées toutes faites et de découvrir toujours plus le dynamisme de l’Eglise d’Afrique : il y a 30 000 prêtres pour tout le continent, 20 000 en France (200 000 en Europe)... Une paroisse, ce sont dix ou vingt villages, des kilomètres à faire à pied à travers la forêt. Le prêtre qui part le matin n'est jamais sûr d'arriver le soir. Les principaux villages sont organisés en communautés ecclésiales de base (C.E.B.), animées par des chrétiens.

C'est quelque chose d'être prêtre au Congo. Il faut savoir tout faire : agronome, ingénieur des ponts (un ami m'a dit que la première chose qu'il a faite en arrivant dans sa paroisse était de reconstruire le pont qui avait été emporté par les pluies), médecin, avocat... Dans un certain nombre de diocèses, les prêtres ont ainis une double compétence, civile et religieuse ; le diocèse de Kisantu forme des médecins qui travaillent à l'hôpital. Jean-Claude, séminariste de troisième année, a l'intention de faire du Droit.

Les séminaristes sont préoccupés de l'avenir de leur Eglise. Ils mesurent le défi que représentent pour eux les Eglises de réveil. L'évêque de Kisantu leur a appris que, cette année et pour la première fois, la pratique religieuse commençait à baisser.

dimanche 25 novembre 2007

L'allumage du fourneau

8 novembre 2007


Nouvelle visite au village des travailleurs, où j’ai retrouvé le petit groupe des enfants qui s’est augmenté de tous ceux qui ont entendu dire que j’étais une espèce de Père Noël qui donne des voitures miniatures et des stylos de couleur. Un jeune du village m’a montré comment on pilait le manioc pour faire de la farine (le moulin à manioc est en panne depuis longtemps). Une fois le manioc moulu, on le passe au crible, et on le cuit au four que vous voyez sur la photo.

Les enfants font tout, ici. Gédéon, cinq ans, coupe le bois pour le feua avec une machette aussi grande que lui.

Comme c’était mon tour de présider l’eucharistie ce soir, j’ai prononcé mes premiers mots en Kikongo : Matondo Kunzambi, merci Seigneur.

vendredi 23 novembre 2007

7 novembre 2007 - Le Mundele





Pour les gens qui me voient passer sur la route, je suis le mundele, le Blanc. Les enfants crient sur mon passage : « Mundele ! Mundele ! ». Mais quand je m’approche, ils s’échappent à toutes jambes. Il faut de la patience et des ruses de sioux pour les approcher. Jules m’a expliqué que mundele signifie quelque chose comme fantôme, ce qui est sans aucun doute une allusion à la curieuse couleur claire de notre peau.

Il paraît que l'autre jour, un Allemand de passage au séminaire se promenait dans le village. Un enfant est sorti sur le pas de sa porte, a dit, les mains sur les hanches : "Qu'est-ce que c'est que ça ??" et est rentré en courant chez lui ; il a refuse de resortir pour saluer le Mundele.

Je suis allé cet après-midi au village des travailleurs du séminaire (je crois bien que ce sont plusieurs dizaines de personnes qui s'emploient à faire tourner cet immense vaisseau). Une petite famille s’est laissée apprivoiser, et s’est prêtée de bonne grâce à la séance photos. Il est vrai que ma mère, toujours prévoyante, a rempli mon sac de jouets qui font toujours une excellente entrée en matière.

Il n’y a rien d’aussi attendrissant qu’un petit enfant africain. Sales comme des peignes à force de traîner n’importe où, on se dit que ceux des villages sont immunisés contre tous les virus de la terre. Jean-Claude, mon mentor, me confirme qu’on ne les voit jamais malades, ce qui n’est pas le cas de ceux des villes.

mercredi 21 novembre 2007

6 novembre 2007




Visite à la bibliothèque, qui fut l'une des plus fameuses d'Afrique – c’est triste de la voir aussi belle et bien tenue, mais pas renouvelée depuis des décennies : depuis le début de la guerre, la poste ne fonctionne plus ; impossible de faire parvenir revues et nouvelles publications. Il est très difficile pour les séminaristes de travailler dans ces conditions. J'ai à coeur, à chacun de mes séjours, de leur apporter des ouvrages de théologie récents.

Dans mon cours, je m’efforce de montrer comment ce qu’il est convenu d’appeler chez nous la « modernité » est une source de transformations considérables pour la foi.

C’est bizarre comme on se représente l’Afrique : une terre miraculeusement préservée de toute trace de progrès, un conservatoire de l’âge de pierre ? Si un pays est quelque part dans le monde frappé de plein fouet par la modernité, c’est bien le Congo : il est un de nos plus considérables réservoirs d’énergie et de matières premières, ce qui lui vaut d’être victime de la guerre la plus meurtrière depuis la seconde guerre mondiale, et d'une occupation injuste de la part de ses voisins (qui agissent, bien sûr, pour notre compte). Bien sûr, c’est la face obscure, le côté noir de la modernité ; mais ça aussi, ça en fait partie. Et ça fait évoluer les mentalités aussi vite que notre douillet style de vie européen.

Ghislain est un séminariste de quatrième année, et termine donc sa formation par la rédaction d’un mémoire. Il a choisit de travailler la question de l’œcuménisme, à cause de l’explosion des Eglises dites de réveil dans le pays. Je lui ai fait lire Le pèlerin et le converti, le livre de Danièle Hervieu Léger qui étudie la manière dont la modernité transforme les croyances et les pratiques de foi ; il m’a dit être frappé par la similitude entre la situation décrite par cet ouvrage et la manière dont se vit la foi au Congo.

5 novembre 2007




Aujourd’hui, j’ai trouvé par terre un petit oiseau tombé du nid, sans doute soufflé par l’orage qui a tonné dans la matinée. Il s’est laissé prendre, non sans résistance, puis, finalement, s'est trouvé bien dans mes mains chaudes. Patrick, un séminariste, m’a proposé de le plumer et de le manger : ah, ces Congolais…

Je lui ai fait une petite maison dans ma chambre, l’ai installé sur mon bureau. Il m’a regardé travailler, de ses yeux noirs mi-clos, la tête émergeant du vieux t-shirt qui était devenu son nid douillet. Puis, la nuit tombant et l’électricité tardant à se rétablir, je suis sorti pour trouver un peu de lumière. A mon retour, dans la pénombre de la pièce, je ne l’ai pas vu : il s’était échappé pendant mon absence et essayait de s’envoler maladroitement depuis le tapis. Je lui ai marché dessus sans m’en rendre compte ; il est mort sans un cri, dans un craquement de brindilles sèches.

Jules, rentré hier soir de Kin (où il s’est fait détrousser par des voleurs, le pauvre), m’a simplement dit que ce ne devait pas être pas son jour de chance. Quant à Patrick, je lui ai quand même avoué que je regrettais de ne pas le lui avoir donné pour le dîner. Pauvre petit oiseau.

lundi 19 novembre 2007

4 novembre 2007






Aujourd’hui c’est la Toussaint au Congo : messe à la paroisse, animée par les séminaristes. Dès le début, on est pris dans ce temps unique qu’est la célébration de la messe dans le rite congolais : les enfants de chœur entrent en dansant au rythme du tam-tam, suivis des prêtres, dans un nuage d’encens. Re-encens en arrivant. Re-danse pendant le gloire à Dieu, l’acclamation de l’évangile, l’offertoire… Impossible d’être indifférent à la ferveur des chants, au rythme, à la conviction avec laquelle le prêtre célèbre. On ne voit pas passer les deux heures de célébration.

L’après-midi, Jean-Claude et Julien, mes deux mentors, viennent me chercher pour une nouvelle promenade, jusqu’à un village dont je n’arrive pas à prononcer le nom. Nous sommes accueillis par les enfants aux cris de « Mundele » (ce qui veut dire « Blanc », et non pas comme je le croyais au début « Qu’il est laid »). Les mêmes enfants s’échappent en pleurant dès que je tente de m’approcher d’eux, évidemment.

Quelques photos de ce village valent mieux qu’un long discours.

dimanche 18 novembre 2007


L'Afrique du Sud

Le Rwanda

3 novembre 2007

Plusieurs séminaristes s’inquiètent de mon confort : suis-je bien ici ? Ils me posent surtout la question de la nourriture. Je pense que c’est un moyen habile de savoir ce que l’on mange à la table des profs.

Il faut dire que la salle à manger du séminaire ne ressemble pas à celle de Poudlard, sauf la disposition d’ensemble : petites tables pour les étudiants (on surnomme cette partie du réfectoire le Rwanda), grande table au fond pour les enseignants (l’Afrique du Sud, puisqu’on y est sensé mieux manger). Pour le reste, c’est une grande pièce peinte d’une couleur indéfinissable, scandée de lourdes colonnes vert foncé. Le sol est en carreaux de plastique défraîchi. Le menu est invariablement composé de chicoigne (pain de manioc, variante locale et non fermentée du foufou), de riz et de haricots, arrosés de sauce tomate (excellente ma foi). Quand on a besoin de protéines, on sert un délicieux ragoût de chenilles qui ressemble à s’y méprendre à du cassoulet. Les criquets sont dégustés en chambre, quand on a eu la chance d’en attraper un ou deux : en brochettes, il paraît que c'est fameux. Pour le Blanc que je suis, on cuisine des pommes de terre. Il y a également du bœuf, du poulet dont les cuisses musclées ont manifestement fait souvent le tour de la basse-cour, et un mystérieux poisson qui, du fond de son assiette, vous contemple de ses grands yeux vides. Enfin, si vous voulez déguster un excellent gibier, je ne saurais trop vous recommander le Shimbrick, que je n'ai jamais vu autrement qu'en civet dans une marmite.

Mais non, le plus difficile à supporter n’est pas la nourriture. C’est la douche du matin. Car, même dans les pays chauds, une douche froide, c’est toujours une douche froide.

samedi 17 novembre 2007

Le foot des va-nu-pieds



Vous avez dejà joué au foot sans chaussures ?

2 novembre





Aujourd’hui, après le cours, il y a foot, occupation favorite des Congolais. Le score a été de zéro à zéro. Auparavant, nous avons essuyé un bel orage : des seaux d’eau pendant une bonne heure, une petite pluie le reste de la matinée. Enfin, Jean-Claude et Julien sont venus me chercher pour faire une balade jusqu'à un village distant de deux ou trois km. Vu la tête des gens (surtout des enfants), ils n’ont pas souvent l’occasion de voir des européens.

La nuit est tombée. C’est magique, la nuit africaine : un ciel tout noir et plein d’étoiles, les insectes qui se déchaînent, les crapauds qui chantent, des bestioles qui passent en vrombissant au-dessus de vos têtes, et de temps en temps un cri absolument impossible à identifier. Et en plus, il fait frais (22° au thermomètre de ma chambre, un peu moins dehors). Les séminaristes ont tous sortis leurs pulls, certains même de grosses doudounes.

Ça y est, il est 22H30, l’électricité est coupée.

1° novembre




Ce soir est un soir ordinaire (la Toussaint ne se fête que dimanche). Messe en Kikongo, langue locale… Rien d’autre à faire que de se laisser porter par la puissance des chants, des rythmes, par la foi qui se fait ici palpable.

Ma première messe au séminaire, il y a quatre ans, avait été un vrai choc : du recueillement de la sacristie, juste troublé par le bruit de la sonnette annonçant le début de la célébration, nous étions passés d'un seul coup à la ferveur de l'église portée par le son du tam-tam et des percussions. La messe, ici, ça vous prend "là" (quelque part au niveau du plexus solaire) et ça ne vous lâche pas pendant une heure, deux heures, quatre heures...

C’était également mes cinq premières heures de cours : Alexandre, directeur des études, ne m’a fait grâce de rien. Et, comme d'habitude, je suis enrhumé. J’ai 27 étudiants, grosse année, la majorité est originaire du diocèse de Kisantu et a déjà trois ans de philo à Mayidi derière elle. Nous sommes dans un petit amphi qui porte le nom de « salle de sciences » en raison de la présence d’un squelette et de bocaux contenant d’immondes choses conservées dans du formol. Comme les années précédentes, les étudiants sont déconcertés par le fait qu’ils doivent prendre des notes : ils attribuent cela à la méthode française, les Belges étant réputés plus scolaires dans leur pédagogie.

Thème du cours : la modernité transforme profondément les manières de croire. Je ne sais plus pourquoi, mais on en est venu à parler d’un prêtre du coin qui interdit aux filles de venir en pantalon à la messe ; du coup, elles ne viennent plus du tout (il y a dix ans, elles se seraient changées). Sans doute les garçons ne vont pas tarder à en faire autant, à moins qu’un compromis ne soit trouvé ? Illustration parfaite de mon propos : il est aujourd’hui inconcevable de prétendre régenter de cette manière la vie des gens.

Cela me rappelle cette conversation, la veille de mon départ, avec un Dijonnais exilé à Paris. "Pourquoi vas-tu parler de la modernité au Congo ?" Comprenez : les pauvres, ça ne les concerne pas... Eh bien c'est ça, la modernité : le monde entier, toutes les générations, sont concernés par une manière de vivre et de penser que nous, Européens, avons inventée, pour le meilleur et pour le pire. La différence entre eux et nous, c'est qu'ils n'en ont que la face la plus sombre, les guerres, la pollution, la mise à l'épreuve du lien social. Mais cela ne les empêche pas de rêver d'y avoir part un jour : telle est l'irrésistible puissance du courant qui nous emporte.

vendredi 16 novembre 2007

31 octobre



Chacun de mes départs de Kinshasa me fait le même effet : un immense exode, qui aurait jeté sur les routes les survivants d’une catastrophe nucléaire. Kinshasa la belle n’est plus que l’ombre d’elle-même : fantôme de capitale, il lui reste la gouaille de ses habitants, le prestige de ses universités, l’animation grouillante propre aux mégapoles corrompues des terrains de chasse de l’Occident. Combien y sont-ils à vivre dans la rue ? cent mille ? deux cent ? un million ? combien, parmi eux, d’enfants sans famille, vivant de violence et de rapines ?

Notre taxi a fini par démarrer. La route qui relie Kin à Kisantu est goudronnée ; elle se déroule dans un paysage vallonné, sillonne entre les plantations. Nous y croisons d’improbables camions bâchés, des véhicules brinquebalants et bondés, des hommes et des femmes chargés comme des baudets de fardeaux impossibles.

A partir de Kisantu, nous retrouvons la route de terre rouge qui mène au séminaire. A chaque fois, c’est pareil : j’oublie à quel point on est secoué sur ces sentiers barrés d’énormes crevasses, qu’il faut précautionneusement contourner pour éviter l’accident. Au bout du chemin, le château rouge est là : il dresse sa tour unique au cœur de la forêt, vision étrange d’un beffroi belge planté à deux pas de l’équateur.

Nous sommes à Maydi, le plus ancien des séminaires d’Afrique, construit en 1932 par le Baron Carton de Wiart pour y accueillir le futur clergé indigène.

mercredi 14 novembre 2007

30 octobre - Première journée congolaise



Adieu, monde enchanté des stewards et des hôtesses… Après Roissy livré à l’anarchie des lendemains de grève, voici l’aéroport de Kinshasa : bâtiments à l'allure tintinesque, petit vent frais sur le tarmac, moiteur semi-équatoriale. Le militaire envoyé à ma rencontre par l’abbé Jules me fait obligeamment prendre la file d’attente des diplomates et VIP, ce qui me donne de l'importance mais n'accélère en rien mon passage à la douane : il y a autant de monde qu’à celle des simples touristes.

L’aéroport de Kin n’est plus ce qu’il était : l’indescriptible cohue de mon premier séjour là-bas a fait place à un accueil courtois et organisé. Il fallait la voir pour y croire, cette foule brûlante de jeunes gens qui prétendaient tous vous faire passer plus vite, qui en voulaient à votre bagage, vous aidaient à trouver un taxi, et bien sûr vous délestaient de quelques dollars. Seuls subsistent de cette période les inévitables enfants qui quémandent des sous sur le parking.

La jeep conduite par Jules s’enfonce dans la nuit kinoise. Elle file sur de larges artères que l’on devine gagnées par la végétation. Sur les trottoirs, la foule africaine s’active dans la pénombre : feux de pétroles allumés, musique à tue-tête, petits attroupements devant des magasins aux enseignes énigmatiques. De grands diables dégingandés, des femmes portant sur la tête la traditionnelle bassine débordante de feuilles de manioc, des tireurs de brouettes chargées d'invraisemblables fardeaux traversent nonchalamment les boulevards. Et puis, petit à petit, les rues se font étroites, la chaussée se dégrade (le mot est faible : quand elle n’est pas recouverte d’immondices, ce sont d’énormes nids-de-poules qu’il faut éviter sous peine de se retrouver les quatre roues en l’air). Nous arrivons à la paroisse de la Sainte-Trinité, où nous sommes attendus pour la nuit.