samedi 10 septembre 2011
Non habemus papam.
Un homme est face à son destin. Cet homme, c'est le pape ; il vient d'être choisi par Dieu et élu par ses frères. Le monde l'attend. Patatras : le voilà saisi par... Par quoi au juste ? par le doute ? ou par le désir plus fort que tout d'affirmer sa liberté d'homme face au sort qui lui est imposé ? Tel est l'argument du dernier film de Nanni Moretti, dont l'un des tout premiers films (La messa e finita, 1985) avait été consacré à la vie ordinaire d'un jeune prêtre.
Avec Habemus Papam, Moretti poursuit sa méditation sur l'absurdité du monde moderne et la solitude à laquelle l'homme est condamné s'il veut y vivre libre. Rien n'est épargné : l'Eglise, incarnée par le petit monde sénile et immature des cardinaux, qui passent leur temps à faire des puzzles et à jouer aux cartes ; la psychanalyse, impuissante à répondre aux questions du pape ; les médias, bavards et radoteurs ; le sport, qui n'est là que pour tromper l'ennui. Seul tire son épingle du jeu le théâtre, qui au moins n'a pas la prétention d'être le monde réel, et qui est en cela porteur de davantage de vérité que tout le reste, en rappelant qu'être "acteur" de sa propre vie ne signifie jamais que jouer un rôle dans le grand spectacle de l'existence.
Beau film, et drôle en plus malgré ses longueurs (irrésistibles moments que ceux de l'élection insensée du cardinal Melville, de la séance de psychanalyse sous le regard indiscret du sacré Collège, de l'émission de télé au cours de laquelle l'expert en questions religieuses avoue l'étendue de ses mensonges), servi par l'extraordinaire interprétation d'un Michel Piccoli de quatre-vingt-six ans. N'y cherchons surtout pas une peinture des mœurs cardinalices ou de l'Eglise catholique, il n'y a là que caricature - "que" ne veut pas dire que cela n'est pas satisfaisant, bien au contraire. Mais plutôt une interrogation sur ce que devient un monde privé de Dieu, et par là même privé de sens. Privé de Dieu, sans aucun doute : nul n'y prie jamais, et le seul moment où la Parole de Dieu est annoncée - par un prêtre et dans une église vide -, elle tombe complètement à plat malgré sa pertinence. Privé de sens ? C'est là que chacun se fera son idée : les uns s'effraieront du silence éternel des espaces infinis qui s'ouvrent là ; les autres se satisferont de la révolte tranquille du vieillard vêtu de blanc, et apprécieront l'ultime consolation qui consiste à refuser une destinée que l'on n'a pas choisie. On n'échappera pas, ici, à la question que ne pose pas Moretti : la liberté humaine coïncide-t-elle avec l'affirmation de soi ? Le christianisme, en tout cas, ne cesse d'affirmer le contraire. C'est en cela qu'il se situe en porte-à-faux vis-à-vis de la modernité, et vis-à-vis de l'attitude de ce pape bien peu catholique.
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7 commentaires:
En voyant le film, je me suis demandé à quel public il était destiné...
Les catholiques (et notamment ceux qui ont déjà mis les pieds au Vatican) n'y trouveront pas leur compte dans ce burlesque tragique, et le décorum catho risque bien de repousser les autres.
Si le but était de poser cette question la place de la réalisation de soi dans une destinée humaine, n'y avait-il pas moult autres angles plus savoureux ?
On est bien d'accord avec ce commentaire, et avec celui du cardinal Barbarin publié dans La Vie.
On a passé un bon moment à regarder ce film.
Mais en plus, peut-on esquiver la question des changements de plus en plus nécessaires dans l'Eglise? Le mode d'élection du pape n'est qu'un exemple dans la gouvernance de l'Eglise.
Trop de craquements se font entendre dans cette institution pour mieux ajuster le message d'évangile aux mondes d'aujourd'hui.
C'est ce qu'on a aussi entendu dans ce film.
Bonjour M. Emmanuel Pic,
étudiante en cinema à Columbia Université, j'écris un petit court métrage de 8 à 12 minutes sur une relation entre un prêtre et une jeune fille.
En faisant des recherches sur le quotidien des prêtres, je suis tombée par hasard sur votre blog que je trouve très intéressant et surtout très bien écris.
Je ne cherche pas du tout à faire une biographie de vous mais j'aimerais que mon personnage soit le plus réaliste possible.
Ainsi, si cela ne vous dérange pas, j'aimerais que vous me racontiez un peu votre quotidien, vos habitudes de vie, l'heure à laquelle vous vous levez le matin, la première chose que vous faites en commençant votre journée ...etc...
Je ne veux pas paraître trop indiscrète et je comprendrais si vous ne vouliez pas répondre à mon message mais, non croyante et non pratiquante, je ne voudrais pas tomber dans le cliché et vraiment dépeindre la réalité telle qu'elle est; même si votre blog est déjà une bonne base pour moi.
Je vous remercie d'avance,
Cordialement,
Clara L.
@ Clara et ceux qui attendent des réponses personnelles : donnez-moi votre e-mail, que je puisse vous répondre autrement que par un message que tout le monde lira !
Merci pour ce commentaire que je partage en gros, comme en détail. Finalement un point m'intrigue : les pouvoirs sont comme anesthésiés. OK. Mais Morreti fait l'impasse sur le pouvoir marchand. Rien dans son film. Melville ne sort même pas d'argent de son portefueille au moment où il serait prêt à payer. Il ne paie pas le bus, pas l'hôtel. Voilà peut-être une piste pour Habemus Papam 2.
Enfin que dire du pouvoir du directeur de la communication du Saint Siège ? Emmuré dans son mensonge, douloureusement impuissant à agir sur une réalité qui le dépasse ? Les mots lui sont un doux édredon, avant d'être une prison, à l'image de cette réclusion du conclave.
J'ai vu le film, quelque chose est absente de ce film la foi, un Pape même effrayé par son élection se serait réfugié dans la prière, les cardinaux de même ( qui me semble pas spécialement senile dans le film et je ne pense pas qu'"ils le soient dans la realité).
Bonsoir,
j'ai lu avec intérêt votre note sur le film Habemus papam, auquel je viens moi même de consacrer une note, avec un titre similaire, sur mon blog rozven.hautetfort.com. Je n'ai pas eu la même approche que vous : pour moi c'est un film qui rend le monde catholique plus humain, plus accessible, car faillible... En voyant ce film, j'ai beaucoup pensé à mon oncle, prêtre, qui évoluait dans les hautes sphères du Vatican et consort, et qui faisait montre par ailleurs d'un humour et d'une espièglerie exceptionnels. Je trouve que c'est rassurant de voir parfois ces deux facettes chez les hommes de Dieu, trop souvent rendus inaccessibles, voire intouchables...
Mes plus cordiales salutations,
Anne-Catherine
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