"On ne vous a pas fait venir avant parce qu'on avait peur de l'impressionner."
La dame qui m'accueille par ces paroles est dans le couloir de la clinique ; elle est sortie de la chambre de son mari souffrant, pour ne pas qu'il entende et le préparer à la mauvaise nouvelle : on a appelé le prêtre. Et je me dis alors : le prêtre serait-il l'homme du malheur ? L'homme de la mort ?
Quelques mots d'explication.
Un prêtre doit parfois répondre dans l'urgence à l'appel de la vie qui s'en va. Quand c'est comme ça, hop, un tour de vélo et me voilà à la clinique voisine (aujourd'hui, on ne meurt plus guère qu'à l'hôpital). Celui, celle qui m'attend est alité, quelques proches sont à son chevet, un conjoint, des enfant. Les traits du malade sont creusés par l'approche de la mort, ceux de l'entourage par l'attente et la fatigue. La conversation s'engage, quelques mots anodins, échangés avec des gens que je ne connais pas, et pour qui cette visite a tant d'importance. Rarement avec le patient. Car la personne que je viens visiter, bien souvent, n'est plus consciente. Et ce qu'on me demande n'a rien de bien réjouissant : il faut faire ce que l'on fait quand quelqu'un va mourir ; en un mot : je dois donner l'extrême-onction.
C'est un problème, ça. Car l'extrême-onction n'existe plus depuis pas loin d'un demi-siècle (c'était hier, à l'échelle de la mémoire religieuse). A l'approche de la mort, on prie, on peut donner une dernière fois la communion. Dans la maladie grave, on célèbre le sacrement des malades, en écho à l'invitation de l'apôtre Jacques : "Les prêtres prieront sur le malade après lui avoir fait une onction d'huile au nom du Seigneur". Ce dernier rite est là pour donner de l'espérance et de la force à quelqu'un qui traverse un épreuve, pas pour aider à mourir ; en le célébrant avec une personne qui n'a plus la possibilité de communiquer, ni même sans doute d'entendre, quelque chose d'important manque. On a beau faire, il reste associé à la mort.
Du coup, le prêtre est l'homme de la mort, l'oiseau du mauvais augure. C'est quelque chose, je vous assure, que d'entendre ça alors qu'on croit être le porteur d'une bonne nouvelle. Pas facile de trouver alors des mots d'espérance. C'est pourtant cela qu'avec maladresse cette dame avait voulu me dire : il n'y a plus rien à faire, sauf ça, c'est tout ce qui me reste dans la détresse où nous sommes. Alors, patiemment, le dialogue s'engage, les larmes coulent, on donne le sacrement dans la foi en guettant un signe de vie de la part de celui qui va partir. Ce signe vient souvent : clin d’œil furtif, soupir, parole ébauchée dans un souffle, il est alors comme une ultime consolation, quelque chose qui vient affirmer que, oui, il y a encore de la vie, et s'il y en a là, il y en aura toujours. Je ne suis plus l'homme de la mort, mais l'homme de l'extrême.
5 commentaires:
chez nous, on meurt encore à l'hôpital, et une équipe accompagne familles, soignants et mourants. (sauf le dimanche où des prêtres extérieurs font prestataires de sacrements.
même expérience, souvent, on appelle trop tard, même expérience souvent, un signe marque la réception. Expérience douloureuse parfois, certains ne sont vraiment pas prêts à mourir.
une petite rectification tout de même, s'il n'y a plus 'd'extrême onction', il y a toujours une onction pour les malades à l'approche de la mort, on peut aussi leur proposer la communion et le sacrement du pardon... C'est sans doute pour cela que l'on parle DES sacrements pour les malades dans le rituel.
On m'a appris au cathé ou à l'aumônerie ce qu'est le sacrement des malades, que ce n'est pas l'extrême onction et que ce n'est pas "réservé" aux mourants.
Malgré tout, je ne peux m'empêcher de penser qu'il doit être extrêmement difficile d'en faire la demande. On doit se dire que si on fait appel au prêtre, c'est en "dernier recours", quand la maladie a presque gagné. Tant que la médecine nous laisse supposer une éventuelle guérison, je me vois difficilement demander ce sacrement (et d'ailleurs, à partir de quand peut-on le demander ?).
Et pourtant, j'ai moi-même assisté par deux fois à la célébration du sacrement des malades. A chaque fois, à l'annonce de l'évènement, j'en ai eu des frissons, tellement cette idée est indissociable dans mon esprit d'une "fin proche". Mais quelles magnifiques célébrations cela a été. Loin de la tristesse et du regret, c'était de l'espoir dans la vie présente et future, de l'apaisement avec ce monde et ses fatalités. C'était bouleversant.
Et c'est là qu'au lieu de se dire qu'on est tous des mourants, que la mort nous attend tous un jour ou l'autre, on réalise que nous sommes tous des vivants, des vivants éternellement.
Alors merci aux hommes de l'extrême !
Le prêtre est l'Homme de la mort Vaincue ,apporter cette Bonne Nouvelle même à des "gens que l'on ne connait pas est toujours fructueux .MADO
le Christ au Golgotha a crié "Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné". Il a partagé en cela les peurs des hommes devant la mort et ainsi la condition humaine.
Alors Homme du Passage plutôt qu'homme de l'extrême pour rassurer celui qui part, et encore une fois Homme de parole, fidèle, homme de La Parole, qui témoigne de l'Espérance, voici que tu t'appelles Emmanuel, "Dieu est avec nous" et que ta présence aux chevets des mourants en est le signe ultime ! Merci !
Quel foutu métier !
Apporter un signe à quelqu'un qui ne s'en est jamais préoccupé et qui pense -dans un geste de superstition- que "ça ne mange pas de pain".
Vous êtes des Saints Hommes.
Bravo Emmanuel.
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