Une petite pause dans la série sur les familles, pour réagir à la proposition de loi déposée au Sénat le 8 juin "relative à l'assistance médicale pour mourir et à l'accès aux soins palliatifs."
Donc, ça y est : bientôt va naître "l'assistance médicale pour mourir", autre nom de l'euthanasie. La proposition a été déposée au Sénat, dont la majorité des élus est favorable à une évolution du droit sur ce sujet.
Si le sujet n'était pas aussi noir, les premiers mots donneraient à sourire : "En 2012, on meurt toujours mal en France." On partage l'indignation du sénateur Courteau. Il faut que cesse ce scandale de la mort qui fait mal. Le législateur doit faire de la fin de vie un moment de bonheur.
Maladresse d'expression ? L'auteur poursuit : "94% des Français sont favorables à une aide active à la mort." Bon, on aimerait voir le sondage et la question posée. Et on se dit que l'importance du sujet vaut sans doute mieux qu'une réponse par oui ou par non. Allez, continuons : une enquête de The Economist classe la France au 12° rang des pays dans lesquels on meurt le mieux. Je me demande ce qu'aurait donné la même enquête dans La Croix. Et, au passage, ce que le même journal pense de la politique économique de la France. Enfin, pour faire bonne mesure et satisfaire tout le monde, la loi prévoira un accès facilité à des soins palliatifs, sans doute pour les crétins qui s'obstineraient à choisir une mort naturelle. Problème : le projet n'en parle pas. Ça rappelle la loi Veil : on avait promis que la dépénalisation de l'avortement serait accompagnée d'une ambitieuse loi sur l'accueil de l'enfant à naître, qui n'a jamais vu le jour (trop cher).
On cherchera donc en vain, dans cet exposé de motifs, une quelconque préoccupation morale. Des chiffres, des sondages,des généralités, des promesses. C'est là-dessus que va se faire le débat sur l'introduction de l'euthanasie dans notre droit.
Passons à la proposition.
Article premier : notez l'embarras de l'intitulé, "assistance médicale pour mourir." Ça peut vouloir dire beaucoup de choses, y compris ce que la loi Léonetti prévoit déjà. On doit supposer, néanmoins, que la loi nouvelle ira plus loin, puisqu'elle institue cette assistance comme un droit nouveau.
Une clause de conscience est prévue pour ceux qui ne voudront pas aider les citoyens à exercer leur droit : "Les professionnels de santé ne sont pas tenus d'apporter leur concours à la mise en œuvre" de la procédure. Exactement, toujours, comme dans la loi Veil. Il se passera donc ce qui se passe pour l'IVG : comme une majorité de médecins et de sages-femmes y répugnent, on organise un roulement dans le personnel, pour éviter que ce soit toujours les mêmes qui s'y collent ; et on fait comprendre que, l'hôpital étant investi d'une mission de service public, il n'est pas question de refuser.
Article 2 : La décision prise sera collégiale, et s'accompagnera de la présentation de tout ce qu'il est possible de faire pour entrer dans une dynamique autre (soins palliatifs). A nouveau comme la loi Veil, où un entretien préalable était prescrit dans le but de présenter d'autres solutions que l'IVG. Il en ira donc sans doute de même : la décision étant prise par le malade, il sera impossible de le faire changer d'avis. D'ailleurs, l’entretien préalable à l'IVG n'est plus obligatoire, pour cette raison.
D'autre part, l'acte sera réalisé "sous le contrôle du médecin". Entendez : pas par lui. Par l'infirmière, qui, elle, n'aura pas la possibilité de discuter, et se prendra tout en pleine figure. Vieux principe de la division des tâches, qui évite les cas de conscience trop douloureux. Celui (celle) qui se salit les mains n'est pas celui (celle) qui a pris la décision.
Article 3 : Prévoit des directives anticipées, pour le cas où la personne ne serait plus consciente, ou plus en état de donner un consentement "éclairé". Espérons qu'elle n'aura pas changé d'avis d'ici-là. Car, comme le dit fort justement Michel Serres, il n'y a que deux moments importants dans la vie : maintenant, et à l'heure de notre mort.
Article 4 : Complète l'article 3, en précisant que le collège de médecins réunis pour prendre la décision est seul juge des conditions nécessaires à une assistance pour mourir, etc.
Article 5 : crée une "commission nationale de
contrôle des pratiques relatives au droit de mourir dans la
dignité." Comme on se méfie des juges, on évitera de porter les litiges devant la justice ordinaire, rien ne vaut une juridiction administrative planquée derrière deux ministères (justice et santé).
Quelques mots de conclusion :
- C'est sûr, une loi comme celle-ci va provoquer une augmentation des demandes d'euthanasie. L'argument souvent entendu ("cela ne concernera qu'un nombre très limité de cas") ne vaut rien.
- C'est sûr aussi, le ras-le-bol des soignants, surtout du personnel infirmier qui va être chargé de poser l'acte (car il faudra bien que quelqu’un s'y colle, et vous pouvez être sûr que ce ne sera pas le chef de service), va monter rapidement en puissance.
- Un pas de plus va être fait dans la levée des interdits. Car donner la mort, c'est un interdit fondateur. Surtout qu'en principe, la médecine n'est pas faite pour ça. Une société où les interdits s'effacent, c'est une société qui aide de plus en plus mal ses membres à se construire.
- L'institution d'une commission administrative de contrôle ne me paraît pas de bon augure. Jusqu'à maintenant, c'est le juge qui était compétent pour des questions aussi graves que la vie et la mort.
- Enfin, utiliser dans ce contexte l'expression "mourir dans la dignité" est quelque chose qui me répugne absolument. J'ai rencontré beaucoup de personnes en train de mourir. Aucune ne m'a paru indigne. Si on commence à estimer que la déchéance physique est incompatible avec la dignité humaine, cela peut entraîner assez loin. Si on porte ce regard-là sur les malades en train de finir leur vie, on les poussera forcément dans cette direction. On ne me fera pas croire qu'au Parti socialiste, et dans l'ensemble de la gauche, où se rencontrent tant de personnes porteuses de valeurs humanistes et profondément marquées par le christianisme, l'unanimité soit faite sur ces questions-là.
13 commentaires:
C'est bien pour cela que, contrairement à de nombreux catholiques, je n'ai jamais pu voter à gauche...
Une certaine forme de militantisme chrétien dans les années 70 a conduit de nombreux cathos, dont le président Hollande et le 1er misistre Ayrault a devenir athées ! Ce n'est sans doute pas pour rien ?
@ jean-Paul : on peut aussi faire un autre choix et dire : à gauche comment faire entendre la voix des chrétiens ?
cas pratique Monsieur a 40 ans, il est atteint d'une maladie génétique qui provoque une dégénérescence musculaire.
il a vu ses parents en mourir, toute sa famille (deux frères et sœurs) en est atteinte.
il ne peut plus s'alimenter car il ne peut plus déglutir.
prochaine étape, les poumons, il va s’asphyxier.
il souhaite une aide pour mourir, le médecin lui propose une sonde gastrique ... mais très certainement que dans le contexte de la loi Léonetti quand le médecin le jugera pertinent, il décidera de l'arrêt des soins après discussion collégiale... on ne peut pas demander de ne pas mourir étouffer mais en cas d'étouffement, le médecin pourra toujours intuber, histoire de préserver la dignité de l'être humain pour qu'il puisse mourir de mort "naturelle" à défaut de pouvoir bénéficier d'une mort douce ( ce qui est après tout le sens de l'euthanasie), le maître de la vie des autres c'est déjà le médecin, celui qui met en oeuvre en c'est déjà l'infirmier, celui qui n'a pas voix au chapitre c'est le premier concerné... si nous ne sommes pas maître de notre vie ni de notre mort, pouvons-nous décider de ne pas traverser des souffrances qui ne peuvent ni être évitées, ni être atténuées? où est l'humanité? on a déjà fait subir à beaucoup des traitements aujourd'hui considérés comme inhumain au nom d'une humanité mal comprise ou défendue de manière maladroite et paradoxale.
@ Anonyme (ah, pourquoi ne signez-vous pas, ne serait-ce que d'un prénom ?) :
L'histoire est évidemment terrible ; les solutions que vous évoquez (intubation après l'arrêt des soins) ne sont pas les seules possibles dans le cadre de la loi Léonetti, mais cela demande des compétences qui ne sont pas les miennes, je m'abstiendrai de vous répondre sur ce sujet.
Cela ne répond en rien aux questions que je pose : absence de réflexion éthique de la proposition de loi ; difficultés dans l'application de la clause de conscience ; valeur réelle des directives anticipées ; valeur d'une décision prise par le corps médical, appliquée par le personnel soignant, contrôlée par une commission administrative indépendante de l'autorité judiciaire.
Restent également les aspects plus fondamentaux : en particulier, la manière dont nous comprenons l'expression "dignité humaine", ici refusée à un malade en fin de vie ; et le respect de la vie.
Dignité ,Dignité que de crimes ont commet en ton nom !!! Mado
A méditer
En 1972 alors que je me rendais dans un CAC pour y exercer ma profession d’ingénieur en imagerie médicale, du rez de chaussée l’on pouvait entendre les hurlements d’un malade hospitalisé au 3ème étage. Renseignements pris il s’agissait d’une jeune fille de 23 ans en phase terminale d’un cancer généralisé à l’origine cancer du sein qui agonisait. Elle morte au cours de la nuit suivante ……………. d’épuisement. Je l’entends toujours.
Merci pour ce billet. Je trouve cette idée de commission régionale de contrôle après le décès particulièrement hypocrite et inutile. La principale personne intéressée ne sera plus là pour témoigner d'éventuelles erreurs et aucun médecin ne s'auto-accusera d'avoir outrepassé la loi. De plus, si erreur il y a, le mal aura déjà été fait et sera irrécupérable.
Toute demande d'euthanasie doit être bien sûre entendue car elle est signe de grandes souffrances. Mais la réponse doit être un développement et une recherche accrus en soins palliatifs, afin de pouvoir traiter le plus de cas possibles, recherche qui risque d'être freinée si des solutions plus expéditives et moins chères peuvent être utilisées.
@Henri ... à cette époque j'avais vraiment l'impression que soulager la douleur n'était vraiment pas la préoccupation des médecins . C'est à partir des années 80 que l'on commença à fabriquer une potion à base de morphine ,puis apparurent sur le marché des comprimés forme retard pour un effet prolongé et constant .On voit maintenant que le personnel médical est sensibilisé et formé à ce problème . Mado
@ Henri : il est certain qu'aujourd'hui, cela ne se passerait pas de cette manière, pas besoin pour cela de loi sur l'euthanasie. C'est bien là le problème : il y a des gens qui vous font croire que rien n'a changé, et que la seule solution pour soulager la souffrance est celle-là. Ce n'est pas vrai.
@Emmanuel Pic Vous avez raison l’euthanasie n’est pas la solution. Mon commentaire n’est qu’un témoignage de la souffrance de certains cas extrêmes et ne se veut en aucun cas un plaidoyer pour l’euthanasie que je refuse étant chrétien et humain. Heureusement la mort n’est pas toujours aussi violente dans la souffrance, je me souviens d’un vieux prêtre qui est mort sereinement sa main dans la mienne après, néanmoins, les trois derniers jours difficiles.
Un prêtre dominicain connu le Père Oraison dominicain, médecin, psychologue, que j’avais rencontré à la Trinité à Paris il y a longtemps disait : je ne voudrais que l’on me prive de mon agonie.
Si les progrès de la médecine ont indéniablement amélioré la fin de vie, ces mêmes progrès ont par contre provoqué de sérieux dilemmes quant aux situations qu’ils génèrent, le premier étant l’acharnement vital induit, volontairement je ne mets pas en premier l’acharnement thérapeutique qui est bien différent.
Exemple : Un accidenté que, dans un louable effort, l’on maintient en survie jusqu’à l’arrivée à hôpital pour s’apercevoir qu’il est tétraplégique et ne survit et ne survivra que grâce au respirateur artificiel et autres appareils, qu’on ne pourra débrancher sans le faire mourir volontairement. C’est en cas, sans l’avoir souhaité que l’on se retrouve devant, ce que j’appelle, l’acharnement vital auquel on se trouve involontairement confronté. Que faire ?
Sans nécessité de législation, la volonté du corps médical devrait être de soulager sans atteinte à la vie lorsque la guérison n’est plus possible.
J’ai, dans le cadre professionnel personnellement connu le Dr Leonetti alors qu’il était chef de service cardiologie de l’hôpital de la Fontonne à Antibes, ce, avant qu’il ne fasse de la politique. Déjà il avait le souci du bien-être de son patient.
Sujet... crucial parce qu'avant tout il nous renvoie à nous-même... on est contraint sur un tel sujet de se faire huer ou de débiter ce qui risque de passer pour des évidences aux yeux de certains ou des inepties pour les autres. La vie ne se conçoit qu'avec cet ultime instant, qu'on ne ne peut connaître puisqu'elle est le terme qui clôt une vie humaine.
Ne faudrait-il pas mieux aboutir à l'acceptation de sa propre fin (mais comment faire)?
Et d'un "autre côté", la souffrance est-elle rédemptrice?
Deux citations:
la mort est notre soeur bonne et sage; elle sait l'heure qui convient et nous devons lui faire confiance. [...]le rôle de la douleur, des déceptions et des idées noires n'est pas de nous aigrir, de nous faire perdre notre valeur et notre dignité, mais de nous mûrir et de nous purifier.
Hermann Hesse (Peter Camenzind, p.113, Livre de Poche n° 5076)
La tolérance comporte une souffrance à supporter l'expression d'idées, selon nous, néfastes, et une volonté d'assumer cette souffrance.
Edgar Morin (Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, p.113, Seuil 2000)
Pourquoi ne pas aider ceux qui souffrent et qui n'ont aucune chance de rémission ?
Le mieux serait de faire un référendum. L'avis des Français serait enfin entendu et la majorité l'emportera. De telles lois devraient être soumises au peuple. Le gouvernement croit connaître son peuple mais est-ce vrai ??
Mélody
"aider", pour répondre à Melody et d'une certaine façon aux observations d'Henri, ne veut pas dire tuer.
La médecine palliative - un terme inconnu en l'année quand mourut cette jeune femme dont parlait Henri - a fait d'énormes progrès pour soulager les souffrances des mourants. C'est et ça reste, non seulement du point de vue d'une éthique chrétienne, mais aussi des soignants, la voie à poursuivre. En aucun cas nous ne pouvons accepter que des êtres humains jugent, soient appelés à juger si la vie d'un autre est digne d'être vécue ou non, ou - pire - si elle "vaut être vécue".
Il ne relève pas de la dignité humaine de pouvoir se tirer une balle dans la tête ou se mettre la corde au cou. Cela vaut aussi pour les suicides, et les homicides sur demande, effectués par médication.
Quand on parle des personnes en fin de vie, il faut redécouvrir que la fin du voyage n'est pas encore quand le dernier passager a quitté le train, mais quand la locomotive est rentrée au dépôt, quand le machiniste a arrêté le moteur, serré les freins et fermé la porte. Sachons attendre la vraie fin, sachons l'atteindre...
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