Koz et Doudette sont deux blogueurs invétérés. A la fois semblables, et absolument différents. Leur dernier billet, dans lequel l'un répond à l'autre, illustre à merveille ce qu'il y a de "nouveau" dans la "nouvelle évangélisation" : il ne s'agit pas seulement d'inventer de nouvelles méthodes pour une évangélisation plus performante, mais de répondre à une évolution des mentalités en parlant un langage nouveau. Et leur dialogue permet de comprendre pourquoi, aujourd'hui, et malgré tous les efforts des enfants de Vatican II, l’Église (catholique, s'entend) ne peut être qu'à contre-courant de son temps, et pourquoi elle est, envers et contre tout, contrainte d'aimer ce temps-ci comme elle l'a toujours fait.
Koz et Doudette, en apparence, tout les oppose : d'un côté, une femme, juive, libérale, athée, qui reprend à son compte l'expression "ni Dieu, ni maître" ; de l'autre, un catho capable de digérer toutes les couleuvres que l’Église lui fera avaler, tant il fait profession de fidélité inébranlable au magistère.
Pourtant, dans leurs veines, circule le même sang spirituel. "Spirituel", au sens de l'esprit commun d'un monde et d'une époque. Ils ne font confiance qu'à leur raison, nourrissent un amour immodéré de la liberté, ne reconnaissent d'autre autorité que celle de la loi (et comme ils sont juristes, on se doute que même la loi...). On devine que la vie idéale, pour eux, c'est celle qu'ils construisent à leur guise.
Cet idéal pourrait faire d'eux d'insupportables égoïstes. Il n'en est rien, car ils sont capables de le questionner, et ils le font en ligne quotidiennement. Doudette ne croit pas en Dieu, mais il lui arrive de prier ; Koz avoue son égotisme, mais il sait comme Newman que c'est là que réside la vraie modestie (Oui, Koz a lu Newman).
En réalité, Koz et Doudette sont comme tout le monde : des gens qui s'en remettent d'abord à eux-mêmes, qui se rient des traditions, qui n'aiment pas être emprisonnés dans des institutions, qui demandent qu'on leur donne raison de tout, qui pensent qu'une vie réussie est une vie qu'ils ont construite eux-mêmes, qui vivent dans un monde créé par les hommes. Or, l’Évangile, c'est a priori le contraire : le monde est créé par Dieu, une vie réussie est une vie perdue, il y a plein de choses qui ne s’expliquent pas, et tout ça est affirmé froidement au nom de la tradition par l'institution la plus caricaturale qui puisse s'imaginer (l’Église catholique, ma mère). D'où un gros malaise. On voit bien que plus ça va, plus le fossé ne peut que se creuser, en apparence du moins, entre l’Église et ce monde-ci.
C'est là que les histoires de Koz et de Doudette nous intéressent. A cause des questions qu'ils se posent. Car petit à petit, un doute s'est insinué en eux. Et si, finalement, la vie était donnée plus que construite ? Mais alors, donné par qui ? Y a-t-il un don s'il n'y a pas de donateur ?
C'est là que j'ai envie de les prendre par la main. On continue à se questionner. On pense aux grands moments où l'on reçoit sa vie de quelqu'un d'autre. A la naissance - ou au moment où on donne soi-même la vie. A l'amour. A la mort, qui nous rappelle que nous ne sommes décidément pas les maîtres de cette foutue vie. D'où vient cette émotion qui s'empare de toi, à la naissance de chacun de tes enfants ? Pourquoi cette chaleur qui t'envahit au moment où tu parles de toi à celle que tu aimes ? Quel est cet abîme qui s'est creusé au jour où ton frère est mort ? Ces moments-là sont des moments où le ciel s'est ouvert - c'est-à-dire : où est apparu quelque chose d'une vie plus grande. Pile poil les moments où l’Église nous rejoint - baptême, mariage, funérailles. Je parle de l’Église parce que je suis catho, hein Doudette, mais je serais autre chose, je pense que je dirai à peu-près pareil sans parler d'elle.
Je continue. Quand on reçoit, on dit quoi ? On dit "merci". Oui, mais à qui ? Justement. L’eucharistie, chez nous, c'est ça : le Merci que l'homme dit à son Dieu. Et on devient débiteur - la prière que Jésus nous a apprise demande à Dieu de nous remettre nos dettes, parce que cette dette-là nous ne pourrons jamais la rembourser.
On pourrait continuer ; aux limites de la modernité, il y a place pour une catéchèse pour l'homme (la femme, puisqu'il faut toujours préciser) moderne. On comprend pourquoi l’Eglise va à contre-courant du monde, et pourquoi elle s'en prend plein la tronche. On comprend aussi que ce monde rêvé n'est pas un monde idéal, et que l'honnêteté conduit forcément à le questionner, à envisager une vie autre, à s'y engager peut-être. Si la foi n'est pas alors en jeu, vous conviendrez qu'elle n'est pas bien loin, et qu'il y a là un boulevard pour l’Évangile. Enfin, on comprend pourquoi l’Église est condamnée à aimer ce monde avec lequel elle est si profondément en désaccord : car ce qu'on vient d'écrire ne peut être entendu que sur la toile de fond d'une bienveillance profonde, d'un amour sincère pour les personnes à qui on s'adresse, d'une vie fraternelle. Il ne s'agit pas de juger : il s'agit de faire comprendre que la voie sur laquelle on s'engage est sans issue. Il ne s'agit pas de condamner ou de punir, mais d'appeler à la conversion. Jésus ne fait rien d'autre, lorsqu'il annonce que le Royaume de son Père est tout proche de nous.
6 commentaires:
se convertir vers Jésus, une forme de foi passive ou bien existe t il un chemin d' initiatives possibles ? comment discerner ? comment savoir ?
Bonjour,
Je ne comprends pas tout à ce que vous avez dit, mais j'aimerais dire certaines choses :
* j'étais catholiques, je dis j'étais car j'ai été élevé dedans à l'église Sainte Bernadette...mais diverses choses, dont la place des femmes dans l'église me choque dans l'église catholique
* Je pense que la meilleure évangélisation est de montrer l'exemple...
* on peut être croyant sans forcément pratiquer, au sens catholique du terme (aller à la messe). A mon sens, il vaut mieux faire le bien autour de soi et ne passe aller à la messe, que d'aller à la messe et ensuite, dire du mal de son voisin.
* Le spiritisme, décrié par certains...est-il me semble plus proche d'une racine commune à toutes les religions, à ce que j'en sais... il ne nie pas Jésus, bien au contraire...
Cordialement
Dominique S.
La jeune femme fit une prière — une prière d’athée, naïve et pure.
Ingrid ASTIER,Quai des enfers
Gallimard 2010 Folio policier n°642, p. 444
On ne sait jamais le dialogue que Dieu, le Christ et l'Esprit insuffle dans sa propre vie, comme dans celle d'autrui...
On désirerait chacun voir les traces de sa vie propre, ce que l'on fait pour autrui, mais Dieu est tout de surprise...
Voilà ce qui expliquerait le silence de Dieu, mais ne serait-on plutôt sourd à nous-mêmes ?
"Il ne s'agit pas de condamner ou de punir, mais d'appeler à la conversion."
Il faudrait rappeler que l'Eglise ne se "contente" d'appeler à la conversion que depuis qu'elle a perdu tout pouvoir temporel. Elle était beaucoup moins bienveillante auparavant.
@une vie réussie est une vie perdue
Je penserais plutôt: une vie réussie est une vie donnée .Nous sommes crées à l'image de la Sainte Trinité
qui est Accueil et Don (don ou sacrifice ) Nous sommes invités à entrer dans cette réciprocité d'Amour.MADO
@ Dominique S :
Bonjour Dominique,
c'est vrai tout ce que tu dis. Mais si tu n'avais pas vécu ce que tu as vécu plus jeune dans l’Église, que serait ta vie d'aujourd'hui ? Et si tout le monde quitte l’Église pour les mêmes raisons que toi, que deviendront ceux qui comme toi en ont eu besoin à un moment de leur vie ?
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