mercredi 29 septembre 2010

Une expérience liturgique.

Pendant les vacances, j'ai osé : je suis allé à la messe, un dimanche, comme tout le monde, en pékin (in negris, disait-on autrefois), dans une ville inconnue. C'était la première fois depuis vingt ans, je pense, en tout cas en France (une fois aux USA).

Premier essai, premier échec : les horaires indiqués sur le Net oubliaient de mentionner que, dans cette église-là, il n'y avait pas de messe durant le mois d'août. Dommage, elle était intéressante, avec ses allures de bunker au milieu d'un quartier d'immeubles mornes. Me voilà reparti, sous la pluie de ce dimanche humide, en direction d'un clocher que j'apercevais au loin.

Bien vu : un couple âgé se dirige d'un pas hésitant vers l'entrée. La messe est dans un quart d'heure. J'entre.

Me voilà dans un lieu improbable. Quelques tables en vrac y sont recouvertes de feuilles de papier sans rapport les unes avec les autres : dépliant touristique, horaires de messe, feuille d'annonce du mois précédent, livre de chants fatigué. Au loin, dans une espèce de désordre de chaises de paille, il y a le chœur, au beau milieu duquel trône un buffet d'orgue massif qui aurait besoin d'un bon coup d'encaustique. Difficile de repérer l'autel, modeste table de bois verni écrasé par ce monstre tout en tubes d'acier et en moulures tarabiscotées. Tout autour, ce sont sans doute des chapelles, encombrées d'un bordel de statues et d'épaves diverses.

Le pire est à venir. Il est dans ces personnes qui se hèlent sans façon dans la nef. On les devine habituées du lieu : "Les corbeilles !" "Qui va faire la première lecture ?". Ce sont elles qui accueillent, enfin qui pètent la bises à ceux qu'elles connaissent. L'inconnu que je suis ne compte guère, les mots de bienvenue sont réservés aux seuls habitués : "Alors, de retour de vacances ?" "Tu as réussi à vendre ton appartement ?" " Quand est la prochaine réunion du conseil économique ?" Je connais la raison de cette décontraction : à la messe, il faut se dire bonjour, c'est là qu'on retrouve les amis. Moi, pendant ce temps-là, je pense : et les autres ?

J'arrête là : à la fois parce que ça m'énerve, et que je m'inquiète : quelle impression retire un étranger débarquant dans ma paroisse ? Que doivent penser ceux qui ne savent rien du christianisme, et qui tombent par hasard dans ce bazar ? J'ai encore en mémoire cette question posée par Samir, étudiant algérien logé un temps dans mon ancien presbytère : "Quand est-ce que vous priez, exactement ?"

mardi 21 septembre 2010

Petits crimes entre amis.

Pile poil au moment où sort l'extraordinaire film de Xavier Beauvois (voir les critiques des Sacristains, et surtout foncer au ciné si ce n'est déjà fait), juste au moment aussi où sort Katiba, excellent roman de Jean-Christophe Rufin qui a précisément pour sujets les méfaits d' AQMI et les manipulations des services secrets en tous genres, voici que nous assistons en direct à l'enlèvement de malheureux concitoyens au Niger et aux efforts qui sont faits pour les récupérer en bon état.

En regardant, ou plutôt en contemplant, Des hommes et des dieux, je ne pouvais m'empêcher de penser à celles et ceux que je connais et qui ont été mêlés de si près aux drames que traverse aujourd'hui l'Islam. Michel, prêtre de Côte d'or, pris en otage à deux reprises aux Philippines. Jean-Marie, prêtre de Dijon également, qui a opté pour la nationalité algérienne. Monique, religieuse de mon quartier qui rentre de six ans passés "là-bas". Surtout, celui qui n'est plus là : le frère Pierre Claverie, évêque d'Oran, mort en rentrant un soir chez lui il y a près de quinze ans.

Ma dernière rencontre avec le P. Claverie remonte à 1995. Il était venu pour une conférence, et nous l'avions ensuite entraîné dans une cave dijonnaise, autour d'une bière, avec quelques amis. Il avait réussi à remplir l'amphi de la fac où nous l'avions invité, tenant en haleine un public pas entièrement convaincu sur le thème des incompréhensions qui entachent le dialogue entre christianisme et islam. Terminer la soirée de cette manière, c'était une grâce pour moi, jeune vicaire d'une paroisse majoritairement peuplée de musulmans. Il tenait à me partager deux convictions : la première, que l'islam tel qu'il était (et est encore) imposé à tant de citoyens de pays "musulmans" finirait par produire un rejet massif de la religion, à l'image de ce qui s'est passé dans tant de régions du monde dans lesquelles l'Église catholique s'était comportée en régente des âmes et des corps. La seconde, qui me sert toujours quand je réfléchis à ce qui se passe autour de moi : il faut chercher à qui le crime profite. En l'occurrence, dans l'Algérie alors plongée dans l'horrible guerre civile qu'on sait, il profitait, selon lui, à un gouvernement corrompu qui avait tout intérêt à laisser la terreur s'installer pour se poser en recours contre une violence qu'il avait lui-même contribué à créer.

Ce que je ne savais pas, c'est que ce second point allait servir de thème à l'ultime éditorial qu'il allait écrire dans sa revue diocésaine. Quelques semaines après (encore un hasard du calendrier), il était assassiné en même temps que son chauffeur. Les vrais coupables courent encore. Inutile de dire que les sous-entendus insistants de Des hommes et des dieux, qui montre bien que le gouvernement d'alors n'avait aucun intérêt à laisser en l'état le monastère, trouvent là un écho plus que troublant.

Alors ? A qui profite l'enlèvement des Français d'Areva ? En attendant, peut-être, que la vérité soit connue -mais je doute qu'elle le soit jamais complètement, rappelons-nous que si la France n'a pas organisé le raid de l'AQMI (qui n'a toujours rien revendiqué semble-t-il), elle a largement fait en sorte de créer là-bas une situation détestable, exploitant depuis 40 ans un site stratégique sans que jamais les populations locales n'en retirent le véritable bénéfice, et polluant au-delà du raisonnable les villes et villages environnant. "Imouraren, un désastre annoncé" : ce titre n'est pas d'hier, il a été publié l'an dernier par l'un des organismes qui continue à nous alerter sur le pillage dont l'Afrique est victime depuis sa découverte par l'homme blanc. Peut-être ferait-on bien d'entendre ces voix-là, plutôt que ceux qui essayent de tirer un profit politique de situations aussi dramatiques.

vendredi 10 septembre 2010

Rentrée de parents.

La rentrée, c'est aussi la rentrée des parents.

Il y a ceux qui laissent échapper une larme, parce que c'est la première fois qu'ils abandonnent leur petit bout dans la cour de l'école : "Ca va bien se passer", disent-ils le coeur serré. Ils ont raison : les chères têtes blondes ne mettent pas longtemps à comprendre que les copains passent avant les parents. Je me souviens de mes nièces, rentrant d'une année aux USA ; mon frère et ma belle-sœur s'étaient imaginés qu'en parlant anglais à la maison, elles allaient rester bilingues. Peine perdue : en classe, ça cause français, vous ne vous imaginez tout de même pas qu'on va faire des efforts juste pour le temps qu'on passe avec vous ?

Il y a ceux qui sont à l'autre bout de la chaîne : les enfants quittent la maison. Attention, les vieux : ça vient vite ! A peine ils ont fait leur entrée en 6° qu'ils en sont déjà à passer le bac. Et voilà qu'on se retrouve en tête-à-tête tous les deux. C'est dur de se retrouver comme il y a vingt ans, de découvrir que le projet qu'on a si patiemment mené à terme fait maintenant place à un grand vide. Au début, le coup de blues ; parfois, ensuite, le coup de grisou, l'idée qui vient de se lancer dans une autre aventure, tout seul ou avec quelqu'un d'autre.

A ceux-là, j'ai envie de dire : souvenez-vous de l'Evangile. De l'appel de Jésus, qui invite à laisser père et mère, maison et travail, mais pas son conjoint. De son unique enseignement sur le mariage : "tous deux ne feront plus qu'un". De l'amour, qui, avant d'être un projet, est un don. De ces mots que vous avez échangés il y a si longtemps : "Je me donne à toi, et je te reçois". Si le contrat des débuts ne marche plus vraiment, inventez-en un autre ; mais ne laissez pas tomber, justement maintenant où ça commence à devenir intéressant, cet amour qui ne meurt jamais.