mercredi 30 novembre 2005

Débats

En Côte d'Or, les catholiques sont en débat. On les invite à participer à une grosse enquête sur ce qui doit changer dans leur Eglise. 500 réponses, la moitié provenant de collectivités (mouvements, associations, groupes informels) ; difficile d'être précis, mais on peut estimer entre trois et cinq mille le nombre de personnes qui ont participé.
Ca fait drôle de penser que l'Eglise puisse débattre. En y regardant de près, le débat est pourtant omniprésent : il n'est pas une décision du Vatican qui ne soit commentée et critiquée par la plupart des chrétiens. Les communautés paroissiales sont des lieux de débats incessants : il est fini, le temps où le curé était seul maître sur son territoire. L'autre jour, dans une petite église où je célébrais la messe, la seule idée de changer de place une statue dans l'église a provoqué une petite émeute qui a fait revenir illico sur la décision initiale. Sans parler des mouvements, des communautés religieuses... On ne compte pas le nombre de débats organisés en France sur les questions de société et les problèmes éthiques. La presse dite "catholique" est aussi pluraliste, sinon plus, que les journaux non-confessionnels.
Le problème : les débats, chez les Cathos, ne sont pas modérés de la même manière qu'ailleurs.
L'autre problème : un mastodonte qui s'appelle le Vatican et qui fascine tout le monde, à commencer par les médias ; tout ce qui en sort n'est pas compris comme un enrichissement du débat général, mais comme un coup d'arrêt à la réflexion. Nous sommes hypnotisés par sa puissance de communication. Il est devenu l'arbre qui cache à beaucoup de gens cette forêt bruissante d'énergies et de rumeurs qu'est le peuple de Dieu.

mardi 29 novembre 2005

Communautarisme ?

Entendu régulièrement dans la bouche de tel ou tel élu : sus au communautarisme.
Mais comment fait le maire de Dijon, ou un autre, pour constituer sa liste ? il choisit une dose de cathos, une pincée de Musulmans, un peu de Juifs, quelques maçons, un représentant des gays...
Je ne comprends donc toujours pas ce que signifie cette méfiance vis-à-vis des communautés. Sinon qu'on oscille entre le mépris officiel et la reconnaissance officieuse (officieuse voulant dire réelle, bien sûr).
Il en est ainsi, avec nos élus : pris individuellement, entre quatre-z-yeux, étonnants de sincérité ; en bloc et devant les caméras, ce ne sont plus tout-à-fait les mêmes.
Soyons honnêtes : avec les ecclésiastiques, c'est un peu pareil...

samedi 26 novembre 2005

Familles

Jasmine a vingt-cinq ans. Elle est issue d'une fratrie de quatre, de même mère et de pères différents. Son père à elle est marié et a une autre famille. La loi prévoit, paraît-il, que les enfants adultérins ont les mêmes droits que les autres ; pour Jasmine, et sans doute pour beaucoup d'autres, ce n'est qu'une fiction, elle sait bien qu'elle risquerait très gros si elle se hasardait à réclamer quoi que ce soit.
Jasmine est maman de deux petits dont l'aîné a huit ans. Son compagnon est parti, cela valait mieux dit-elle. Elle a quitté la boulangerie où elle travaillait et aujourd'hui vit d'allocations en attendant de trouver mieux. Elle fait partie de la petite troupe des mamans célibataires qu'on voit dans la journée promener leurs poussettes ou trainer leurs bambins par la main.
Pour elle, être mère célibataire, ça n'a pas le même sens que pour d'autres femmes qui ont un travail, qui savent faire valoir leurs droits auprès de leur conjoint, qui ont accès à tout ce qui lui est, pour de multiples raisons, refusé. C'est une grande force d'avoir ses propres enfants, c'est aussi une très grande fragilité. Comme beaucoup, si elle ne s'est pas mariée, c'est parce qu'elle est exclue du monde heureux où les gens se marient.
Dans "Le Bien Public" du 13 novembre : une enquête sur la vulnérabilité des familles montre à quel point l'équilibre familial est à la fois essentiel et de plus en plus précaire. Il est précaire précisément dans les foyers les plus fragiles économiquement et socialement, qui sont victimes d'une injustice supplémentaire. Cette enquête n'était sans doute pas nécessaire pour dire l'évidence : une famille, c'est le meilleur rempart contre les difficultés de la vie.

vendredi 25 novembre 2005

Deuils

La petite église est pleine à craquer. Il y a les amis, les voisins, les enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, l'équipe de paroissiens qui a préparé la célébration, l'autre équipe qui s'occupe de préparer l'église. Au premier rang, à côté de son fils, une très vieille dame : c'est son mari que l'on enterre. Ils ont tous deux 94 ans. Mais l'émotion, le chagrin, sont là bien évidemment. La vieilles ne rend pas la mort plus facile.
La célébration commence. Une amie prend la parole pour accueillir. C'est mon tour : quelques mots malhabiles (que dire en face du chagrin ?), une prière. Les petites-filles du défunt viennent lire la Parole de Dieu. Après l'Evangile, à nouveau un petit commentaire pour dire en quoi cette vie, dont je sais peu de choses, a pu accueillir Dieu et le laisser transparaître.
Personne ne se doute du travail accompli par l'Eglise quand elle aide des femmes et des hommes à vivre les premiers temps du deuil. Des paroles qui en d'autres temps ne disent rien, des gestes tout simples, prennent alors, dans la célébration des funérailles, une importance considérable.

jeudi 24 novembre 2005

Dire ? Ne pas dire ?

Faut-il raconter tout ce qui se passe dans un quartier, au risque d'en noircir l'image et de donner de mauvaises idées à ceux qui veulent se faire remarquer ? Manifestement (voir l'article sur la rumeur) les médias dijonnais ont pris le parti de parler le moins possible de ce qui se passe ici.
Je n'ai pas de réponse à cette question. Mais je peux vous dire que, quand vous voyez sous votre fenêtre des voitures qui brûlent (quand ce n'est pas autre chose) et que les journaux n'en parlent pas, vous vous dites :
- Premièrement, que ce qui se passe chez vous n'a pas beaucoup d'importance aux yeux du monde
- Deuxièmement, que ce n'est pas grave du tout, que c'est même tout-à-fait normal.
Alors, vous renoncez à vous alarmer devant tous ces petits faits qu'ailleurs on trouverait alarmants. Vous n'allez plus porter plainte, ni même signaler le fait aux policiers. Les statistiques officielles s'améliorent. Tout devient donc normal.
Rumeur

Les Grésilles : un quartier plein de rumeurs. Normal, puisqu'un tas de choses dont les habitants sont témoins ne sont pas relatées dans les médias locaux... et que finalement un certain nombre de ces rumeurs s'avèrent fondées.
La dernière en date : il y aurait eu un cambriolage à la poste samedi. Je regarde dans le journal : rien lundi, rien mardi... Alors, comme je dois aller poster un colis, je hasarde un "vous avez eu des émotions" à la dame du guichet. Et elle m'apprend qu'en fait de cambriolage, il s'agissait d'un hold-up qui les a tous bien secoués.
Je me souviens d'une autre de ces rumeurs. C'était il y a deux ans environ ; au bureau de tabac, Christophe me dit "vous savez la dernière ? on a enlevé un enfant, dans la rue, sous les yeux de sa grande soeur qui le ramenait de l'école". Là, je trouve ça un peu gros. Rien dans les journaux. Je n'y crois donc pas. Et puis voilà, au bout d'une semaine environ, un titre du Bien Public : "L'enfant enlevé aux Grésilles a été retrouvé". Comme si tout le monde était au courant, comme si le journal avait, jour après jour, tenu en haleine tous ses lecteurs. Le gamin avait été enlevé en pleine rue, la frangine chargée de transmettre à ses parents le message des ravisseurs. La raison : le grand frère vendait de la drogue et essayait de truander ses parrains, qui avaient organisé le kidnapping en représailles.

mardi 22 novembre 2005

Etrangers (suite)

Elle s'appelle Catherine. Avec ses petits qui s'accrochent à elle, je la vois depuis quelques dimanches au fond de l'église. Une petite famille de Noirs qui ne doit pas avoir chaud en ce mois de février. A la sortie de la messe, je réussis à lui parler.
Elle me dit simplement qu'elle et ses cinq enfants sont arrivés du Congo peu avant Noël ; ils logent dans une chambre au Centre de Rencontres Internationales. On leur sert un seul repas par jour, ils n'ont aucune ressource.
Cinq enfants et une maman dans une chambre d'étudiants depuis un mois ? La conférence Saint-Vincent de Paul, alertée, ainsi que le Secours catholique se mobilisent : on lui trouve de la nourriture, on s'occupe de les aider à trouver un logement plus décent. Et comme une paroissienne m'a demandé de leur donner de l'argent de sa part, je vais leur rendre visite.
A l'accueil du Centre, je demande naïvement à parler à la dame congolaise qui habite là, car je ne connais pas son nom. Erreur : elle n'est pas la seule... renseignement pris, il y a ici un étage plein de réfugiés qui attendent de voir leur situation régularisée. Encore quelque chose dont on ne parle pas.
Etrangers

C'est un fait admis de tous : les Grésilles sont l'un des quartiers de Dijon qui accueille le plus d'étrangers. On fait souvent le lien entre cette particularité et les difficultés qu'y rencontrent les habitants dans leur vie quotidienne.
Environ trente pour cent des citoyens des Grésilles ne sont pas français. Ca fait beaucoup, c'est vrai. Cela ne tient évidemment pas compte de l'immigration irrégulière.
Mais qu'est-ce qu'un étranger ? La réponse n'est pas la même, selon que l'on est un agent de l'INSEE ou un habitant du quartier. Et c'est dommage, car les relations de voisinage sont construites sur le ressenti, alors que la politique de la ville s'appuie sur une information statistique. Dans la vie, la religion, la couleur de la peau, sont bien plus importants que la nationalité.
Il est impossible de savoir, à partir des chiffres officiels, combien les Grésilles comptent de Musulmans, combien il y a de Noirs. Les habitants, eux, ont leur idée là-dessus. Et cela compte bien plus que tous les chiffres qu'on pourra trouver dans les enquêtes de l'Insee. Plus grave encore : cet écart entre le ressenti et l'histoire officielle discrédite insidieusement toute information en provenance des administrations et des médias.

lundi 21 novembre 2005

On s'habitue à tout

Commencer par la violence ?
Bon, avouons-le, tout le monde l'attend quand on parle des Grésilles. Alors, même si c'est un peu facile, parlons-en.
Samedi après-midi, vers 17 heures, en revenant de faire des courses, une grosse colonne de fumée noire, au-dessus de la barre d'immeubles que l'on voit de la rocade. Deux voitures brûlaient avenue Champollion.
Au même moment, à la radio, j'entendais le communiqué déclarant que la situation dans le pays était revenue à la normale : il n'y avait eu que cent voitures brûlées en France la nuit précédente. Cent voitures par nuit, ca fait plus de trente-cinq mille par an. On se fait à tout, apparemment.
C'est bien ça le problème ; on a fini par s'habituer à ce qui n'est tout de même pas normal. Des poubelles qui brûlent dans une cage d'escalier, c'est devenu, dans certains immeubles, tellement habituel. Une voiture qui brûle de temps en temps, on s'y habitue aussi. Du moment que les gens ne brûlent pas ! Une cabine téléphonique en miettes, un abribus en morceaux, une devanture de magasin défoncée, autant de petites choses qu'on remarque à peine le matin quand on va acheter sa baguette de pain. Mais c'est vrai qu'on s'est habitué aussi à beaucoup d'autres choses qui semblaient anormales quand elles sont apparues dans notre quotidien : les gens qui ne vivent que grâce aux allocs, les familles qui partent en javelle, les fenêtres qui se ferment de plus en plus tôt dans la journée parce qu'on n'a pas trop envie de voir ce qui se passe dehors.
Le problème, c'est que justement, la violence, c'est ceux d'ici qui la supportent, en plus de tout le reste. Et que ça fait encore plus mal.
Ici, donc, on s'est habitué à tout cela. On va s'habituer aussi à une ou deux explosions de violence de temps en temps, dans une banlieue ou dans une autre. Vous allez voir, on s'y fait très bien.

dimanche 20 novembre 2005

Voilà, je me lance...
Zut, tout le monde commence son blog comme ça, non ?
Ce qui m'a décidé : les "événements", ces deux ou trois semaines auxquelles on n'a pas réussi à donner un nom, sans trop savoir s'il s'agissait d'une révolte des Cités, d'une insurrection de la racaille, d'une guerre civile ou d'un guerre des gangs entre trafiquants.
Mon idée : au jour le jour, vous raconter ce que je vois de la fenêtre de mon presbytère, ce que j'entends dans la rue et chez les commerçants, bref la vie de ce quartier des Grésilles qui fait si peur à beaucoup de gens à Dijon mais dans lequel il ferait si bon vivre s'il n'y avait pas... tout ce qui ne va pas, justement.
Je tâcherai aussi d'y installer quelques photos pour agrémenter ton ordinaire, ami lecteur.
A bientôt, j'ai hâte de commencer