Homme du sacré ou héraut de l'Evangile ? sur ce sujet, les débats se font vifs dans les presbytères. Car on ne badine pas avec les prêtres, quand il s'agit de leur ministère. C'est un peu la limite du célibat : nous, les curés, on n'a que ça dans la vie, notre ministère, et chacun a son idée sur la question ; alors que quelqu'un vienne la remettre en cause, et nous sommes atteints au plus profond de nous-mêmes, bien plus profondément que n'importe qui quand il a un problème de boulot.
Dans la vie de l'ancien que je deviens tout doucement, c'est bien l'une des questions qui est revenue le plus souvent : la crainte d'être réduit au rôle, comme disent certains, de "distributeur de sacrements". Encore une petite messe, monsieur le curé... Madame Une telle est en fin de vie, sa famille demande l'extrême-onction... Pourquoi est-ce qu'il n'y a personne au presbytère le lundi ? Ah bon, vous prenez des vacances ? Et vous allez dans quel monastère ? Vous êtes en robe toute la journée, ou seulement pour la messe ? Des questions dont je perçois aujourd'hui la naïveté, mais aussi la pertinence, dès lors qu'il s'agit de résoudre l'impossible équation actuelle (moins de prêtres et toujours autant de choses à faire) : on va se partager le travail avec les laïcs, il y a des choses que tout le monde peut faire, et d'autres que seul le prêtre peut faire, alors laissons le prêtre faire son travail et déchargeons-le au maximum du reste. Et voilà comment un curé se retrouve confiné dans son église, dans laquelle on s'étonne parfois qu'il n'ait pas son lit.
"Le reste", c'est : les soucis matériels, bien sûr. Mais aussi : l'organisation de la catéchèse. La préparation des célébrations. L'accueil des familles et du tout-venant. La solidarité. La visite des malades (le prêtre ne passera que s'il y a une demande de sacrements).
Et donc, le rôle du prêtre, c'est : la messe (pardon, les messes) ; les confessions ; les célébrations de mariages et de baptêmes, en attendant que les diacres s'y mettent puisqu'ils ont le droit de le faire aussi ; l'onction des malades, qui, rappelons-le, remplace l'extrême-onction depuis bientôt cinquante ans. Tout le reste, monsieur le curé, laissez-nous faire.
Le problème, c'est d'abord que, quand le Concile parle du ministère des prêtres, il commence par l'annonce de la parole. Il poursuit en rappelant que le prêtre est aussi celui qui collabore au ministère de présidence de l'évêque diocésain, et que cette présidence est étroitement liée à la célébration de l'eucharistie et des sacrements, et qu'elle signifie concrètement l'animation effective de la communauté à laquelle il est envoyé. Et, donc, que réduire la mission du prêtre à sa dimension sacramentelle, ou même partir de cette dimension pour parler des prêtres, c'est se tromper lourdement sur la nature du sacerdoce ministériel.
Mais ce foutu concile nous dit aussi que, par le baptême, nous sommes tous prêtres, prophètes et rois ; que les baptisés ont une mission d'évangélisation qui n'est pas facultative ; qu'ils participent au sacerdoce du Christ par la prière et la célébration des sacrements ; et en plus, il insiste lourdement sur la centralité de l'eucharistie dans le ministère et la vie des prêtres. Comment voulez-vous vous y retrouver si tout le monde se mêle de tout, sauf de la messe qui est réservée au prêtre ?
La seule solution que j'entrevoie, c'est le partage de la mission, non pas comme des convives qui se partagent un gâteau (chacun son petit morceau), mais comme des parents qui portent ensemble la responsabilité de leur famille. Car c'est cela qu'essaye de nous dire le concile : vous les prêtres, vous n'êtes pas chargés plus que les autres baptisés d'évangéliser, ou de prier, ou de je ne sais quoi encore. C'est toute l'Eglise qui est appelée à cela. Vous n'en êtes pas dispensés non plus. Vous portez donc, avec toute l'Eglise, le souci du service que l'Eglise rend à l'humanité. Ce souci, vous le portez à la place qui est la vôtre : vous êtes au service du service de l'Eglise. C'est dans l'exercice du ministère sacerdotal que vous évangélisez.
Et ça marche. Une belle célébration (mariage, baptême, obsèques, eucharistie...), bien foutue, avec au milieu une bonne vieille homélie qui montre comment la Parole de Dieu est là pour nous faire vivre aujourd'hui, c'est bien plus qu'un enseignement : c'est une expérience en live de la grâce de Dieu qui vient besogner en nous, comme disait Calvin. Ces gestes, ces chants, ces paroles, ce pain qu'on partage, ces mains qu'on tend, cette bouche qui s'ouvre, on ne s'en rend pas compte, mais ça vous change les hommes. Trois soirées de préparation au mariage ou au baptême, avec des échanges, des partages d'expériences, la méditation de la Parole de Dieu, et le sacrement qui va avec, ça vous marque une famille pour toute une vie.