mercredi 23 décembre 2009

Joyeux Noël.

A Noel, tout le monde n'est pas à la fête. Hier à la préfecture de Dijon en tout cas, les autorités de l'État ont eu une curieuse manière d'interpréter les paroles du Christ en Matthieu, 25 : "J'étais un étranger et vous m'avez accueilli..." Une dizaine de réfugiés yazides (une minorité persécutée en Géorgie), accompagnés par des membres de la Cimade, s'étaient présentés là pour déposer une demande de titre de séjour ; certains d'entre eux n'en ont pas eu le temps, la police les ayant cueillis, menottés et embarqués pour les locaux de la Place Suquet (pour les non-dijonnais, c'est là que se déroulent les garde à vue) où ils se trouvent encore.

Le dépôt d'une demande d'asile est-il en train de se transformer en piège ?

mardi 22 décembre 2009

Pie XII, c'est reparti.

Il y a une vingtaine d'années, j'avais demandé au cardinal Decourtray pourquoi il avait décidé d'ouvrir largement les archives du diocèse de Lyon concernant les années de guerre. La réponse avait fusé, comme toujours chez le grand homme, avec ce mélange d'humour et de profondeur qui font les vrais prophètes : "Si je ne le fais pas, dans vingt ans on nous accusera d'être les auteurs du génocide". Nous n'en sommes pas là ; mais le péché par omission dont on accuse Pie XII est-il moins grave ?

Je donne rapidement la parole à quelques confrères blogueurs : Koz, Jean-Baptiste Maillard (qui livre d'excellentes informations sur le dossier), Guillaume de Prémare ; ils élèvent une voix que je crains bien peu audible dans le monde qui est le nôtre : que peuvent-ils contre les raccourcis sanglants du Figaro et l'artillerie lourde du journal télévisé ? Un mot également sur La Croix et le cardinal Vingt-Trois, qui appellent fort heureusement à un peu plus de retenue. Ne nous leurrons pas : c'est, comme toujours, celui qui criera le plus fort qui sera entendu.

Il est parfaitement stupide, et inculte, de dire que Pie XII n'a rien fait contre le génocide, ou que son soi-disant silence l'en a rendu complice. Qu'aurait-il donc dû faire ? Le film Amen, de Costa-Gavras, qui est une œuvre de fiction (à charge contre Pie XII, bien entendu) et non pas un récit historique, s'ouvre sur une scène saisissante : l'intervention spectaculaire d'un évêque pour empêcher l'élimination, projetée par les Nazis, des handicapés mentaux. Ce que ne dit pas Costa, c'est que l'élimination a repris de plus belle quelques mois plus tard, avec une efficacité inégalée. La protestation de l'évêque n'aura servi qu'à donner le temps aux bourreaux d'affûter leurs couteaux.

Sur cette question-là, comme sur d'autres, la vérité est devenue l'enjeu d'un combat sans merci : elle est à la merci du plus fort. C'est la loi, dans l'univers ultra-libéral de la communication du XXI° siècle : sur le web, et ailleurs, toutes les opinions ne se valent pas, précisément parce qu'on veut qu'elles aient toutes le droit de s'exprimer, car elles ne bénéficient pas des mêmes appuis ou des mêmes savoirs-faire. Ne peut-on rêver d'une autre règle du jeu ? En nous rappelant, par exemple, que la vérité est d'abord appel à la raison, et donc au bon sens. Elle est aussi d'ordre symbolique : ce qui signifie qu'elle est créatrice de communion. Le bon sens s'oppose absolument à ce que Pie XII ait été complice, de quelque manière que ce soit, du génocide. Les faits montrent qu'il a permis de sauver des dizaines de milliers de juifs de Rome et d'ailleurs. On peut certes se poser la question de l'opportunité de la décision de Benoit XVI (qui doit, rappelons-le, visiter dans quelques jours la synagogue de Rome), demander l'ouverture des archives vaticanes, mais aucun dialogue constructif ne pourra être conduit sur d'autres prémisses que ceux-ci.

mercredi 16 décembre 2009

Tout dans la tête ?

Omnium in mentem : le motu proprio de Benoît XVI concerne un secteur sensible de la vie de l'Eglise, à savoir la théologie des ministères. La raison d'être de ce document est de "lisser" deux articles du Code de droit canonique -le droit de l'Eglise- qui concernent les diacres, les prêtres et les évêques : les canons 1008 et 1009 stipulaient jusqu'alors que ces personnes étaient "consacrées pour être pasteurs du peuple de Dieu", "remplissant en la personne du Christ Tête les fonctions d'enseignement, de sanctification et de gouvernement". Or, une telle rédaction était contradictoire avec le catéchisme de l'Eglise catholique, qui estime que seuls les prêtres et les évêques agissent "in persona Christi capitis", alors que les diacres servent le peuple de Dieu. Les nouveaux articles du Code sont désormais en harmonie avec le catéchisme.

D'un côté, le ministère pastoral aux évêques et aux prêtres ; de l'autre, le service aux diacres. L'enjeu semble donc être le gouvernement de l'Eglise. J'anticipe sur d'éventuels et futurs débats : s'agit-il d'un nouvel épisode du supposé "recentrage" de la vie de l'Eglise sur les prêtres, pour éviter de faire des diacres (mariés et nombreux) un substitut des prêtres (célibataires et en voie de raréfaction), et rejeter les diacres dans les ténèbres du service, en réservant aux prêtres l'autorité et la reconnaissance ?

S'il s'agit d'une question de pouvoir, la polémique est à l'horizon. Mais on parle, ici, de service : "ministère" et "diaconie" sont synonymes. Ils sont le socle commun à l'évêque, au prêtre et au diacre. Il s'agit de servir "le peuple de Dieu" et non pas d'être au service de structures ecclésiastiques. Ce service renvoie au service fondamental de l'Église, qu'il s'agit pour les ministres-serviteurs d'exercer : "la gloire de Dieu et le salut du monde", ainsi que la liturgie le proclame, et jamais l'un sans l'autre, et jamais le salut des seuls disciples du Christ. Parmi ces serviteurs, certains sont appelés pour exercer le ministère pastoral : ils ne cessent pas pour autant de porter le souci de la charité, et d'être au service de tous.

La clarification apportée par le Motu Proprio a un effet collatéral, que relève à juste titre Isabelle de Gaulmyn dans La Croix : celui de lever un des obstacles à l'ordination de femmes au diaconat. Beaucoup de théologiens catholiques sont réticents, pour des raisons qu'il serait ici trop long d'évoquer, à admettre que des femmes puissent exercer un ministère pastoral "en la personne du Christ Tête". Puisqu'il est admis que les diacres ne sont pas dans ce cas de figure, ces réticences n'ont en effet plus de raison d'être. Ne nous faisons toute fois pas trop d'illusions : bien que la question du diaconat féminin soit une question ouverte dans l'Église catholique, elle ne devrait toutefois pas être posée de sitôt.

mardi 15 décembre 2009

Religions-providence.

Welfare religions : heureuse expression que je trouve sous la plume de Philippe Portier, professeur à l'Ecole pratique des Hautes études, dans un article du Monde daté de dimanche-lundi. "Les religions répondent aux défaillances de l'Etat-providence", y déclare-t-il notamment : j'irais volontiers plus loin, elles ne font pas que remplir ces manques de plus en plus criants, elles sont aussi le poil à gratter de nos démocraties quand ces dernières ne sont pas à la hauteur des idéaux dont elles disent s'inspirer. Elles sont aussi, ajoute M. Portier, de puissants organismes d'intégration des personnes au sein de la société française : voilà quelque chose qui n'est pas neutre au moment où tant de personnes s'interrogent sur l'identité nationale.

Il y a là, me semble-t-il, quelque chose de déterminant pour la crédibilité de l'Eglise. Pas d'Eglise qui tienne sans le service de tous, car elle trahirait alors, elle aussi, le message de fraternité dont elle est porteuse. En témoigne le nombre si important de personnes qui se retrouvent dans les organismes chrétiens de solidarité. Sans le Secours catholique, le CCFD et tant d'autres, l'Eglise catholique rejetterait sa prétention à l'universalité : car elle ne s'adresserait qu'aux convaincus et ne se préoccuperait que de convaincre. En témoigne également le succès de livres récents sur ce sujet, depuis la Confession d'un cardinal jusqu'au désormais célébre 38 ans, célibataire et curé de campagne : ces ouvrages ont pour héros des ecclésiastiques soucieux de mettre en avant tout ce qui, dans l'Eglise, relève de la diaconie.

Mais il ne faudrait pas réduire ce service de l'Eglise à la seule dimension caritative. Quand l'Eglise fait ce qu'elle fait de mieux - aider des hommes et des femmes à célébrer et à donner du sens aux moments importants de leur vie, elle leur rend un inappréciable service. L'universalité est ici exigeante : car elle oblige à accueillir des personnes dont la foi pose question et dont le lien à l'Eglise est plus que ténu. Rendre le service attendu suppose alors de cheminer avec elles, pour les amener à vivre une véritable expérience de Dieu, sans exiger d'elles qu'elles rejoignent les rangs de l'assemblée dominicale.

Enfin, en cette année où nous sommes invités à nous interroger sur le sacerdoce, peut-être y a-t-il là une piste à explorer : un prêtre, en effet, exerce le ministère sacerdotal, c'est-à-dire le service du sacerdoce du Christ (le mot "ministère" étant la transcription du mot latin qui signifie "service"). Cette expression pourrait s'entendre de manière très étroite : rendre aux chrétiens le service qu'ils attendent de leur prêtre. Ce serait oublier que le Christ n'est pas la propriété de ses seuls disciples, et que ce service concerne donc bien plus que les baptisés : le ministère sacerdotal, c'est le service par excellence que le monde attend de l'Eglise. Le prêtre est celui qui exerce ce ministère ; il est bien homme de service, mais pas du service de la seule communauté, au contraire.

samedi 12 décembre 2009

Carillons pour la planète.



En écho à un précédent billet sur l'implication des Eglises dans l'écologie : une initiative du Conseil œcuménique des Eglises qui invite les curés, pasteurs et autres responsables de communautés à faire sonner leurs cloches demain dimanche à 15H.

Sur les actions menées par les chrétiens en France dans le domaine de l'écologie :
Photo : www.cef.fr

mercredi 9 décembre 2009

L'école de la première chance.

La Fontaine-d'Ouche à Dijon : un quartier populaire, où cohabitent trente nationalités (plus peut-être ?). Une paroisse colorée, une salle de prière musulmane, une communauté baptiste, voisinent avec les intervenants institutionnels habituels. Un travail de fourmi, qui fait de ce coin de Dijon l'un des lieux où se forgent la fameuse identité nationale, en scolarisant chaque année des dizaines d'enfants dans une classe dite d'accueil.



Formidable reportage sur FR3 samedi 12 décembre à 15h25, signé Caroline Philibert, sur cette classe, ses élèves, ses profs.

mardi 8 décembre 2009

Quel genre de prêtre êtes-vous ?

"Es-tu plutôt socio-fonctionnel, ou plutôt sacramentel-ontologique ?"

Cette question, un brin agacée, vient d'une fidèle lectrice, qui a lu une catéchèse donnée par Benoît XVI le 24 juin dernier, dans laquelle le Saint-Père décrit "deux conceptions différentes du sacerdoce", la première mettant en avant le service de la communauté, la seconde privilégiant l'eucharistie.

C'est vrai que dit comme ça, ça fait un peu abstrait. Et pourtant... C'est un débat qui traîne dans les sacristies, alimente les conversations de curés, nourrit les fantasmes des chrétiens. A l'un des extrêmes : le "Fonctionnaire de Dieu" dénoncé par le sulfureux, mais ici pertinent, Drewermann ; à l'autre, le membre de la Tribu Sacrée de l'ethnologue Pascal Dibie, uniquement préoccupé de culte.

Le genre littéraire du blog invite à la brièveté, quitte à approfondir dans le cadre des commentaires postés à la suite du billet. Je voudrais juste reprendre ici ces deux pistes de réflexion.

Première piste : celle du service. Oui, je pense que le prêtre est au service ; mais pas au service de l'Église, ni des chrétiens, ni de ses paroissiens. Il est d'abord au service de tous. Plus précisément, son service, c'est d'exercer le service que l'Église doit à toutes et à tous. Pour cette raison, on n'ordonne prêtres que des diacres, c'est-à-dire des serviteurs (puisque tel est le sens du mot "diacre"). Il faut se sortir cette idée de la tête, que ce qui se passe dans l'Église ne concerne que les chrétiens, car c'est tout le contraire. Moi, quand je prépare et célèbre des funérailles, je rends service à des gens qui sont très loin de l'Église. Quand je marie, j'aide les mariés à vivre leur vie de couple. Bien sûr au bout du compte c'est Dieu qui œuvre, mais le prêtre y est pour quelque chose, nom d'un chien. Il suffit de voir le drame que représente, pour une commune, le départ d'un curé qui ne sera pas remplacé. Donc : serviteur de tous, pas fonctionnaire du culte. Plus préoccupé de ce qui se passe dans le vaste monde que dans son presbytère.

Deuxième piste : celle de l'eucharistie. En fait, c'est la même. Car l'eucharistie est un service qu'on rend à tout le monde. Je ne parle même pas de sa dimension mystique, dans laquelle Dieu agit pour le salut du monde. Mais du bien qui est fait à tous ceux qui vivent l'eucharistie dans sa profondeur. Et pour cela, ce ne devrait pas être obligatoire d'être un chrétien très cultivé. Je pense à ce que l'on vit au Congo par exemple : n'importe qui ne peut que se laisser toucher par ce qui se passe lors d'une de ces incroyables messes où l'on chante et l'on danse, moments uniques de bonheur et d'émotion. Mais je pense aussi, chez nous, aux timides mots de remerciements adressés par ces familles qui ne viennent que rarement à la messe et qui ont ressenti, ce jour-là, quelque chose qui leur a fait du bien. Peut-être que si nous retrouvions un peu, dans nos liturgies, d'émotion et de sensibilité, nous entendrions plus souvent de ces "mercis" .

mardi 1 décembre 2009

Du voile au minaret : les deux versants des Alpes.


La France avait la burqa, la Suisse a les minarets. Mais le débat est le même, qui vient ici parasiter celui sur l'identité nationale et là-bas alimenter les mêmes tentations xénophobes : jusqu'où peut-on règlementer les signes affirmant la présence d'une religion dans l'espace public ? La Suisse vient de trancher le problème en interdisant constitutionnellement les minarets, décision prise à la suite d'une votation à laquelle a pris part un nombre inhabituellement élevé de citoyens. A l'origine, une collusion entre un parti populiste et un mouvement évangélique, qui ont mené ensemble une campagne sur des thèmes identitaires, mais ont sans doute aussi surfé sur le sentiment, de plus en plus répandu, que l'Islam est une religion intolérante et sexiste.

La modification de la constitution suisse pose un problème de droit : la Suisse est membre du Conseil de l'Europe, dont la jurisprudence oblige à traiter toutes les religions de la même manière. Elle va aussi poser un problème diplomatique à un pays qui accueille un bon nombre de musulmans venus là pour conduire leurs affaires. A cela se rajoutent, à mon sens, deux questions.

La première tient au contenu de la liberté religieuse. Le caractère symbolique de la décision n'aura échappé à personne : le but est de contraindre les musulmans à la discrétion. Or, la liberté religieuse est une liberté de culte, c'est-à-dire de pratiquer sa religion au vu et au su de tous. Certes, l'absence de minaret n'empêchera pas les fidèles de l'islam de se rassembler pour prier dans les mosquées ; mais c'est aux musulmans de décider, dans les limites imposées par l'ordre public, de l'agencement de leurs lieux de culte. Un Etat peut-il de cette manière décider de ce qui est essentiel et de ce qui est accessoire à la pratique d'une religion ? La France a, jusqu'à présent, opté en principe pour la reconnaissance de l'organisation interne des cultes : ainsi, le gouvernement français accorde des pouvoirs de police à un curé qui n'est pas nommé par lui, mais par l'évêque. En ce sens, le résultat de la votation suisse, s'il n'est pas remis en cause ultérieurement, risque d'amorcer une dérive inquiétante pour la liberté religieuse et la liberté de conscience en général.

La seconde tient aux motivations des électeurs. Elles sont évidemment difficiles à cerner, mais on devine une collusion entre un courant xénophobe, un autre qui estime simplement que la Suisse doit rester fidèle à ses racines chrétiennes, et un troisième qui s'inquiète de dérives fondamentalistes dans l'islam. La situation française d'aujourd'hui montre éloquemment que lorsqu'une religion est montrée du doigt, ce sont toutes les religions qui finissent par en pâtir. Ainsi, les interrogations originelles sur la supposée violence des musulmans ont fait place à des accusations portées contre l'Eglise catholique, dont on dénonce l'implication dans le colonialisme, le génocide rwandais et même, contre toute évidence, l'holocauste nazi. Les évêques suisses l'ont bien compris, dans la mise en garde qu'ils ont adressée aux électeurs : "La paix religieuse ne va pas de soi, et elle doit toujours être défendue".