mardi 27 décembre 2005

Etre soi-même, jusqu'à quel point?

Germain et Delvaux sont deux prêtres congolais de ma génération qui vivent, depuis quelque temps, un ministère en Europe. Ils sont tous deux frappés par la revendication d'autonomie qui émane des chrétiens qu'ils rencontrent : comment prétendre annoncer une Parole avec autorité auprès de personnes qui font leur jugement par elles-mêmes ? Je leur raconte l'expérience faite plusieurs fois, de chrétiens qui interrompent l'homélie dominicale pour exprimer publiquement leur désaccord.
Germain fait le rapprochement avec la désaffection de la messe dominicale. Il est insupportable d'y rester silencieux et passif.
Un maître livre, La fatigue d'être soi, pose une question qui reste pour moi fondamentale ; nous sommes passés d'un idéal de conformité à des modèles préexistants à un autre idéal : la recherche et l'affirmation de soi-même. Il y a là quelque part l'accomplissement de la prophétie nitzchéenne. Cette affirmation de soi n'est pas à la portée de tout le monde, et beaucoup de nos contemporains vivent comme un échec dramatique cette impossibilité d'être maîtres de leur propre destin.
Catholicité

Myriam anime un club ACE (pour ceux qui ne savent pas, ça veut dire Action Catholique des Enfants) et, comme beaucoup de jeunes de son âge, y trouve davantage son compte que dans la fréquentation de la messe dominicale. Il s'agit de faire le lien entre sa vie et l'Evangile, à travers une pédagogie qui fait une large place au jeu. Dans ce mouvement se retrouvent beaucoup d'enfants et de jeunes aux convictions religieuses diverses : catholiques convaincus, chrétiens de tradition, et même des musulmans.
Ce qui compte pour elle et pour les enfants : une bande d'amis qui se connaissent depuis longtemps, qui se retrouvent autour de valeurs communes et touvent un espace unique au sein duquel ils peuvent parler de leur vie. Cette année, ils réfléchissent à leur attitude de jeunes consommateurs dans un monde qui les entourage à consommer sans discernement.
D'autre jeunes vivent une expérience spirituelle très différente, priant le chapelet, pratiquant l'aadoration du Saint-Sacrement. D'autres choisissent simplement la messe dominicale, l'aumônerie de leur collège. Ils ne se rencontrent guère et n'ont pas d'occasion de s'interpeller mutuellement : pour eux, l'universalité de l'Eglise se limite à leur référence commune au christianisme (je n'ose dire au Christ tant l'image qu'ils s'en font est plurielle).
La poésie contre la guerre

Le Tigre et la neige : l'histoire d'un poète qui part à Bagdad sauver de la mort la femme qu'il aime. C'est beau et fort. Dommage que la version française transform la faconde de Benigni en un verbiage parfois difficile à supporter.

samedi 24 décembre 2005

Naissance

Ce soir c'est Noël.
Je ne fais pas partie des esprits chagrins qui pensent que la fête est triste et qui se choquent de la joie qui envahit les familles, les villes et les villages. C'est normal de se réjouir. Un enfant qui naît, c'est toujours la fête.
Mais je ne peux pas m'empêcher de penser que la joie n'est pas partagée par tous.
Il arrive que de futurs parents viennent me confier leur inquiétude ; ils vont avoir un enfant, mais tous ceux à qui ils l'ont annoncé ne se réjouissent pas avec eux : ils ont passé la quarantaine, ils en ont déjà trois, ils prennent un risque en faisant des enfants dans un monde incertain. Des médecins leur ont si fortement conseillé de se lancer dans des examens poussés qu'ils se demandent si l'enfant va être normal, s'ils pourront vraiment faire face.
Parfois, l'inquiétude est justifiée, comme pour les parents de Pauline qui, à quatre mois, est atteinte d'une maladie grave et doit subir des traitements lourds.
Les parents de Jésus, eux aussi, ont connu cette situation. Ils ne savent pas où aller alors que le temps est proche. Ils apprennent que le roi veut tuer leur petit. Ils partagent la détresse de ces parents dont les enfants sont à l'hôpital, de ces mères qui n'ont pas de quoi nourrir leurs petits, ici et ailleurs.
Comment, alors, se réjouir ? Quel peut être le sens de Noël pour tous ceux qui vivent cette angoisse ?
L'Evangile n'est pas un livre d'images pieuses. Il nous rejoint au coeur de notre humanité et de ses contradictions. Il nous rappelle que toute naissance comporte des risques : on ne peut savoir de quoi demain sera fait, on ne peut savoir ce que sera cette vie qui commence. Donner la vie, c'est accepter de lâcher prise. Les parents de Jésus le savent bien, comme tous les parents du monde.
Cela n'empêche pas les anges de chanter la gloire de Dieu et les bergers de s'attrouper. Car si la venue au monde comporte des risques, elle est aussi un formidable acte d'espérance dans l'avenir.

jeudi 22 décembre 2005

Viva Zapatero

J'ai adoré... C'est culotté, obstiné, drôle, terrifiant aussi car quelqu'un ose dénoncer l'anesthésie des consciences chez un de nos plus proches voisins.
C'est à une échelle bien moindre, mais pourquoi consentons-nous, à Dijon, à ce que l'information soit à ce point contrôlée par quelques personnes ?
En rentrant Mgr Jaeger évêque d'Arras déclarait sur France Info qu'il avait écrit à Sarkozy pour protester contre les traitements dégradants infligés aux étrangers dans la région de Calais.
Comment la rencontre est-elle possible ?

Une après-midi à la Fontaine-d'Ouche (un quartier de Dijon qui ressemble un peu au mien...), invité par le mouvement chrétien des retraités à parler de la charité aujourd'hui.
Au final, la conversation a porté sur l'accueil réservé aux Musulmans vivant ici. Qui, parmi nous, a reçu chez lui une famille musulmane ? Combien de Musulmans connaissent de l'intérieur une famille française, ont partagé un peu de son quotidien ? Bien peu, semble-t-il. Fort de mon expérience de cohabitation avec Samir, étudiant algérien qui vit dans mon appartement au presbytère, je me permets de les inviter à de telles rencontres.
Dans cette assemblée en majorité féminine, une objection fuse : il est prévu, dans la paroisse, une rencontre commune au moment de l'Epiphanie ; mais les Musulmans veulent que les hommes et les femmes prennent le repas séparément.
Ce n'est pas la seule difficulté. Etre musulman n'est pas seulement une question de croyance, mais d'abord de pratique : c'est une nourriture différente, un rythme de vie différent, un mois de jeûne au cours duquel l'identité particulière est très fortement affirmée. Avoir des amis musulmans, c'est se mettre à ce rythme, respecter ces habitudes ; la réciproque est impossible, car la concession est forcément du côté des Chrétiens qui ne connaissent pas d'interdits de ce type.
A quelle condition une rencontre est-elle alors possible ?

mercredi 21 décembre 2005

Désolé amis lecteurs, je reviens de trois jours de vacances dans le Sud-Ouest, me voici prêt à reprendre le fil de mon blog...
Il a fait beau et froid

vendredi 16 décembre 2005

Perle.

Entendu au caté, après avoir lu l'Evangile qui dit que le Fils de l'homme n'a pas une pierre où reposer sa tête : "Mais enfin, y en a partout des pierres !"

mardi 13 décembre 2005

Fidélité.

Il est là tous les matins que le Bon Dieu fait ; si par hasard j'ouvre l'église avec quelques minutes de retard, je le vois qui regarde la statue de la Vierge à travers la vitre. Il entre, se tient un moment dans le fond, puis s'avance et va poser son cierge. Une fois, quelqu'un lui a suggéré de rester pour la messe ; l'idée lui a paru aussi bizarre que si on lui avait proposé une partie de cartes.
Il y en a, du monde qui passe, dans cette petite crypte. Le cahier placé à l'entrée se couvre des prières que les gens de passage viennent adresser à la Mère de Dieu, les corbeilles de cierges se vident à bonne allure pendant que le tronc se remplit, des personnes de tous âges, de tous sexes et de toutes conditions viennent y prendre un moment de recueillement. Il y a la dame qui laisse des tonnes de cartes postales adressées à Dieu, le monsieur qui vient mettre sa bougie avant d'acheter Paris-Turf, l'étudiant qui angoisse avant l'examen (ah, le nombre de cierges qu'on consomme dans le courant du mois de juin), la grand-mère qui vient confier ses petits-enfants dont les parents divorcent... J'aimerais faire mieux connaître l'extraordinaire cahier sur lequel s'inscrivent à la queue leu leu toutes les petites et les grandes misères de notre monde.

dimanche 11 décembre 2005

Séparation

On a fêté vendredi l'anniversaire de la loi de séparation entre les Eglises et l'Etat... Il paraît qu'il y avait à Paris des manifestants qui scandaient des slogans un peu décalés, du genre "à bas la calotte"...
Cela me rappelle cette émission de télé à laquelle j'avais participé il y a quelques années ; il s'agissait de débattre autour du livre d'un ethnologue qui avait étudié les clercs comme s'il s'agissait d'une tribu amazonienne avec ses rites et ses croyances particulières. Il avait utilisé pour cela les manuels de formation des séminaristes datant du XIX° siècle, et j'avais été très gêné de lui dire que son travail n'avait pas beaucoup de pertinence pour notre époque. Pour une fois que le décalage entre l'Eglise et le monde ne venait pas de l'Eglise...

samedi 10 décembre 2005

Jeunes (2)

Comparer ce qui est comparable : quels mouvements en France peuvent prétendre, avec des moyens aussi faibles que les nôtres, rassembler autant de jeunes ?
Il y a les clubs de sport... Mais ils bénéficient d'un incroyable soutien médiatique et sont abreuvés de subventions.
Jeunes.

Les jeunes et l'Eglise, on écrit des livres là-dessus.
Personnellement, je me donne deux principes d'analyse :
1) ne pas se limiter à la présence des jeunes à la messe dominicale
2) comparer ce qui est comparable.
Un exemple : ce soir, il y a successivement le rassemblement mensuel de l'aumônerie, et la veillée de Noël des scouts (en avance, car dans une semaine ils seront partis en vacances...). Vont donc se retrouver à la paroisse 100 ou 150 jeunes et leurs parents qui ne sont pas encore très vieux ; personne ne les y oblige. Mais le dimanche, aucun d'entre eux ou presque ne sera à la messe.
Ces jeunes-là, leurs familles, sont-ils pour autant des non-pratiquants ? Ils sont en tout cas bien plus actifs dans la vie de l'Eglise que beaucoup de chrétiens qui se contentent de venir à la messe.

mercredi 7 décembre 2005

Deux jours à Strasbourg.

Je fais partie d'un petit club très sympathique : les vicaires épiscopaux de grandes villes, c'est-à-dire les prêtres chargés de l'animation pastorale des villes de, disons, plus de 150 000 habitants. Nous nous retrouvons chaque année, et cette fois-ci nous étions invités par les Strasbourgeois à visiter les Institutions européennes.
C'est beau. D'immenses bâtiments, au bord de l'eau : Conseil de l'Europe qui fleure bon les années soixante-dix, gigantesque Parlement européen, palais des Droits de l'Homme à l'allure plus ludique avec ses coupoles et ses portes de toutes les couleurs.
L'europessimisme est ici de rigueur, on est sous le choc de l'abandon du projet constitutionnel et personne ne voit comment sortir de l'ornière. Catherine Trautmann a été la seule à proposer une issue : l'union des Etats est achevée, on doit maintenant passer à la concorde entre les personnes. Pas mal !
On traite ici les religions comme de véritables partenaires : un bon nombre d'ONG confessionnelles participent aux travaux du Conseil de l'Europe, et le lobbying catho est extrêmement important entre les séances, même si l'essentiel se passe à Bruxelles. Gros décalage avec les invectives françaises et le refus d'envisager sérieusement le fait religieux dans notre pays.
Nous avons beaucoup parlé de cohésion sociale, et donc des immenses difficultés d'un bon nombre de familles. Les solutions proposées sont toutes d'ordre financier : subventions, allocations... mais surtout rien qui puisse suggérer un encouragement, par exemple, à former des familles stables.

vendredi 2 décembre 2005

ZEP

Il paraît qu'il y a en France 1,7 millions d'élèves scolarisés en ZEP (pour ceux qui ne le savent pas : les Zones d'Education prioritaires dont on parlé deux ministres hier). Ce qui représente le cinquième des élèves français.
Un élève sur cinq en ZEP, ça veut dire combien de familles confrontées à des difficultés sociales considérables ?
Cela représente quelle proportion de la population d'un pays qui vit dans des conditions d'exception par rapport à la normale ?
Il faut aller jusqu'où dans le cauchemar avant de se réveiller ?

jeudi 1 décembre 2005

Un truc pour les riches.

Dimanche dernier, j'aurais dû baptiser une fratrie de trois enfants. Des gens du quartier : on a eu la maman au caté. La voilà maintenant, encore toute jeune, à la tête d'une petite famille avec son compagnon (lequel n'est pas le père biologique de tout le monde, mais comme il est difficile d'avoir une idée précise là-dessus, pour simplifier les enfants portent le nom de leur mère).
Si ceux-là ont assez de ressource intérieure pour demander le baptême de leurs enfants, quelle doit être la situation familiale de ceux qui n'y songent même pas ?
On s'est tout de même enquis de savoir si les parrains choisis étaient eux-mêmes baptisés. La réponse du papa n'a pas manqué de sel : "Evidemment, ils sont baptisés, à la mairie ou à l'église mais ils sont baptisés".
Après un bon nombre de rencontres, l'équipe chargée de la préparation a fini par accoucher, avec eux, d'une célébration. On a fait un joli livret, on l'a photocopié, on a installé une cuve dans la crypte car le baptistère est trop froid à la mauvaise saison.
Et puis voilà, ils ne sont pas venus. La veille, ils ont laissé un message au répondeur : les grands-parents ont eu un accident de voiture sans gravité, mais qui les a trop choqués pour qu'ils puissent être là.
Le baptême est remis à plus tard.
Le baptême, c'est vraiment un truc pour les riches.

mercredi 30 novembre 2005

Débats

En Côte d'Or, les catholiques sont en débat. On les invite à participer à une grosse enquête sur ce qui doit changer dans leur Eglise. 500 réponses, la moitié provenant de collectivités (mouvements, associations, groupes informels) ; difficile d'être précis, mais on peut estimer entre trois et cinq mille le nombre de personnes qui ont participé.
Ca fait drôle de penser que l'Eglise puisse débattre. En y regardant de près, le débat est pourtant omniprésent : il n'est pas une décision du Vatican qui ne soit commentée et critiquée par la plupart des chrétiens. Les communautés paroissiales sont des lieux de débats incessants : il est fini, le temps où le curé était seul maître sur son territoire. L'autre jour, dans une petite église où je célébrais la messe, la seule idée de changer de place une statue dans l'église a provoqué une petite émeute qui a fait revenir illico sur la décision initiale. Sans parler des mouvements, des communautés religieuses... On ne compte pas le nombre de débats organisés en France sur les questions de société et les problèmes éthiques. La presse dite "catholique" est aussi pluraliste, sinon plus, que les journaux non-confessionnels.
Le problème : les débats, chez les Cathos, ne sont pas modérés de la même manière qu'ailleurs.
L'autre problème : un mastodonte qui s'appelle le Vatican et qui fascine tout le monde, à commencer par les médias ; tout ce qui en sort n'est pas compris comme un enrichissement du débat général, mais comme un coup d'arrêt à la réflexion. Nous sommes hypnotisés par sa puissance de communication. Il est devenu l'arbre qui cache à beaucoup de gens cette forêt bruissante d'énergies et de rumeurs qu'est le peuple de Dieu.

mardi 29 novembre 2005

Communautarisme ?

Entendu régulièrement dans la bouche de tel ou tel élu : sus au communautarisme.
Mais comment fait le maire de Dijon, ou un autre, pour constituer sa liste ? il choisit une dose de cathos, une pincée de Musulmans, un peu de Juifs, quelques maçons, un représentant des gays...
Je ne comprends donc toujours pas ce que signifie cette méfiance vis-à-vis des communautés. Sinon qu'on oscille entre le mépris officiel et la reconnaissance officieuse (officieuse voulant dire réelle, bien sûr).
Il en est ainsi, avec nos élus : pris individuellement, entre quatre-z-yeux, étonnants de sincérité ; en bloc et devant les caméras, ce ne sont plus tout-à-fait les mêmes.
Soyons honnêtes : avec les ecclésiastiques, c'est un peu pareil...

samedi 26 novembre 2005

Familles

Jasmine a vingt-cinq ans. Elle est issue d'une fratrie de quatre, de même mère et de pères différents. Son père à elle est marié et a une autre famille. La loi prévoit, paraît-il, que les enfants adultérins ont les mêmes droits que les autres ; pour Jasmine, et sans doute pour beaucoup d'autres, ce n'est qu'une fiction, elle sait bien qu'elle risquerait très gros si elle se hasardait à réclamer quoi que ce soit.
Jasmine est maman de deux petits dont l'aîné a huit ans. Son compagnon est parti, cela valait mieux dit-elle. Elle a quitté la boulangerie où elle travaillait et aujourd'hui vit d'allocations en attendant de trouver mieux. Elle fait partie de la petite troupe des mamans célibataires qu'on voit dans la journée promener leurs poussettes ou trainer leurs bambins par la main.
Pour elle, être mère célibataire, ça n'a pas le même sens que pour d'autres femmes qui ont un travail, qui savent faire valoir leurs droits auprès de leur conjoint, qui ont accès à tout ce qui lui est, pour de multiples raisons, refusé. C'est une grande force d'avoir ses propres enfants, c'est aussi une très grande fragilité. Comme beaucoup, si elle ne s'est pas mariée, c'est parce qu'elle est exclue du monde heureux où les gens se marient.
Dans "Le Bien Public" du 13 novembre : une enquête sur la vulnérabilité des familles montre à quel point l'équilibre familial est à la fois essentiel et de plus en plus précaire. Il est précaire précisément dans les foyers les plus fragiles économiquement et socialement, qui sont victimes d'une injustice supplémentaire. Cette enquête n'était sans doute pas nécessaire pour dire l'évidence : une famille, c'est le meilleur rempart contre les difficultés de la vie.

vendredi 25 novembre 2005

Deuils

La petite église est pleine à craquer. Il y a les amis, les voisins, les enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, l'équipe de paroissiens qui a préparé la célébration, l'autre équipe qui s'occupe de préparer l'église. Au premier rang, à côté de son fils, une très vieille dame : c'est son mari que l'on enterre. Ils ont tous deux 94 ans. Mais l'émotion, le chagrin, sont là bien évidemment. La vieilles ne rend pas la mort plus facile.
La célébration commence. Une amie prend la parole pour accueillir. C'est mon tour : quelques mots malhabiles (que dire en face du chagrin ?), une prière. Les petites-filles du défunt viennent lire la Parole de Dieu. Après l'Evangile, à nouveau un petit commentaire pour dire en quoi cette vie, dont je sais peu de choses, a pu accueillir Dieu et le laisser transparaître.
Personne ne se doute du travail accompli par l'Eglise quand elle aide des femmes et des hommes à vivre les premiers temps du deuil. Des paroles qui en d'autres temps ne disent rien, des gestes tout simples, prennent alors, dans la célébration des funérailles, une importance considérable.

jeudi 24 novembre 2005

Dire ? Ne pas dire ?

Faut-il raconter tout ce qui se passe dans un quartier, au risque d'en noircir l'image et de donner de mauvaises idées à ceux qui veulent se faire remarquer ? Manifestement (voir l'article sur la rumeur) les médias dijonnais ont pris le parti de parler le moins possible de ce qui se passe ici.
Je n'ai pas de réponse à cette question. Mais je peux vous dire que, quand vous voyez sous votre fenêtre des voitures qui brûlent (quand ce n'est pas autre chose) et que les journaux n'en parlent pas, vous vous dites :
- Premièrement, que ce qui se passe chez vous n'a pas beaucoup d'importance aux yeux du monde
- Deuxièmement, que ce n'est pas grave du tout, que c'est même tout-à-fait normal.
Alors, vous renoncez à vous alarmer devant tous ces petits faits qu'ailleurs on trouverait alarmants. Vous n'allez plus porter plainte, ni même signaler le fait aux policiers. Les statistiques officielles s'améliorent. Tout devient donc normal.
Rumeur

Les Grésilles : un quartier plein de rumeurs. Normal, puisqu'un tas de choses dont les habitants sont témoins ne sont pas relatées dans les médias locaux... et que finalement un certain nombre de ces rumeurs s'avèrent fondées.
La dernière en date : il y aurait eu un cambriolage à la poste samedi. Je regarde dans le journal : rien lundi, rien mardi... Alors, comme je dois aller poster un colis, je hasarde un "vous avez eu des émotions" à la dame du guichet. Et elle m'apprend qu'en fait de cambriolage, il s'agissait d'un hold-up qui les a tous bien secoués.
Je me souviens d'une autre de ces rumeurs. C'était il y a deux ans environ ; au bureau de tabac, Christophe me dit "vous savez la dernière ? on a enlevé un enfant, dans la rue, sous les yeux de sa grande soeur qui le ramenait de l'école". Là, je trouve ça un peu gros. Rien dans les journaux. Je n'y crois donc pas. Et puis voilà, au bout d'une semaine environ, un titre du Bien Public : "L'enfant enlevé aux Grésilles a été retrouvé". Comme si tout le monde était au courant, comme si le journal avait, jour après jour, tenu en haleine tous ses lecteurs. Le gamin avait été enlevé en pleine rue, la frangine chargée de transmettre à ses parents le message des ravisseurs. La raison : le grand frère vendait de la drogue et essayait de truander ses parrains, qui avaient organisé le kidnapping en représailles.

mardi 22 novembre 2005

Etrangers (suite)

Elle s'appelle Catherine. Avec ses petits qui s'accrochent à elle, je la vois depuis quelques dimanches au fond de l'église. Une petite famille de Noirs qui ne doit pas avoir chaud en ce mois de février. A la sortie de la messe, je réussis à lui parler.
Elle me dit simplement qu'elle et ses cinq enfants sont arrivés du Congo peu avant Noël ; ils logent dans une chambre au Centre de Rencontres Internationales. On leur sert un seul repas par jour, ils n'ont aucune ressource.
Cinq enfants et une maman dans une chambre d'étudiants depuis un mois ? La conférence Saint-Vincent de Paul, alertée, ainsi que le Secours catholique se mobilisent : on lui trouve de la nourriture, on s'occupe de les aider à trouver un logement plus décent. Et comme une paroissienne m'a demandé de leur donner de l'argent de sa part, je vais leur rendre visite.
A l'accueil du Centre, je demande naïvement à parler à la dame congolaise qui habite là, car je ne connais pas son nom. Erreur : elle n'est pas la seule... renseignement pris, il y a ici un étage plein de réfugiés qui attendent de voir leur situation régularisée. Encore quelque chose dont on ne parle pas.
Etrangers

C'est un fait admis de tous : les Grésilles sont l'un des quartiers de Dijon qui accueille le plus d'étrangers. On fait souvent le lien entre cette particularité et les difficultés qu'y rencontrent les habitants dans leur vie quotidienne.
Environ trente pour cent des citoyens des Grésilles ne sont pas français. Ca fait beaucoup, c'est vrai. Cela ne tient évidemment pas compte de l'immigration irrégulière.
Mais qu'est-ce qu'un étranger ? La réponse n'est pas la même, selon que l'on est un agent de l'INSEE ou un habitant du quartier. Et c'est dommage, car les relations de voisinage sont construites sur le ressenti, alors que la politique de la ville s'appuie sur une information statistique. Dans la vie, la religion, la couleur de la peau, sont bien plus importants que la nationalité.
Il est impossible de savoir, à partir des chiffres officiels, combien les Grésilles comptent de Musulmans, combien il y a de Noirs. Les habitants, eux, ont leur idée là-dessus. Et cela compte bien plus que tous les chiffres qu'on pourra trouver dans les enquêtes de l'Insee. Plus grave encore : cet écart entre le ressenti et l'histoire officielle discrédite insidieusement toute information en provenance des administrations et des médias.

lundi 21 novembre 2005

On s'habitue à tout

Commencer par la violence ?
Bon, avouons-le, tout le monde l'attend quand on parle des Grésilles. Alors, même si c'est un peu facile, parlons-en.
Samedi après-midi, vers 17 heures, en revenant de faire des courses, une grosse colonne de fumée noire, au-dessus de la barre d'immeubles que l'on voit de la rocade. Deux voitures brûlaient avenue Champollion.
Au même moment, à la radio, j'entendais le communiqué déclarant que la situation dans le pays était revenue à la normale : il n'y avait eu que cent voitures brûlées en France la nuit précédente. Cent voitures par nuit, ca fait plus de trente-cinq mille par an. On se fait à tout, apparemment.
C'est bien ça le problème ; on a fini par s'habituer à ce qui n'est tout de même pas normal. Des poubelles qui brûlent dans une cage d'escalier, c'est devenu, dans certains immeubles, tellement habituel. Une voiture qui brûle de temps en temps, on s'y habitue aussi. Du moment que les gens ne brûlent pas ! Une cabine téléphonique en miettes, un abribus en morceaux, une devanture de magasin défoncée, autant de petites choses qu'on remarque à peine le matin quand on va acheter sa baguette de pain. Mais c'est vrai qu'on s'est habitué aussi à beaucoup d'autres choses qui semblaient anormales quand elles sont apparues dans notre quotidien : les gens qui ne vivent que grâce aux allocs, les familles qui partent en javelle, les fenêtres qui se ferment de plus en plus tôt dans la journée parce qu'on n'a pas trop envie de voir ce qui se passe dehors.
Le problème, c'est que justement, la violence, c'est ceux d'ici qui la supportent, en plus de tout le reste. Et que ça fait encore plus mal.
Ici, donc, on s'est habitué à tout cela. On va s'habituer aussi à une ou deux explosions de violence de temps en temps, dans une banlieue ou dans une autre. Vous allez voir, on s'y fait très bien.

dimanche 20 novembre 2005

Voilà, je me lance...
Zut, tout le monde commence son blog comme ça, non ?
Ce qui m'a décidé : les "événements", ces deux ou trois semaines auxquelles on n'a pas réussi à donner un nom, sans trop savoir s'il s'agissait d'une révolte des Cités, d'une insurrection de la racaille, d'une guerre civile ou d'un guerre des gangs entre trafiquants.
Mon idée : au jour le jour, vous raconter ce que je vois de la fenêtre de mon presbytère, ce que j'entends dans la rue et chez les commerçants, bref la vie de ce quartier des Grésilles qui fait si peur à beaucoup de gens à Dijon mais dans lequel il ferait si bon vivre s'il n'y avait pas... tout ce qui ne va pas, justement.
Je tâcherai aussi d'y installer quelques photos pour agrémenter ton ordinaire, ami lecteur.
A bientôt, j'ai hâte de commencer