mercredi 30 mai 2012

Nouvelles familles dans la vie paroissiale (1)

Nul besoin, pour un curé, d’attendre la victoire de la gauche aux législatives pour être confronté aux nouvelles formes de vie conjugale et familiale. Catéchisme, baptêmes, mariages, obsèques, obligent à fréquenter l’humanité dans toute sa glorieuse et inquiétante diversité. Ici commence une série de billets qui ont l’ambition de montrer comment, concrètement, les communautés chrétiennes sont confrontées aux évolutions des mœurs, avant même que de nouvelles lois viennent en rajouter encore à la complexité des situations.

Petit retour en arrière : au début de la vie de ce blog, j’étais curé de la paroisse des Grésilles ; tous les Dijonnais connaissent ce quartier, les difficultés de ses habitants, ses poussées de violence, les trafics en tous genres qui lui ont valu longtemps la réputation d’une zone de non-droit – réputation qui perdure malgré les opérations de renouvellement urbain.

Dans les grandes barres d’immeubles, on a compté, fut un temps, jusqu’à 60% de mamans célibataires. On les rencontrait partout, ces très jeunes femmes, la poussette dans une main et le sac à provisions de l’autre, pauvrement vêtues et manifestement désœuvrées. Quand par hasard l’une d’entre elles poussait la porte du presbytère pour faire baptiser le (les) petit(s), c’était pour évoquer l’océan de difficultés dans lequel elles se débattaient : économiques, sociales, affectives, morales…

C’était aussi l’époque où la vie privée des élus commençait à se faire plus voyante. Nous nous y sommes habitués : bien des hommes politiques tournent le dos au mariage, ou forment des familles recomposées toujours décrites sous le jour le plus avantageux. Couples modernes à l’Elysée, compagnes élégantes choisies dans le meilleur monde (si possible médiatique), compagnons discrets que l’on imagine mal torchant les enfants pendant que maman trime dans son ministère ou sur les bancs de l’Assemblée, c’est une image heureuse de la famille nouvelle qui se diffuse par le biais de nos élites. Voir mes petites mamans, sur le banc du square, plongées dans la lecture de Gala et y découvrir avec intérêt la vie décomplexée de leurs dirigeants, me plongeait alors dans des abîmes de perplexité. Car leur quotidien à elles n’avait rien à voir avec celui de ces couples. Chez les riches et les puissants, ce n’est pas bien grave de divorcer, de vivre en concubinage, de changer de temps en temps de partenaire sexuel. Chez les pauvres, c’est ajouter l’instabilité affective à la précarité économique. Que les parents de Thomas Hollande ou de Martin Chirac ne se soient jamais mariés ne leur portera jamais préjudice ; il n’en va pas de même de ces petits baptisés élevés par des pères de passage, dans des fratries à géométrie variable où ils peinent manifestement à trouver les repères indispensables à la construction de leur personnalité. Il m’est souvent revenu alors cette phrase entendue au Conseil de l’Europe, lors d’une rencontre avec un fonctionnaire chargé des questions de politique familiale : il n’est pas question, en Europe, d’imposer un quelconque modèle de vie de famille. Mensonge : c’est bien un modèle que donnent nos élus, sans doute à leur corps défendant mais le fait est là.

En changeant de paroisse, je m’attendais à trouver un autre paysage, plus paisible, plus bourgeois pour tout dire. Grossière erreur : les classes moyennes ne me paraissent pas plus épargnées que les autres par les ravages produits par la modernité dans la vie familiale. A l’école Saint-Pierre, les bons élèves sont invariablement ceux dont les parents forment une union stable et qui ont su leur donner de quoi construire leur vie d’adulte de demain. Tous les professeurs savent que, derrière l’enfant agité, se cache souvent une famille compliquée.

(A suivre)

lundi 7 mai 2012

La présidentielle, vue d'Afrique.

Pendant trois semaines, j'ai décroché : plus d'internet, et des communications téléphoniques tellement chères que j'ai laissé mon i phone tranquille. Oui, j'étais en Afrique, et pas n'importe laquelle : à 120 km de Kinshasa, dans un séminaire sans eau courante ni électricité (ou si peu).

Trois semaines en RDC (ex-Zaïre) en plein pendant la présidentielle, ça vaut son pesant d'arachide. Et ça passionne tout le monde, prêtres et séminaristes : vous comprenez, M. l'abbé, chez nous il n'y a pas la démocratie, on ne peut pas dire ce qu'on pense vraiment du président. En plus, la France...

Alors, le soir des résultats du premier tour, tout le monde est devant la télé, et on découvre avec surprise que Sarkozy n'est pas passé du premier coup. Le petit brun qui n'a plus de voix, là, qui est-ce ? Et la blonde, c'est la fille de Le Pen ? Là, on s'y retrouve, c'est comme chez nous. Ah bon, Hollande c'est le père des enfants de Ségolène ? Tiens, décidément... Ah, le fils de Sarkozy fait de la politique ? Baroin, c'est le fils de Baroin ? Kosciusko-Morizet, pareil ? Je m'arrête là, parce que je ne sais pas tout sur les généalogies et les amours des uns et des autres, mais ils ont compris : démocratie ou pas, la politique, ça va avec la famille.

Et l'argent ? Le président français gagne 200 000 euros par an. Réaction unanime : "Ce n'est pas beaucoup." Il y a donc pire que nous. En effet, le lendemain, à l'occasion des funérailles d'un monsieur très connu dans la ville où j'habite, je fais connaissance du gouverneur de la province. Jamais je n'avais vu une aussi grosse bagnole : à peu-près de la taille d'une maison. Je me suis demandé combien de temps M. Sarkozy devrait travailler pour s'en offrir une comme ça.

La campagne continue, sur France 24 on peut la suivre tous les soirs. On voit M. Hollande sous un parapluie, M. Sarkozy devant un micro. Ils se répètent un peu. Les sondages, eux aussi, se répètent : 52/48, depuis six mois, mais on a l'air de dire que ça peut changer. Ici, tout le monde traduit : on ne va quand même pas gâcher la fête en disant que c'est cuit d'avance, alors on fait semblant d'y croire pour se prendre au jeu.

Il y a des meetings : que de monde, les Français sont vraiment passionnés par la politique. Et moi, rabat-joie : ils viennent de toute la France, mais on leur a payé le voyage et ils ont à manger. Bon, alors c'est aussi comme chez nous.

Le soir du débat, c'est la veille de mon départ. Par précaution, nous avons déjà quitté le séminaire et dormons à Kinshasa, car l'état des routes rend aléatoire tout déplacement et je n’ai pas envie de rater mon avion. En ville, le seul mot que je comprends c'est "Sarkozy", ça se dit pareil dans toutes les langues. Après une heure, avec les confrères présents, nous avons décidé d'aller boire une bière à une jolie terrasse, sur la place qui se trouve à côté de la maison où nous logeons. Devant nous, une voiture tombe dans un trou. C'est quelque chose qu'on ne voit qu'ici. Des passants se précipitent et on la sort de ce mauvais pas.

Partout pareil, la politique ? Pas tout-à-fait quand même. Entre les deux tours, je suis allé rendre visite à l'évêque de Kisantu. L'état de la route est épouvantable, malgré les travaux réalisés l'année précédente par les Chinois. L'évêque me dit alors que des habitants de la ville sont venus le trouver pour lui demander de patronner leur initiative : ils sont allés rencontrer des élus locaux et leur ont donné une liste de choses à faire pour que la vie change enfin, ici. Des choses élémentaires : réparer les routes, assurer la distribution de l'électricité, procurer des médicaments, faire en sorte que les enfants apprennent à lire. En RDC, si on veut être soutenu par quelqu'un qu'on sait absolument honnête, c'est vers l’Église qu'on se tourne.