jeudi 15 novembre 2012

Jamais devant les copains.

L'enseignement catholique permet quelque chose que les écoles laïques interdisent : on peut aborder avec les élèves les questions de foi, en-dehors de tout prosélytisme. Au lycée Saint-Joseph de Dijon, il existe un "temps d'échange" hebdomadaire, animé par divers intervenants sur un tas de sujet, auquel toutes les classes participent, et dans lequel l'aumônerie intervient à trois reprises, sur le sujet : "À quoi ça sert de croire ?"

C'était mardi dernier. Je rencontrai une classe de seconde, qui avait discuté la fois précédente de ce en quoi ils croient. Je connaissais les réponses par Dominique, l'adjointe en pastorale : tous croient en leur famille, en leurs amis, certains en des valeurs, un seul en Dieu. Comme par hasard, c'est aussi le seul musulman de la classe, qui me dit au cours de la discussion n'avoir jamais rencontré un seul chrétien de sa vie.

Après la séance, Dominique me dit : Un Tel là au fond, il vient très souvent à l'aumônerie ; tel autre a fait sa confirmation l'an dernier ; un autre encore est un pilier du groupe de jeunes de sa paroisse. Aucun n'a fait part, non seulement de ses convictions, mais même de son expérience de vie en Église.

dimanche 4 novembre 2012

Fin de série

Voilà, c'est fini. Les flics ont tout nettoyé, ce filou de père supérieur à été viré par l'autre crapule en soutane rouge, et Dominique est enfin aux manettes pour remettre de l'ordre dans le chaos. Le séminaire est définitivement (?) parti en vrille, mais sur les cinq séminaristes, trois finalement ont tenu le coup, et les deux autres n'ont sans doute pas dit leur dernier mot. La deuxième saison est paraît-il déjà dans les tuyaux, on l'espère mieux documentée que la première, mais on se doute tout de même que le bazar va revenir, tant il semble appartenir à l'essence même de l’Église.

Comme tout a déjà été à peu-près dit sur le caractère caricatural des personnages et des situations, voire la naïveté de certains dialogues (ah, cette tête d’œuf de secrétaire qui veut envoyer le Secours catholique nettoyer les ordures devant la basilique, mais où a-t-il trouvé une idée pareille ?), je m'abstiendrai d'en rajouter une couche. Mais quand même : en une seule année, il s'en est passé plus dans ce séminaire que dans toute une vie de prof. Ils en auront des choses à raconter aux jeunes, les Guillaume et compagnie, quand ils seront de gros curés repus de messes, au cuir tanné par les enterrements.

Tout de même, une question : pourquoi tout le monde est-il si triste ? Car autant que je m'en souvienne, les plus beaux fous-rires de ma vie, c'est à la chapelle du séminaire, dans la salle à manger, pendant les cours aussi, que je les ai piqués... J'en témoigne ici : le séminaire ne paraît triste qu'à ceux qui n'ont rien à y faire.

Alors, comment se fait-il que, comme quelques centaines de milliers de téléspectateurs, j'aie pris autant de plaisir a suivre cette intrigue abracadabrante ?

D'abord parce que, sans être génialement réalisée, la série se laisse regarder, les acteurs sont bons, et les personnages finalement plutôt sympathiques.

Mais aussi, parce que, au fil des épisodes, j'ai cherché, comme tout le monde, à répondre à deux questions.

La première : comment un Église aussi débile et gouvernée par de pareils incapables fait-elle pour afficher depuis deux mille ans une santé aussi éclatante ? Entendons-nous bien : Benoît XVI n'est pas Grégoire XVII, le président des évêques de France ne pense pas qu'à sa soutane, bref tout ce qui est dit dans la série relève de la fiction. Mais bon, dans la vraie vie, ils ont aussi leurs défauts. Quant à l'Eglise, elle n'est pas en super-forme, mais elle est toujours là. Alors, derrière le roman, le message est assez juste : là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie, et si l'Eglise survit à toutes ces turpitudes, c'est qu'il doit bien y avoir autre chose derrière.

La deuxième : qu'est-ce qui fait que de jeunes hommes, que rien ne distingue en apparence d'autres jeunes de leur génération, continuent à vouloir se consacrer à Dieu dans le sacerdoce ? C'est pour moi la grande réussite du film : ne pas se prononcer là-dessus. Reprendre, à son insu peut-être, le "tout est grâce" de Thérèse et de Bernanos. Car finalement, malgré (ou avec, ou à cause de ?) tout ce qui leur arrive, leurs péchés, leurs misères, leurs erreurs de parcours, on sent bien qu'à la fin de la Xième saison, ils vont y arriver, les gars, à l'ordination. Et qu'ils vont nous faire de bien braves curés. Alors, le prêtre que je suis, et tous ceux que je connais, reconnaissent en eux quelque chose de leur propre histoire : quand Dieu a quelque chose dans la tête, pas facile de le faire changer d'avis.

mercredi 3 octobre 2012

Nouvelle évangélisation (4) : aimer le monde en s'opposant à lui.

Koz et Doudette sont deux blogueurs invétérés. A la fois semblables, et absolument différents. Leur dernier billet, dans lequel l'un répond à l'autre, illustre à merveille ce qu'il y a de "nouveau" dans la "nouvelle évangélisation" : il ne s'agit pas seulement d'inventer de nouvelles méthodes pour une évangélisation plus performante, mais de répondre à une évolution des mentalités en parlant un langage nouveau. Et leur dialogue permet de comprendre pourquoi, aujourd'hui, et malgré tous les efforts des enfants de Vatican II, l’Église (catholique, s'entend) ne peut être qu'à contre-courant de son temps, et pourquoi elle est, envers et contre tout, contrainte d'aimer ce temps-ci comme elle l'a toujours fait.

Koz et Doudette, en apparence, tout les oppose : d'un côté, une femme, juive, libérale, athée, qui reprend à son compte l'expression "ni Dieu, ni maître" ; de l'autre, un catho capable de digérer toutes les couleuvres que l’Église lui fera avaler, tant il fait profession de fidélité inébranlable au magistère.

Pourtant, dans leurs veines, circule le même sang spirituel. "Spirituel", au sens de l'esprit commun d'un monde et d'une époque. Ils ne font confiance qu'à leur raison, nourrissent un amour immodéré de la liberté, ne reconnaissent d'autre autorité que celle de la loi (et comme ils sont juristes, on se doute que même la loi...). On devine que la vie idéale, pour eux, c'est celle qu'ils construisent à leur guise.

Cet idéal pourrait faire d'eux d'insupportables égoïstes. Il n'en est rien, car ils sont capables de le questionner, et ils le font en ligne quotidiennement. Doudette ne croit pas en Dieu, mais il lui arrive de prier ; Koz avoue son égotisme, mais il sait comme Newman que c'est là que réside la vraie modestie (Oui, Koz a lu Newman).

En réalité, Koz et Doudette sont comme tout le monde : des gens qui s'en remettent d'abord à eux-mêmes, qui se rient des traditions, qui n'aiment pas être emprisonnés dans des institutions, qui demandent qu'on leur donne raison de tout, qui pensent qu'une vie réussie est une vie qu'ils ont construite eux-mêmes, qui vivent dans un monde créé par les hommes. Or, l’Évangile, c'est a priori le contraire : le monde est créé par Dieu, une vie réussie est une vie perdue, il y a plein de choses qui ne s’expliquent pas, et tout ça est affirmé froidement au nom de la tradition par l'institution la plus caricaturale qui puisse s'imaginer (l’Église catholique, ma mère). D'où un gros malaise. On voit bien que plus ça va, plus le fossé ne peut que se creuser, en apparence du moins, entre l’Église et ce monde-ci.

C'est là que les histoires de Koz et de Doudette nous intéressent. A cause des questions qu'ils se posent. Car petit à petit, un doute s'est insinué en eux. Et si, finalement, la vie était donnée plus que construite ? Mais alors, donné par qui ? Y a-t-il un don s'il n'y a pas de donateur ?

C'est là que j'ai envie de les prendre par la main. On continue à se questionner. On pense aux grands moments où l'on reçoit sa vie de quelqu'un d'autre. A la naissance - ou au moment où on donne soi-même la vie. A l'amour. A la mort, qui nous rappelle que nous ne sommes décidément pas les maîtres de cette foutue vie. D'où vient cette émotion qui s'empare de toi, à la naissance de chacun de tes enfants ? Pourquoi cette chaleur qui t'envahit au moment où tu parles de toi à celle que tu aimes ? Quel est cet abîme qui s'est creusé au jour où ton frère est mort ? Ces moments-là sont des moments où le ciel s'est ouvert - c'est-à-dire : où est apparu quelque chose d'une vie plus grande. Pile poil les moments où l’Église nous rejoint - baptême, mariage, funérailles. Je parle de l’Église parce que je suis catho, hein Doudette, mais je serais autre chose, je pense que je dirai à peu-près pareil sans parler d'elle.

Je continue. Quand on reçoit, on dit quoi ? On dit "merci". Oui, mais à qui ? Justement. L’eucharistie, chez nous, c'est ça : le Merci que l'homme dit à son Dieu. Et on devient débiteur - la prière que Jésus nous a apprise demande à Dieu de nous remettre nos dettes, parce que cette dette-là nous ne pourrons jamais la rembourser.

On pourrait continuer ; aux limites de la modernité, il y a place pour une catéchèse pour l'homme (la femme, puisqu'il faut toujours préciser) moderne. On comprend pourquoi l’Eglise va à contre-courant du monde, et pourquoi elle s'en prend plein la tronche. On comprend aussi que ce monde rêvé n'est pas un monde idéal, et que l'honnêteté conduit forcément à le questionner, à envisager une vie autre, à s'y engager peut-être. Si la foi n'est pas alors en jeu, vous conviendrez qu'elle n'est pas bien loin, et qu'il y a là un boulevard pour l’Évangile. Enfin, on comprend pourquoi l’Église est condamnée à aimer ce monde avec lequel elle est si profondément en désaccord : car ce qu'on vient d'écrire ne peut être entendu que sur la toile de fond d'une bienveillance profonde, d'un amour sincère pour les personnes à qui on s'adresse, d'une vie fraternelle. Il ne s'agit pas de juger : il s'agit de faire comprendre que la voie sur laquelle on s'engage est sans issue. Il ne s'agit pas de condamner ou de punir, mais d'appeler à la conversion. Jésus ne fait rien d'autre, lorsqu'il annonce que le Royaume de son Père est tout proche de nous.

mardi 2 octobre 2012

En attendant de reprendre le fil de mes billets...

... Deux liens à honorer :

- Ce soir à 18h30 : marche silencieuse à Grenoble, en mémoire de Kevin et Sofiane, massacrés la semaine dernière dans un joli jardin public au pied des montagnes...

Kevin est le fils d'une amie d'amie, si on ne peut pas marcher, on peut au moins prier.

- Quand vous aurez un peu de temps devant vous : allez voir l'admirable texte de la conférence des évêques de France à propos du "mariage pour tous". Il me dispense d'ajouter mon grain de sel au débat... Tout y est dit, avec respect, mieux : amour. C'est long (dix pages). Mais on ne peut pas dire en trois lignes tout ce qu'il y a à dire sur ce sujet : à la fois, qu'on ne peut pas être d'accord avec un projet à ce point bâclé, qui remet en cause autant de choix fondamentaux pour notre société ; et que l'amour, quel qu'il soit, est toujours digne de considération.

vendredi 28 septembre 2012

Prêtres, paroisses, nouvelle évangélisation (3)

Un des bons côtés de la modernité, c'est qu'elle nous force à mieux parler de la foi : non pas une somme de connaissances sur Dieu, mais la connaissance de Dieu. Explication : nous pouvons connaître des tas de choses sur des tas de gens sans les connaître vraiment ; ainsi en va-t-il de Dieu : ce n'est pas parce que nous savons des choses sur lui que nous le connaissons. La foi est de l'ordre de l'expérience, de la rencontre, de l'amitié avec une personne. C'est à partir de cette rencontre que nous pouvons construire un discours sur Dieu, nous mettre à l'écoute de sa Parole, nous efforcer de vivre selon ses commandements, bref de croyants devenir disciples (c'est d'ailleurs dans ces termes que s'exprime le document préparatoire au Synode romain à venir sur la nouvelle évangélisation).

Évangéliser, c'est d'abord faire des croyants, c'est-à-dire permettre à des personnes de rencontrer Dieu, et plus spécifiquement le Dieu de Jésus-Christ. C'est là que nos bonnes vieilles paroisses se révèlent  d'irremplaçables outils d'évangélisation. D'abord parce qu'elles sont un formidable réseau de lieux de prière. Dès qu'une église est ouverte, il y a des gens, de tous âges, de toutes conditions sociales, de toutes religions, pour entrer et vivre quelque chose que l'on ne trouve nulle part ailleurs - le silence, le recueillement, le temps donné à rien d'autre qu'à Celui qui est là et à qui on parle dans le secret. Ouvrez votre église le matin, installez une statue, un carton de cierge et un tronc, repassez le soir : vous verrez ce qui s'est passé.

Lieux de prière, les églises sont aussi des lieux de célébration. La liturgie est une autre manière d'expérimenter la foi. Là encore, les paroisses possèdent un patrimoine unique, qu'elles ne doivent brader à aucun prix : la célébration des sacrements et des rites de l’Église est un temps qui ne laisse personne indifférent, à condition qu'on en fasse de véritables occasions de rencontrer Dieu. Entendre un papa et une maman parler avec tendresse du baptême de leur enfant, voir de jeunes mariés retrouver les photos de leur mariage, sentir l'émotion des familles lors de la préparation et de la célébration des obsèques, dire à ceux qui veulent rencontrer le prêtre "Le meilleur moyen de me voir, c'est de venir à la messe, j'y suis tous les dimanches", inciter les parents du caté à accompagner leurs enfants le dimanche à l'office... Tant d'occasions de vérifier qu'il n'y a pas d'un côté la foi, de l'autre la pratique, mais que la pratique est la foi, car elle est le lieu privilégié d'une rencontre avec le Dieu de Jésus-Christ.

L'importance renouvelée accordée à la liturgie et à l'église comme lieu de prière et non pas seulement de rassemblement est un point qui n'est pas compris par tout le monde. Évangéliser, n'est-ce pas plutôt aller à la rencontre des gens ? Pourquoi ne pas célébrer l'eucharistie, les sacrements, dans les maisons particulières ? Les mariages, près du lieu où aura lieu la réception ? Les obsèques au funérarium ou au crématorium ? D'où, quand on aborde ce sujet, le sentiment diffus d'un retour en arrière, d'une insistance sur une pratique religieuse que l'on pensait avoir dépassée, ou du moins largement relativisée.

Il me semble que cette incompréhension a une origine profonde : on ne réalise pas à quel point le changement de culture qui a été vécu avec l'entrée dans la modernité, puis dans l'hyper-modernité d'aujourd'hui, a transformé le but poursuivi dans la pastorale. Il y a encore quarante ans - à l'époque où j'allais moi-même au catéchisme - quasiment tout le monde était baptisé, connaissait la liturgie, avait une culture chrétienne minimum. En un mot : tout le monde était présumé croyant, et était déjà rentré dans une église. De ces croyants, il s'agissait de faire des disciples, c'est-à-dire leur proposer de se mettre à la suite du Christ en écoutant ses conseils, en s'efforçant de vivre selon sa Parole. Il s'agissait d'approfondir une pratique souvent sociologique, d'en faire découvrir le sens, de traduire sa foi dans la vie quotidienne.

Le monde a changé - et c'est pour cela qu'il est important de penser une nouvelle évangélisation : très peu de personnes, surtout parmi les jeunes, fréquentent l'eucharistie du dimanche ; de moins en moins d'entre eux sont baptisés ;  il importe donc de permettre à ceux qui viennent de faire l'expérience de la foi. Dans ce monde-là, la foi et la pratique ne s'opposent pas, mieux : elles ne sont pas le prolongement l'une de l'autre, comme si la pratique était l'actualisation de la foi. La pratique religieuse est le lieu même de l'expérience de foi.

mercredi 19 septembre 2012

Prêtres, paroisses, nouvelle évangélisation (2)

Les personnes qui fréquentent occasionnellement ou régulièrement l’Église ont une caractéristique : elles estiment que la foi est une démarche éminemment personnelle.

Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas seulement d'affirmer l'importance de la liberté dans l'acte de croire - il n'y aurait là rien de nouveau. La vraie nouveauté est que cette foi va s'exprimer, dans le domaine liturgique en particulier, de manière à affirmer l'originalité d'une quête de Dieu qui appartient à chacun. Il y a là une question de sincérité, de vérité : appliquer platement les rites de l’Église pour un mariage, un baptême, des funérailles, est compris comme quelque chose d'hypocrite. D'où une inflation considérable de l'importance accordée à la préparation de ces célébrations, qui a pris dans l'emploi du temps des prêtres et de leurs collaborateurs une place qu'elle n'avait pas auparavant. Il y a un demi-siècle, lorsque mes parents se sont mariés, il leur avait suffi de rencontrer l'organiste pour choisir les pièces musicales qui seraient jouées lors de la messe. Aujourd'hui, chaque célébration est le fruit d'un long marchandage entre le prêtre et les personnes concernées, au cours de laquelle les uns s'efforcent d'introduire le plus possible d'éléments personnels (musiques, interventions diverses, parfois réécriture d'une partie du rituel), tandis que l'autre rappelle que l’Église ne s'invente pas purement et simplement au gré des humeurs de chacun. Celles et ceux qui choisissent de se couler dans le rituel le font également par conviction, et non par esprit d'obéissance, ce qui montre bien que tout le monde raisonne de la même manière.

Il est aisé de comprendre les difficultés rencontrées. Les prêtres sont désorientés devant certaines demandes. Le nombre important de rencontres, l'individualisation des parcours, oblige à une attention aux personnes qui encombre les agendas et donne souvent l'impression de succomber à la réunionnite. Quant aux chrétiens, ils n'acceptent pas facilement les exigences (souvent minimales) posées par leur curé, alors perçu comme autoritaire ou clérical.

Cette évolution est liée à une vague de fond, à un désir profond que nul ne songe à remettre en cause tant il est étroitement lié à nos modes de vie et semble plein de promesses d'un avenir meilleur. La vie bonne, c'est celle que l'on construit comme on l'entend, en fonction de ce que l'on ressent au fond de soi, la seule limite admise étant la gêne que l'on impose à autrui. C'est ainsi que s'explique l'évolution de nos sociétés, soucieuses de permettre à chacun de vivre cet idéal : aucune loi ne saurait être un obstacle au bonheur compris de cette manière ; la loi n'a pour but que de favoriser cet épanouissement de soi-même. La vie de foi, la vie "spirituelle" dit-on souvent, ne fait pas exception à la règle : chacun la construit, en fonction de rencontres, de lectures, d'expériences qui lui sont propres. En matière de foi, il n'est pas de loi qui compte.

Dans un tel contexte, qu'est-ce qu'évangéliser ?

C'est d'abord prendre en compte le caractère irréversible, au moins à court et moyen terme, de cette manière d'être. S'y opposer frontalement ne sert à rien, c'est même contre-productif et conduit inévitablement à des conflits destructeurs et stériles.

Mais cela ne signifie pas qu'il faille tout accepter sans discernement : il faut plutôt entrer dans une négociation, ce à quoi les prêtres ne sont pas préparés. Dans ce monde-là en effet, l'autorité donnée par l'ordination n'a pas beaucoup de poids ; chacun se situe sur un pied d'égalité, et les arguments avancés le sont au nom de la raison commune, et non de la tradition ou de l’Écriture. Un prêtre qui ne serait pas capable de justifier ses positions n'aurait d'audience qu'auprès des convaincus, ce qui serait l'exact contraire de l'évangélisation.

Évangéliser, c'est aussi éveiller à une attitude critique vis-à-vis de cette vulgate "hyper-moderne". La liberté, la possibilité d'être acteur de sa propre vie, sont certes de bonnes choses. Mais cette manière de voir, lorsqu'elle est poussée à l'extrême, devient une idéologie, qui occulte des réalités bien plus fondamentales. Est-il exact de prétendre que la vie est pure construction subjective, alors qu'elle est en réalité reçue d'autrui, dès la naissance et jusqu'à son terme ? La naissance d'un enfant est l'un des moments où l'on expérimente le plus fortement que nul ne choisit d'entrer dans l'existence. Au moment de leurs noces, les époux sont tous capables de comprendre que l'amour est un don, même s'ils ont l'impression de "construire leur couple", pour reprendre une expression malheureuse souvent utilisée par les équipes de préparation au mariage. Enfin, la mort d'un proche permet évidemment de mesurer la vanité d'un projet de vie qui s'est trouvé mis à l'épreuve par la vie elle-même et ses inévitables aléas. Ces trois remarques font apparaître toute l'importance de la célébration des temps forts de l'existence par les rites de l’Église : baptêmes, mariages, obsèques sont des moments irremplaçables au cours desquels doit être dite une parole sur le sens de la vie et l'ouverture à Dieu. Ils sont par là même des lieux essentiels de l'évangélisation. Et ce, d'autant plus qu'ils permettent également au plus grand nombre de découvrir la foi pour ce qu'elle est : une expérience de Dieu, une rencontre avec le Dieu de Jésus-Christ, qui transforme la vie de ceux qui en sont l'objet.

(A suivre)

mercredi 5 septembre 2012

Un curé devant la nouvelle évangélisation (1)

Je reçois souvent d'anciens paroissiens partis fonder au loin une famille ; il reviennent pour un baptême, pour les obsèques d'un parent. Ces visiteurs évoquent toujours avec sympathie la vie qu'ils ont connue autrefois dans les vieux murs du presbytère. Les souvenirs tournent autour de la figure d'un prêtre, d'une religieuse, qui les ont marqués ; il y avait alors toute une activité qui leur paraît avoir disparu : les messes, le catéchisme, les enfants de chœur, les scouts, les Cœurs vaillants - Âmes vaillantes... Des centaines et des centaines d'enfants et de jeunes. Le curé était une figure respectée, parfois crainte, parfois aimée ; les jeunes vicaires s'attiraient souvent la sympathie générale, par la modestie de leur vie et la générosité avec laquelle ils se donnaient à leur ministère. Quant aux sœurs, leurs activités professionnelles (en général médicales) leur permettait de connaître toutes les familles du quartier.

Mais lors des célébrations, ces même paroissiens, pourtant lestés de nombreuses années de catéchisme et de merveilleux souvenirs du patronage, ne savent même plus faire un signe de croix, et restent dans un silence de plomb au moment où j'attendrais de leur part ne serait-ce qu'un "amen" de politesse. Toutes ces années du catholicisme de masse, où les églises étaient pleines à craquer, où il n'était pas question de se marier autrement qu'à l'église et de ne pas faire baptiser les enfants, où même les communistes envoyaient leurs enfants à la messe, ces années ont finalement fabriqué des générations d'incroyants. Voilà qui doit relativiser les propos nostalgiques sur l’Église d'autrefois. Et voilà qui fait des prêtres, particulièrement des prêtres en paroisse, des témoins directs de la déchristianisation, et les premiers concernés par la perspective d'une "nouvelle évangélisation".

Le plus étrange est que cette disparition des repères traditionnels ne s'accompagne pas purement et simplement d'une extinction du catholicisme. Car ces mêmes personnes sont dans une attitude exigeante vis-à-vis de l’Église - et donc des prêtres. Elles ne font pas que demander des rites, elles ont des idées bien arrêtées au sujet des célébrations et de la vie de la paroisse. Elles font des demandes précises : tel morceau de musique, telle prise de parole, tel lieu (l'église n'étant pas toujours l'endroit qui paraît le plus approprié), voire telle tenue vestimentaire (il m'est arrivé de voir arriver une noce tout entière en déguisement médiéval, car le thème du mariage était le Moyen-Age). Toute célébration est aujourd'hui le lieu d'une négociation serrée avec ceux qui préparent. Lorsque les demandes ne sont pas prises en considération, ou lorsque les familles s'estiment mal reçues, elles le font savoir avec véhémence.

Beaucoup de prêtres, et pas seulement les plus âgés, sont déconcertés par cette attitude. La tentation peut être alors de se réfugier dans une posture autoritaire : ce sera comme ça, et pas autrement. Elle peut aussi résider dans un repli autour des quelques-uns qui entrent encore dans l'ancienne manière de voir : les enfants, les personnes âgées, ainsi que ceux parmi les plus jeunes (et ils ne sont pas rares) qui vivent une authentique vie de foi. Mais la plupart du temps, on entrera dans un pragmatisme résigné, appuyé par un solide sens de l'humour. Il m'arrive souvent de me dire : "Je renonce à comprendre", et de prier pour que la grâce de Dieu fasse ton travail dans les cœurs. Tout en poursuivant, bien sûr, ma mission sacerdotale auprès des nombreux paroissiens qui veulent persévérer dans une vie de disciples du Christ.

Faut-il incriminer les pratiques d'antan qui ont détourné les jeunes de la foi ? Ou, au contraire, dénoncer le traumatisme d'une réforme conciliaire imposée trop rapidement et qui aurait désorienté tout le monde ? Peu importe au fond. Il est plus instructif de mener avec les personnes concernées des entretiens approfondis. Ce qui apparaît alors, c'est plus qu'une déception née de pastorales inadaptées : c'est un désaccord profond avec une discipline, des discours, des attitudes, des prises de position ecclésiales que l'on acceptait autrefois et qui ne sont plus ressentis aujourd'hui comme pertinents. La foi étant une histoire personnelle, à chacun de tracer sa propre trajectoire : "Ma mère m'a baptisé à sa manière", m'a dit un jour un jeune. "Je ne l'enverrai pas au catéchisme, mais je lui parlerai de Dieu - des religions, de l’Église, de la morale..." "Il va à la messe quand il est chez sa grand-mère." Chacun ayant pour tâche de construire sa vie à sa manière, de rechercher le bonheur en fonction de ce qu'il pense être bon pour lui, la vie chrétienne n'échappe pas à cette logique ; et la pratique cultuelle est le premier des lieux où cette manière de voir va se vérifier.

Comment poursuivre, dans un tel contexte, le travail de l'évangélisation ? C'est là, me semble-t-il, que l'expression "Nouvelle évangélisation" prend son sens. Elle doit se comprendre de deux manières : ré-évangélisation de personnes qui ont déjà été catéchisées ; mais, plus encore, prise en compte des transformations profondes induites dans les mentalités par la modernité. Cette mission ne relève pas seulement, et peut-être même pas d'abord, d'institutions nouvelles pratiquant des méthodes originales ; il me semble qu'elle incombe en premier lieu aux prêtres des paroisses, qui sont confrontés quotidiennement au "tout-venant" de la population de notre pays (si l'on excepte, bien sûr, les familles musulmanes, qui forment un cas particulier). Les billets qui vont suivre essayeront de dire comment un curé se situe devant cette exigence nouvelle.

samedi 21 juillet 2012

Ce que je veux, comme je veux, mais pas à l'église.

Les fiancés qui sont venus ce matin au presbytère sont vraiment très, très occupés. Non seulement ils doivent préparer leur mariage, mais ils doivent aussi s'occuper de celui de leurs meilleurs amis, qui fêtent ça dans trois semaines. Et ils sont chargés d'en être les officiants principaux.

Explication : les amis en question ont décidé de faire une très belle fête pour célébrer leur union. Car, vous voyez, la mairie ça manque un peu de glamour. Et l'église c'est trop bof. Donc ce sera un mariage laïc.

Le rigolo dans tout ça, c'est que comme on ne sait pas trop comment faire, on va faire comme chez les cathos. Au début, on avait pensé à un mariage sur la plage ; mais les complications sont infinies (impossibilité de privatiser l'espace, sable dans les chaussures, robe de mariée foutue pour le repas de noces). La salle louée pour la réception : risque de confusion avec la grosse teuf qui va suivre. Coup de bol, dans les environs, se trouve une abbaye en ruines : quoi de plus romantique comme décor qu'une église à ciel ouvert ? C'est donc là que tout va se passer. Et puisque les meilleurs potes se marient, eux, à l'église, et qu'ils ont eu droit à une préparation béton, c'est à eux qu'on va demander d'être les maîtres de cérémonie.

Je vous laisse deviner à quoi tout ça va ressembler... Heureusement, il n'y aura pas de curé, comme ça on sera sûr que ce ne sera pas un mariage religieux. Tout de même, il faudra de bons yeux pour faire la différence. En tout cas, c'est sûr, ce sera une belle fête.

PS : si vous ne savez pas comment faire, allez faire un tour là-dessus : tout est dit pour faire de votre mariage une réussite, sans être emmerdé par les curés.
Et au cas où vous vous dites "Tiens, ça peut rapporter des sous", sachez que d'autres y ont pensé avant vous...

mardi 10 juillet 2012

Lendemains de fête.

Dijon, cathédrale Saint-Bénigne, dimanche 24 juin : dans une église archi-comble, on ordonne un prêtre et trois diacres en vue du ministère sacerdotal. C'est la fête. L'occasion aussi de montrer un visage de l’Église qu’ignorent souvent - ou affectent d'ignorer -  ceux qui s'en tiennent à distance : plein de monde debout faute de place, une assemblée jeune, diverse, priante, enthousiaste, qui reflète ce qu'il faut bien appeler la bonne santé de l’Église de France. Car notre Église est bien vivante. Elle ne tient certes plus la place qu'elle occupait dans notre pays au siècle passé, mais elle n'a pas à rougir ; dans un monde où la vie associative, politique, syndicale, connaît de grandes difficultés, dans une société où l'ensemble des institutions connaît une sévère crise, dans un système de laïcité outrancière qui les contraint à la discrétion, voire au silence, les catholiques sont l'un des éléments les plus dynamiques du vivre-ensemble français.

Voilà pour la fête, et ce qu'elle montre. La fête est passée ; faisons les comptes. Le diocèse de Dijon compte 129 prêtres diocésains ; 83 sont en activité, ce qui en fait, rapporté au nombre d'habitants, un diocèse ordinaire. La moyenne d'âge est de 68 ans - il faut se rappeler qu'un prêtre prend sa retraite à 75 ans, et qu'il reste actif longtemps après. Un rapide coup d’œil sur la pyramide des âges du diocèse montre ce qui nous attend : un seul prêtre de moins de 35 ans, 5 entre 35 et 40, 6 entre 40 et 45... Enfin, sur les 55 prêtres de moins de 65 ans, 17, soit plus d'un quart, ne sont pas du diocèse (11 viennent de l'étranger, et ont moins de 55 ans).

Comment ça se passe ailleurs ? Cette année, il y a eu en France 96 ordinations de prêtres diocésains. En moyenne, à peu-près un par diocèse. Mais tout le monde n'est pas logé à la même enseigne : le diocèse de Paris, déjà pléthorique, compte dix nouveaux prêtres ; Toulon en a ordonné 8, Metz et Lyon 4, de "gros" diocèses comme Bordeaux, Rennes, Nantes, sont au contraire à la diète, certains diocèses n'ont pas connu d'ordination depuis des années (voir à ce sujet La Croix du 18 juin dernier, qui publie une intéressante carte).

Tout aussi intéressante est la carte publiée par la Documentation catholique du 17 juin, qui s'intéresse au nombre de prêtres en activité dans les diocèses. Ils sont 17 dans le diocèse de Digne, 27 dans la Nièvre, 29 à Gap. Le Jura, autrefois grand pourvoyeur de vocations, compte 39 prêtres en activité... pour un total de 105 prêtres, ce qui signifie que les deux tiers des prêtres ont plus de 75 ans. On imagine aisément ce que cela représente pour ceux qui sont "encore jeunes", et qui se retrouvent dans des assemblées de confrères très âgés.

Quant à l'avenir, il n'est pas des plus roses et ne laisse entrevoir à moyen terme (il faut dix ans pour "faire" un prêtre, si l'on ajoute aux années de formations celles qui sont indispensables pour laisser mûrir une vocation) aucune amélioration. Soyons lucides : l’Église de France se prépare à vivre longtemps avec beaucoup, beaucoup moins de prêtres qu'elle n'en avait l'habitude. Cette situation pose un problème extrêmement difficile, car on ne peut envisager d’Église sans prêtre, à moins d'abandonner quelque chose qui tient à l'identité même du catholicisme. Le problème de l’Église de France aujourd'hui, c'est l'effondrement des vocations sacerdotales.

Quelles solutions envisager ? La plupart des diocèses ont diminué de manière drastique le nombre de paroisses ; il n'est plus possible d'aller plus loin dans ce sens. L'embauche de laïcs salariés montre aujourd’hui ses limites, financières et humaines. Des hypothèses comme l'abandon de la discipline du célibat, sur le modèle de ce qui se vit en Orient (au sein, rappelons-le, d’Églises en pleine communion avec Rome), l'ordination de femmes (qui se pratique chez les Anglicans), voire la possibilité d'autoriser des laïcs à célébrer les sacrements jusqu'à maintenant réservés aux prêtres, ne sont clairement pas à l'ordre du jour. On ne voit donc pas d'autre issue que l'appel à des prêtres de l'extérieur, soit membres d'instituts religieux, soit envoyés par des pays étrangers et plus riches en prêtres.Quelques communautés ordonnent de nombreux prêtres en vue d'un ministère pastoral au sein des diocèses : la communauté Saint-Jean, la communauté Saint-Martin, l'Emmanuel... D'autres, un temps données en exemple, traversent aujourd'hui des crises profondes, qui incitent à la prudence. De nombreux diocèses accueillent aujourd'hui des prêtres étrangers, essentiellement en provenance d'Afrique francophone, venus chez nous soit pour y faire des études, soit dans le cadre d'accords entre les évêques. La France compte aujourd'hui plus de 1 500 prêtres étrangers, le double d'il y a dix ans.

Le changement est donc en train de se produire, sans qu'on l'ait vraiment réfléchi ni organisé, chaque évêque faisant appel à des prêtres extérieurs selon son propre réseau de relations ou l'attractivité de son diocèse (fonction, par exemple, de la possibilité d'y suivre des études universitaires). Le clergé français est en train de se renouveler en profondeur, ce qui provoque, ici et là, des remous (ainsi, il y a trois ans, à Avignon, les doyens ont démissionné en bloc pour protester contre les changements) : on passe de prêtres tous formés dans le même moule d'un unique séminaire diocésain à un presbytérium formé d'hommes aux origines et parcours extrêmement diversifiés.

mercredi 27 juin 2012

L'Afrique, magnifique, du musée du quai Branly






L'avion de Kinshasa mardi soir avait des heures de retard. Quelle meilleure occasion pour visiter les collections africaines du musée du quai Branly, en attendant le débarquement de l'ami et ancien étudiant qui vient me rendre visite ?

Surprise : ce musée, c'est d'abord un jardin odorant (signé Gilles Clément), qui entoure et qui révèle un incroyable travail d'architecte (Jean Nouvel) : impeccables volumes extérieurs, labyrinthique territoire intérieur dans lequel on pourrait rester des heures à errer, rivière terreuse où sont gravés d'étranges signes, sur lesquels la main se porte autant que les yeux. Impression d'un inépuisable foisonnement créatif. D'emblée, le ton est donné : un musée, c'est comme un jardin, ça foisonne, ça vit.

La splendeur des objets exposés crève les yeux - telle cette étonnante statuette funéraire d'homme, produite par les Kongo, l'une de ces cultures séculaires dont nous affectons de tout ignorer. Nous avons pris le meilleur, comme toujours, profitant du rapport entretenu par les Africains avec les produits de leur culture. Que diront-ils, lorsqu'ils se rendront compte de l'étendue du pillage auquel nous nous sommes livrés ? Certaines œuvres portent la mention "Collecté par Savorgnan de Brazza." Comment doit-on entendre au juste le terme "collecté" ?

L'émerveillement s'accompagne donc d'un léger malaise. Malaise également à la lecture des explications données. Passionnantes, évidemment. Mais impuissantes à dissiper un malentendu essentiel : ce que nous contemplons comme des œuvres d'art ont été des réalités vivantes, puissantes, chargées de sens, et nous n'avons pas la clé qui nous permettrait de les faire revivre. Pas de religion, mais de la magie. Des fétiches et des féticheurs. De magnifiques rouleaux de prière (bien identifiés, en anglais, comme prayer scrolls), sont désignés comme des "rouleaux de protection"... La prière n'est donc pas un mot français ? La question n'est pas là. Elle est que nous sommes incapables de saisir la force de ce que nous voyons. Les vitrines du musée abritent des œuvres mortes. Les explications données, dans leur souci d'objectivité, ne peuvent restituer l'âme. C'est normal, on n'en veut à personne. Il reste qu'on n'est pas loin du déni : ces objets ne doivent être que des objets d'art. Un point, c'est tout. Il m'est même arrivé de penser que la distance n'était pas grande entre ce regard-là (le nôtre), et celui des colonisateurs et des missionnaires : le regard d'une culture qui se pense comme supérieure sur une culture dont elle ne veut pas accepter les codes. Mais c'est faire un procès d'intention.

Et après tout, n'est-ce pas ainsi que l'on visite aujourd'hui les églises ? Ce passage au musée m'a rendu davantage frère des Africains : ma culture, à moi aussi, est ignorée.

Bon, il ne faudrait pas que ça décourage d'aller faire un tour, et plus qu'un tour, au musée. Ma prochaine visite, quant à moi, sera pour le musée Dapper : encore davantage d'art africain, puisqu'ici, de toute façon, c'est de l'art, et que c'est beau, définitivement.

L'original de la photo se trouve sur le site du musée.

mercredi 20 juin 2012

Nouvelles familles (5)

"Je voudrais que vous priiez pour ma fille."

Qu'a-t-elle donc, cette enfant ? Elle a 18 ans, et vient de déclarer à ses parents qu'elle aime une autre fille et veut vivre avec elle.

Bon. Respect de tout le monde, d'abord. Et puis, c'est une belle preuve d'amour qu'elle vous a donnée à vous, ses parents, en vous disant son projet.

- Mais 18 ans, c'est un peu jeune, non ?

Oui, c'est jeune. Très jeune (trop ?) pour dire : voici quelle est mon orientation sexuelle. J'aime une autre fille. Donc : je suis lesbienne. Ah bon ? aurais-je eu envie de lui dire. Tu es sûre ? Sûre aussi que tu veux te laisser enfermer dans ce que tu crois aujourd'hui, avec ton cœur de dix-huit ans ? Car c'est bien ce qui se passe : tu sautes le pas. Désormais, tout le monde saura, et tu sentiras le poids du regard des autres ; non pas un regard de jugement (même si cela arrivera), mais un enfermement, aussi subtil que pesant, dans une catégorie, sociale davantage que sexuelle. Je souhaite que ta mère ne dise pas (pas trop vite en tout cas) : "Ma fille est lesbienne", mais que tu trouves chez elle suffisamment d'intelligence et d'amour pour te laisser vivre ce que tu as vraiment envie de vivre là, maintenant, sans t'empêcher de vivre autre chose plus tard.

Dans les dialogues que je peux avoir avec de jeunes (et moins jeunes) gays, ce que j'entends d'abord, et à condition d'aller vraiment au fond, c'est la recherche d'une relation forte, confiante, exclusive et peut-être excessive parfois - devrais-je dire "passionnée" pour être plus vrai ? Le sexe est toujours en retrait. Il apparaît en réalité aujourd'hui parce que les barrières qui l'empêchaient auparavant ont été retirées. Parfois, il vient tout gâcher. Souvent, il change brutalement la nature de la relation envisagée au départ. Il m'est plus d'une fois venu à l'esprit que ce changement fermait la porte à un sentiment autre, plus profond peut-être (c'est en tout cas l'opinion des penseurs d'autrefois) : l'amitié, grande absente de notre pensée sociale aujourd'hui, mais considérée en d'autres temps comme la forme la plus élevée de l'amour.

Je ne veux pas dire que l'homosexualité n'existe pas, ce serait absurde. Je pense simplement que le risque existe, quand on est jeune, de se méprendre sur ses sentiments ; voir sans autre précaution dans l'homosexualité un mode comme un autre d'exercice de la sexualité n'aide pas à s'y retrouver, quand on est jeune et en train de construire son identité. A plus forte raison, parler de "mariage" entre personnes du même sexe : puisque c'est le même mot, cela signifie que c'est la même chose. Bien sûr que ce n'est pas la même chose. Dire cela n'est irrespectueux pour personne, et permet de préserver un repère essentiel à la construction de soi. Il n'y a là rien d'homophobe, mais l'affirmation que la sexualité, comme tout ce qui concerne l'identité, se construit lentement ; que cette construction se fait avec lenteur, qu'elle comporte des hésitations, des retours en arrière, des choix que l'on est ensuite amené à regretter. Un tel travail ne peut se faire qu'avec un minimum de repères, et les décisions qui pourraient être prises sur ce sujet par la nouvelle majorité vont exactement dans le sens contraire.

mardi 12 juin 2012

Respect, dignité, mort et vie.

Une petite pause dans la série sur les familles, pour réagir à la proposition de loi déposée au Sénat le 8 juin "relative à l'assistance médicale pour mourir et à l'accès aux soins palliatifs."

Donc, ça y est : bientôt va naître "l'assistance médicale pour mourir", autre nom de l'euthanasie. La proposition a été déposée au Sénat, dont la majorité des élus est favorable à une évolution du droit sur ce sujet.

Si le sujet n'était pas aussi noir, les premiers mots donneraient à sourire : "En 2012, on meurt toujours mal en France." On partage l'indignation du sénateur Courteau. Il faut que cesse ce scandale de la mort qui fait mal. Le législateur doit faire de la fin de vie un moment de bonheur.

Maladresse d'expression ? L'auteur poursuit : "94% des Français sont favorables à une aide active à la mort." Bon, on aimerait voir le sondage et la question posée. Et on se dit que l'importance du sujet vaut sans doute mieux qu'une réponse par oui ou par non. Allez, continuons : une enquête de The Economist classe la France au 12° rang des pays dans lesquels on meurt le mieux. Je me demande ce qu'aurait donné la même enquête dans La Croix. Et, au passage, ce que le même journal pense de la politique économique de la France. Enfin, pour faire bonne mesure et satisfaire tout le monde, la loi prévoira un accès facilité à des soins palliatifs, sans doute pour les crétins qui s'obstineraient à choisir une mort naturelle. Problème : le projet n'en parle pas. Ça rappelle la loi Veil : on avait promis que la dépénalisation de l'avortement serait accompagnée d'une ambitieuse loi sur l'accueil de l'enfant à naître, qui n'a jamais vu le jour (trop cher).

On cherchera donc en vain, dans cet exposé de motifs, une quelconque préoccupation morale. Des chiffres, des sondages,des généralités, des promesses. C'est là-dessus que va se faire le débat sur l'introduction de l'euthanasie dans notre droit.

Passons à la proposition.

Article premier : notez l'embarras de l'intitulé, "assistance médicale pour mourir." Ça peut vouloir dire beaucoup de choses, y compris ce que la loi Léonetti prévoit déjà. On doit supposer, néanmoins, que la loi nouvelle ira plus loin, puisqu'elle institue cette assistance comme un droit nouveau.
Une clause de conscience est prévue pour ceux qui ne voudront pas aider les citoyens à exercer leur droit : "Les professionnels de santé ne sont pas tenus d'apporter leur concours à la mise en œuvre" de la procédure. Exactement, toujours, comme dans la loi Veil. Il se passera donc ce qui se passe pour l'IVG : comme une majorité de médecins et de sages-femmes y répugnent, on organise un roulement dans le personnel, pour éviter que ce soit toujours les mêmes qui s'y collent ; et on fait comprendre que, l'hôpital étant investi d'une mission de service public, il n'est pas question de refuser.

Article 2 : La décision prise sera collégiale, et s'accompagnera de la présentation de tout ce qu'il est possible de faire pour entrer dans une dynamique autre (soins palliatifs). A nouveau comme la loi Veil, où un entretien préalable était prescrit dans le but de présenter d'autres solutions que l'IVG. Il en ira donc sans doute de même : la décision étant prise par le malade, il sera impossible de le faire changer d'avis. D'ailleurs, l’entretien préalable à l'IVG n'est plus obligatoire, pour cette raison.
D'autre part, l'acte sera réalisé "sous le contrôle du médecin". Entendez : pas par lui. Par l'infirmière, qui, elle, n'aura pas la possibilité de discuter, et se prendra tout en pleine figure. Vieux principe de la division des tâches, qui évite les cas de conscience trop douloureux. Celui (celle) qui se salit les mains n'est pas celui (celle) qui a pris la décision.

Article 3 : Prévoit des directives anticipées, pour le cas où la personne ne serait plus consciente, ou plus en état de donner un consentement "éclairé". Espérons qu'elle n'aura pas changé d'avis d'ici-là. Car, comme le dit fort justement Michel Serres, il n'y a que deux moments importants dans la vie : maintenant, et à l'heure de notre mort.

Article 4 : Complète l'article 3, en précisant que le collège de médecins réunis pour prendre la décision est seul juge des conditions nécessaires à une assistance pour mourir, etc.

Article 5 : crée une "commission nationale de contrôle des pratiques relatives au droit de mourir dans la dignité." Comme on se méfie des juges, on évitera de porter les litiges devant la justice ordinaire, rien ne vaut une juridiction administrative planquée derrière deux ministères (justice et santé).

Quelques mots de conclusion :

- C'est sûr, une loi comme celle-ci va provoquer une augmentation des demandes d'euthanasie. L'argument souvent entendu ("cela ne concernera qu'un nombre très limité de cas") ne vaut rien.

- C'est sûr aussi, le ras-le-bol des soignants, surtout du personnel infirmier qui va être chargé de poser l'acte (car il faudra bien que quelqu’un s'y colle, et vous pouvez être sûr que ce ne sera pas le chef de service), va monter rapidement en puissance.

- Un pas de plus va être fait dans la levée des interdits. Car donner la mort, c'est un interdit fondateur. Surtout qu'en principe, la médecine n'est pas faite pour ça. Une société où les interdits s'effacent, c'est une société qui aide de plus en plus mal ses membres à se construire.

- L'institution d'une commission administrative de contrôle ne me paraît pas de bon augure. Jusqu'à maintenant, c'est le juge qui était compétent pour des questions aussi graves que la vie et la mort.

- Enfin, utiliser dans ce contexte l'expression "mourir dans la dignité" est quelque chose qui me répugne absolument. J'ai rencontré beaucoup de personnes en train de mourir. Aucune ne m'a paru indigne. Si on commence à estimer que la déchéance physique est incompatible avec la dignité humaine, cela peut entraîner assez loin. Si on porte ce regard-là sur les malades en train de finir leur vie, on les poussera forcément dans cette direction. On ne me fera pas croire qu'au Parti socialiste, et dans l'ensemble de la gauche, où se rencontrent tant de personnes porteuses de valeurs humanistes et profondément marquées par le christianisme, l'unanimité soit faite sur ces questions-là.

samedi 9 juin 2012

Nouvelles familles (4)

Les petites histoires, c'est bien, mais il faut aller un peu plus loin. Car elles interrogent, même si certaines de celles que je viens de raconter sont des situations qui restent exceptionnelles. Elles interrogent doublement : bien sûr au niveau de la vie de l’Église, de la responsabilité pastorale d'un curé, de celle, fraternelle, des chrétiens ; mais aussi, elles posent question sur les tournants que prennent notre pays, notre culture européenne - car la paroisse est un remarquable observatoire de la vie quotidienne de chez nous.

Une première constatation saute aux yeux : le mariage donne de formidables énergies pour vivre bien. Le sacrement du mariage, bien sûr : il suffit de voir l'émotion qui étreint les mariés, y compris ceux qui ont fait profession de scepticisme pendant la préparation, au moment où ils prononcent les paroles fatidiques, pour comprendre l'importance de ce qui se joue là, l'investissement affectif, l'expérience spirituelle. Mais aussi le mariage tout court, comme institution. La preuve ? Pour beaucoup de ces jeunes mamans célibataires que je rencontrais dans mon ancienne paroisse, le mariage, c'est un rêve inaccessible, un truc de riches, c'est pas pour des gens comme nous. Une autre ? La réussite de la vie familiale, de toute la famille et de chacun de ces membres, quand elle se situe dans le cadre du mariage. On pourrait ajouter la catastrophe économique, humaine, psychologique, spirituelle, que représente toujours une séparation dans un couple. Bref : vive le mariage.

Quand je dis "mariage", j'entends l'institution, et pas simplement n'importe quelle union, formalisée ou non par un contrat. Car dans le contrat, on est dans l'illusion post-moderne, celle qui fait croire que chacun est maître de réaliser comme il l'entend sa propre vie, comme s'il démarrait tout à zéro à partir de lui-même ;or,  le mariage existait avant les mariés, et c'est ce qui fait en partie sa force : il rappelle que nul n'est parfaitement maître de sa propre vie, que la vie, précisément, est un donné avant d'être un projet, que l'amour lui-même est un don qui dépasse les personnes qui s'aiment. Ce que j'écris là n'est en rien un jus pieusard et catho : c'est ce que disent tous les amoureux du monde, à partir du moment où on les fait parler d'autre chose que de leur vie sexuelle et de l'emprunt qu'ils vont réaliser pour acheter leur maison. Il se trouve que cela rejoint l'Evangile dans ce qu'il a de plus vrai...

Ce n'est pas pour rien que notre droit favorise encore (pour combien de temps ?) les personnes qui décident de se marier. En cela, la vie privée d'un chef d'Etat importe à toute la nation, si elle laisse croire qu'il y a diverses formes d'union toutes équivalentes, et qu'en fonction de ses opinions on pourra choisir celle qui convient le mieux.

Ce n'est pas pour cela qu'il ne faut pas respecter tous les choix. "Respecter", et non pas simplement tolérer : chacun, c'est vrai, a le droit de vivre comme il l'entend. Mais, parce que la société a pour rôle de participer à l'éducation de ses membres, de chercher à leur procurer le bonheur, elle doit en indiquer le meilleur chemin. C'est d'ailleurs une conviction profondément ancrée dans les mentalités : pour l'immense majorité de nos concitoyens, une famille, c'est l'union stable entre des époux. Il y a, certes, d'autres choix possibles, nul ne peut les empêcher, et le droit se doit de les prendre en compte et de les organiser ; mais sans diminuer la priorité donnée au mariage sur toutes les autres formes d'union.

(A suivre)

mercredi 6 juin 2012

Nouvelles familles (3)

Une dernière histoire, avant de passer aux questions que tout cela pose.

C'était il y a quelques années déjà. Le soir de la récollection de préparation à la première communion, des enfants sont rentrés à la maison en disant à leurs parents : "Dieu s'est trompé, il a mis au papa de Clément une âme de femme dans un corps d'homme." Affolement dans les familles :  qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Le téléphone du presbytère a sonné, heureusement le papa (maman ?) en question m'avait prévenu : engagé depuis cinq ans dans un protocole de changement de sexe, le moment arrivait où la transformation allait devenir visible, et il avait voulu par honnêteté vis-à-vis de moi m'en avertir.

Comme dans les histoires précédentes, ma réaction avait été d'abord embarrassée. Intéressée, aussi : qu'est-ce qui pouvait motiver une pareille démarche de la part de cet homme ? J'ai avoué mon immense perplexité. Je ne pouvais m'empêcher de mettre en balance deux souffrances : celle, incontestable, d'un homme victime d'un trouble aussi profond ; et l'autre, celle de la famille qu'il avait fondée, et à laquelle il imposait, au nom de l'amour, une transformation considérable, allant bien au-delà d'un changement de rôle social. L'absence de jugement des personnes, c'est pourtant ce qui est demandé à un pasteur : d'abord par la loi française qui interdit toute discrimination, ensuite par l’Évangile, enfin par le bon sens (il n'était pas question d'exclure cette famille de la vie paroissiale, pour ne pas rajouter de la souffrance à la souffrance).

(A suivre)

dimanche 3 juin 2012

Nouvelles familles (2)


Divorces, familles recomposées, familles monoparentales, c’est déjà de l’histoire ancienne, finalement. Plus récente, dans la vie des curés, est l’arrivée de couples d’un nouveau genre, ou plutôt d’un genre unique, auxquels on promet les mêmes droits que les autres : Pacsés, couples gays et parents de même sexe font timidement leur entrée dans le paysage paroissial.

Le pacs est quelque chose de très répandu parmi les jeunes ; je ne dispose pas de statistiques précises, mais un bon nombre d’actes de naissance fournis par les fiancés pour préparer leur mariage précisent qu’ils sont déjà pacsés. Il faut donc relativiser le succès de la formule : la plupart des pacs dont j’ai eu connaissance sont des arrangements conclus en attendant le mariage, pour des raisons professionnelles ou fiscales. Pas de concurrence, donc, sur ce terrain-là, avec le mariage.

Plus inattendue a été la demande qui m’a été faite une fois de célébrer la messe à l’occasion d’une union homosexuelle. La réponse a été simple à donner : je ne célèbre pratiquement plus la messe pour les mariages, alors pour un PACS… Mais j’ai accompagné cette réponse d’une proposition de rencontre plus longue, qui a été l’occasion d’un dialogue approfondi avec les deux partenaires, dialogue qui se poursuit toujours et que je crois être un vrai chemin de conversion, dans les deux sens d’ailleurs.

Il y a, enfin, les demandes de baptême d’enfants présentées par deux personnes du même sexe, dont l'une est le parent légal (voire naturel) et l'autre revendique de l'être. Il m’est arrivé de baptiser un enfant adopté par une maman célibataire, et de me dire que, peut-être, la marraine… Il est arrivé aussi, et c’est plus récent, d’accueillir un couple de femmes accompagnant leur bambin manifestement heureux de vivre. Les premières questions qui me sont alors venues à l’esprit étaient loin d'être essentielles : dans l’acte de baptême, il n’y a qu’une seule case « mère », où va signer l’autre maman ? Comment vont réagir les autres parents lors des rencontres de préparation ? Et les paroissiens ? Les problèmes de fond ne viennent qu’après, et c’est intéressant d’en discuter avec les personnes intéressées, à condition que ces discussions se déroulent dans la vérité – c’est-à-dire, du côté du prêtre, en disant l’opposition de l’Eglise à l’adoption dans un tel contexte et en tâchant d’en faire comprendre les raisons ; mais aussi, en écoutant, en comprenant, en accueillant avec respect celles et ceux qui viennent, et sans jamais oublier que la même Eglise doit, elle aussi, balayer devant sa propre porte, car l'histoire récente nous apprend qu'elle n'est pas sans reproche à se faire.

(A suivre…)

mercredi 30 mai 2012

Nouvelles familles dans la vie paroissiale (1)

Nul besoin, pour un curé, d’attendre la victoire de la gauche aux législatives pour être confronté aux nouvelles formes de vie conjugale et familiale. Catéchisme, baptêmes, mariages, obsèques, obligent à fréquenter l’humanité dans toute sa glorieuse et inquiétante diversité. Ici commence une série de billets qui ont l’ambition de montrer comment, concrètement, les communautés chrétiennes sont confrontées aux évolutions des mœurs, avant même que de nouvelles lois viennent en rajouter encore à la complexité des situations.

Petit retour en arrière : au début de la vie de ce blog, j’étais curé de la paroisse des Grésilles ; tous les Dijonnais connaissent ce quartier, les difficultés de ses habitants, ses poussées de violence, les trafics en tous genres qui lui ont valu longtemps la réputation d’une zone de non-droit – réputation qui perdure malgré les opérations de renouvellement urbain.

Dans les grandes barres d’immeubles, on a compté, fut un temps, jusqu’à 60% de mamans célibataires. On les rencontrait partout, ces très jeunes femmes, la poussette dans une main et le sac à provisions de l’autre, pauvrement vêtues et manifestement désœuvrées. Quand par hasard l’une d’entre elles poussait la porte du presbytère pour faire baptiser le (les) petit(s), c’était pour évoquer l’océan de difficultés dans lequel elles se débattaient : économiques, sociales, affectives, morales…

C’était aussi l’époque où la vie privée des élus commençait à se faire plus voyante. Nous nous y sommes habitués : bien des hommes politiques tournent le dos au mariage, ou forment des familles recomposées toujours décrites sous le jour le plus avantageux. Couples modernes à l’Elysée, compagnes élégantes choisies dans le meilleur monde (si possible médiatique), compagnons discrets que l’on imagine mal torchant les enfants pendant que maman trime dans son ministère ou sur les bancs de l’Assemblée, c’est une image heureuse de la famille nouvelle qui se diffuse par le biais de nos élites. Voir mes petites mamans, sur le banc du square, plongées dans la lecture de Gala et y découvrir avec intérêt la vie décomplexée de leurs dirigeants, me plongeait alors dans des abîmes de perplexité. Car leur quotidien à elles n’avait rien à voir avec celui de ces couples. Chez les riches et les puissants, ce n’est pas bien grave de divorcer, de vivre en concubinage, de changer de temps en temps de partenaire sexuel. Chez les pauvres, c’est ajouter l’instabilité affective à la précarité économique. Que les parents de Thomas Hollande ou de Martin Chirac ne se soient jamais mariés ne leur portera jamais préjudice ; il n’en va pas de même de ces petits baptisés élevés par des pères de passage, dans des fratries à géométrie variable où ils peinent manifestement à trouver les repères indispensables à la construction de leur personnalité. Il m’est souvent revenu alors cette phrase entendue au Conseil de l’Europe, lors d’une rencontre avec un fonctionnaire chargé des questions de politique familiale : il n’est pas question, en Europe, d’imposer un quelconque modèle de vie de famille. Mensonge : c’est bien un modèle que donnent nos élus, sans doute à leur corps défendant mais le fait est là.

En changeant de paroisse, je m’attendais à trouver un autre paysage, plus paisible, plus bourgeois pour tout dire. Grossière erreur : les classes moyennes ne me paraissent pas plus épargnées que les autres par les ravages produits par la modernité dans la vie familiale. A l’école Saint-Pierre, les bons élèves sont invariablement ceux dont les parents forment une union stable et qui ont su leur donner de quoi construire leur vie d’adulte de demain. Tous les professeurs savent que, derrière l’enfant agité, se cache souvent une famille compliquée.

(A suivre)

lundi 7 mai 2012

La présidentielle, vue d'Afrique.

Pendant trois semaines, j'ai décroché : plus d'internet, et des communications téléphoniques tellement chères que j'ai laissé mon i phone tranquille. Oui, j'étais en Afrique, et pas n'importe laquelle : à 120 km de Kinshasa, dans un séminaire sans eau courante ni électricité (ou si peu).

Trois semaines en RDC (ex-Zaïre) en plein pendant la présidentielle, ça vaut son pesant d'arachide. Et ça passionne tout le monde, prêtres et séminaristes : vous comprenez, M. l'abbé, chez nous il n'y a pas la démocratie, on ne peut pas dire ce qu'on pense vraiment du président. En plus, la France...

Alors, le soir des résultats du premier tour, tout le monde est devant la télé, et on découvre avec surprise que Sarkozy n'est pas passé du premier coup. Le petit brun qui n'a plus de voix, là, qui est-ce ? Et la blonde, c'est la fille de Le Pen ? Là, on s'y retrouve, c'est comme chez nous. Ah bon, Hollande c'est le père des enfants de Ségolène ? Tiens, décidément... Ah, le fils de Sarkozy fait de la politique ? Baroin, c'est le fils de Baroin ? Kosciusko-Morizet, pareil ? Je m'arrête là, parce que je ne sais pas tout sur les généalogies et les amours des uns et des autres, mais ils ont compris : démocratie ou pas, la politique, ça va avec la famille.

Et l'argent ? Le président français gagne 200 000 euros par an. Réaction unanime : "Ce n'est pas beaucoup." Il y a donc pire que nous. En effet, le lendemain, à l'occasion des funérailles d'un monsieur très connu dans la ville où j'habite, je fais connaissance du gouverneur de la province. Jamais je n'avais vu une aussi grosse bagnole : à peu-près de la taille d'une maison. Je me suis demandé combien de temps M. Sarkozy devrait travailler pour s'en offrir une comme ça.

La campagne continue, sur France 24 on peut la suivre tous les soirs. On voit M. Hollande sous un parapluie, M. Sarkozy devant un micro. Ils se répètent un peu. Les sondages, eux aussi, se répètent : 52/48, depuis six mois, mais on a l'air de dire que ça peut changer. Ici, tout le monde traduit : on ne va quand même pas gâcher la fête en disant que c'est cuit d'avance, alors on fait semblant d'y croire pour se prendre au jeu.

Il y a des meetings : que de monde, les Français sont vraiment passionnés par la politique. Et moi, rabat-joie : ils viennent de toute la France, mais on leur a payé le voyage et ils ont à manger. Bon, alors c'est aussi comme chez nous.

Le soir du débat, c'est la veille de mon départ. Par précaution, nous avons déjà quitté le séminaire et dormons à Kinshasa, car l'état des routes rend aléatoire tout déplacement et je n’ai pas envie de rater mon avion. En ville, le seul mot que je comprends c'est "Sarkozy", ça se dit pareil dans toutes les langues. Après une heure, avec les confrères présents, nous avons décidé d'aller boire une bière à une jolie terrasse, sur la place qui se trouve à côté de la maison où nous logeons. Devant nous, une voiture tombe dans un trou. C'est quelque chose qu'on ne voit qu'ici. Des passants se précipitent et on la sort de ce mauvais pas.

Partout pareil, la politique ? Pas tout-à-fait quand même. Entre les deux tours, je suis allé rendre visite à l'évêque de Kisantu. L'état de la route est épouvantable, malgré les travaux réalisés l'année précédente par les Chinois. L'évêque me dit alors que des habitants de la ville sont venus le trouver pour lui demander de patronner leur initiative : ils sont allés rencontrer des élus locaux et leur ont donné une liste de choses à faire pour que la vie change enfin, ici. Des choses élémentaires : réparer les routes, assurer la distribution de l'électricité, procurer des médicaments, faire en sorte que les enfants apprennent à lire. En RDC, si on veut être soutenu par quelqu'un qu'on sait absolument honnête, c'est vers l’Église qu'on se tourne.

dimanche 8 avril 2012

Immortels ou vivants ?

Au hit-parade des librairies et des cinémas, l'immortalité se porte bien : depuis la Foire aux immortels de l'inoubliable Bilal, jusqu'à la saga qui porte ce nom, en passant par d'innombrables variantes déclinées sous d'improbables titres... Tout ce qui évoque la vie des anges, celles des dieux, et tant qu'à faire des démons, aide notre imaginaire à s'évader d'un trop terne présent. On en vient à oublier la légendaire phrase de Woody Allen, à moins qu'elle ne soit de Kafka, sur l'ennui qui vient à la simple pensée d'une interminable éternité. L'effroi qui saisit Pascal devant les espaces infinis et silencieux que la science nouvelle lui ouvrait. Immortels : un jour, ça finira bien par nous arriver.

Y aurait-il là une ouverture pour le christianisme et ce que l'on fête aujourd'hui - Pâques : le passage du Christ à travers la mort, son entrée dans la vie divine ? Après tout, Christ est le premier ressuscité, précurseur d'une multitude de frères. Le christianisme, c'est la divinisation de l'homme en devenir. Le chemin d'éternité qui s'ouvre à nous, tout le monde y aspire. Les traditions spirituelles y convergent dans une belle unanimité.

Le Christ est ressuscité, certes. Immortel, sans aucun doute. Mais surtout : vivant, et c'est bien mieux. La résurrection est ouverture sur la vie, avant d'être un aller simple pour l'éternité. Pour entrer dans la vie, pas besoin d'attendre la mort : le baptême suffit. L'éternité est longue ; la vie est toujours trop courte. C'est dans la vie que nous fait entrer le Christ ressuscité. Il fait de nous, non pas d’ennuyeux immortels, mais des vivants à l'enthousiasme contagieux.

samedi 4 février 2012

Il faudra qu'on m'explique.

Il y a parfois des choses qui m'échappent. La dernière en date : un jugement qui contraint les demandeurs d'asile à déguerpir du lieu dans lequel ils s'étaient réfugiés (les quelques soixante-cinq studios vacants de l'école des greffes de Dijon) pour rejoindre la rue d'où ils viennent (pour être tout-à-fait honnêtes : les bâtiments désaffectés qu'ils squattaient dans des conditions précaires). Il y a donc bien, à Dijon, des logements vacants, entretenus (pour rien, puisqu'ils sont vides depuis deux ans) et gardés par une fonctionnaire qui doit s'ennuyer ferme toute la journée. Il y en a d'autres, chacun le sait.

J'entends les arguments : il y a risque évident de dégradation des locaux, ce qui rend nécessaire la présence d'agents d'entretien ; risque pour la sécurité des personnes (il semble que des enfants jouent avec les armoires électriques) ; risque que l'humanité de l'accueil se transforme en aubaine exploitée par toutes les mafias des passeurs de frontières. Reste que les personnes qui sont là se trouvent en situation régulière sur le territoire, et qu'on ne saurait envisager de les mettre à la rue de cette manière.

Il y a autre chose : on ne peut indéfiniment protester contre une situation sans être considéré comme un donneur de leçons. Coup de chapeau à tous ceux qui sont là : les membres de SOS-Refoulement, qui accueillent, trient le courrier, accompagnent dans les démarches ; les bénévoles du Secours catholique, souvent débordés par l'afflux des demandes, et qui recherchent en ce moment quelqu'un pour l'aide juridictionnelle à apporter ; la pastorale des migrants, qui coordonne les efforts du diocèse. Et bien d'autres.

Mention spéciale au réseau Welcome, lancé par les Jésuites en région parisienne pour organiser l'accueil de migrants dans des familles et des communautés. Avis aux amateurs : on recherche, dans l'agglomération dijonnaise des personnes désireuses d'inculturer en Bourgogne l’expérience parisienne.

mardi 31 janvier 2012

De l'annonce à la proposition : la laïcité après 2012.

C'est de bonne guerre : après une annonce en fanfare devant les militants, le programme de François Hollande s'est énoncé de manière plus consensuelle dans les soixante propositions qui l'engagent. Parmi elles, la proposition n° 46 sur la laïcité :
Je proposerai d’inscrire les principes fondamentaux de la loi de 1905 sur la laïcité dans la Constitution en insérant, à l’article 1er, un deuxième alinéa ainsi rédigé : « La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l’État, conformément au titre premier de la loi de 1905, sous réserve des règles particulières applicables en Alsace et Moselle. »

On retrouve dans cette rédaction l'inspiration des auteurs d'une loi qui fut finalement une loi d'apaisement : l'affirmation de la liberté de conscience et la garantie de la liberté de l'exercice des cultes, la séparation des Eglises et de l’État (expression peu rigoureuse, seule les confessions chrétiennes pouvant être appelées "Églises"). On y trouve également la prise en compte de l'une des objections soulevées lors de l'annonce du projet : le statut particulier des deux départements concordataires, ce qui est un désaveu de l'aile la plus "laïciste" du parti (cf l'interview de Jean Glavany donnée dans la foulée de la première annonce).

Reste que les grands principes de la loi de séparation prendraient alors valeur constitutionnelle. Cela aurait une conséquence extrêmement importante : il deviendrait dès lors possible, dans les questions religieuses, d'invoquer la question prioritaire de constitutionnalité ; le Conseil constitutionnel devrait alors se prononcer lorsqu'on le lui demandera. Ainsi, la loi du 2 janvier 1907, qui prévoit que les églises catholiques sont propriétés des communes mais affectées au culte, pourrait se voir opposer désormais le principe constitutionnel de laïcité. Sans parler, bien sûr, de la possibilité d'appliquer aux cultes la loi sur le mécénat de 1987. Et sans préjuger des nombreuses idées qui ne manqueront pas de naître dans l'infatigable imagination des fondamentalistes de la laïcité.

Jean Baubérot, dans un passionnant entretien publié sur le site web du "Monde des Religions", dénonce le glissement français vers une sécularisation obligatoire de la société, et alerte à juste titre sur les dangers de cette dérive, qui comporte, selon ses propres termes, "des éléments d'un athéisme d'Etat." Appliquées par un gouvernement démocratique, les lois de laïcité respectent la liberté de conscience ; entre les mains d'un pouvoir hostile aux religions, elles ne manqueraient pas de devenir des lois d'intolérance.

vendredi 27 janvier 2012

Pour une fois que c'est pas nous.

Allez, pour une fois que la bourde ne vient pas des cathos... Ne boudons pas notre plaisir.

Tout commence par l'info balancée l'autre jour à Dijon : un mariage religieux (catholique, s'entend) aurait lieu dans un centre commercial. Vu que ladite info a été largement relayée, et qu'elle était assez... surprenante, la page a été lue des milliers de fois, a suscité des tas de réactions (souvent désapprobatrices). Dommage, elle a disparu du site qui l'avait publié en premier, et la page Facebook invitant à l'heureux événement a disparu également... Heureusement, tous les médias n'en ont pas gommé la trace : Allons-y pour Europe 1 qui a gobé le bobard, le Journal du Centre et l'Yonne républicaine, ainsi qu'un site consacré à l'événementiel. Mais voilà, le but était seulement de faire une pub gratuite pour le salon du mariage qui avait lieu la semaine suivante. C'est vrai après tout, pourquoi payer quand on peut faire parler de vous sans bourse délier ?

Juste un petit problème : on a dit qu'un prêtre participerait. Émoi dans le diocèse : un vrai prêtre ? un escroc ? une mascarade organisée par le centre commercial, avec un acteur déguisé en prêtre ? Car voilà, le mariage est aussi (et d'abord) chose sérieuse. Le mariage religieux, encore plus. L'affaire méritait donc une mise au point de l'archevêque de Dijon, qui n'a pas apprécié. Tout le monde le comprend. Dommage qu'aucun média, cette fois, ne s'en soit fait l'écho.

dimanche 22 janvier 2012

Le corps étranger dans la République.

Les religions sont pour certains ce que les étrangers sont à d’autres : un épouvantail commode, fourre-tout et objet de suffisamment de méfiance pour rassembler contre lui un tas de gens qui, au fond, ne sont pas trop d'accord entre eux. D’ailleurs, Mme Le Pen, qui sait le bénéfice électoral de la peur, en parle aussi. Et pourquoi pas le PS ? Allons-y donc pour une mesure-phare : inscrire dans la Constitution, rien que ça, la loi de 1905. La droite a bien la xénophobie, pourquoi la gauche n’aurait-elle pas la laïcité ?

Passons sur le côté un peu « amateur » de la proposition : faut-il inscrire tous les articles de la loi, y compris ceux qui n’ont plus de sens aujourd’hui ? Quid des départements concordataires ? Bien des questions se posent évidemment. Certains ont des réponses, comme Jean Glavany qui annonce déjà la fin du régime spécial en Alsace-Moselle, et celle des déductions fiscales faisant bénéficier les cultes des mêmes avantages que d’autres associations et fondations. Est-ce vers cela que se dirigera le candidat socialiste s’il est élu ? Personne ne le lui demandait. Sa proposition déterre une hache de guerre oubliée.

Les religions représentent-elles pour la République un tel danger ? Bien sûr que non. D'autant plus que de la situation actuelle, chacun s'accommode fort bien. L'objectif est de détourner le regard d’autre chose : notre économie qui va mal, les mesures de rigueur qu'il faudra bien prendre. Les catholiques ont de toute façon si peu de poids électoral (voire)... Et s'ils protestent, il suffira de dire : vous voyez, ils refusent la loi de la République.

Je voudrais rappeler brièvement ici à tous ceux qui se préoccupent de vivre-ensemble que l’Eglise catholique est l’un des lieux de notre société le plus créateur de lien social. Il suffit d’imaginer ce que serait une France sans baptêmes, sans mariages, sans obsèques religieuses, pour le comprendre. Il suffit de savoir, ce que semblent ignorer un certain nombre de nos édiles, qu’une paroisse, dans un quartier, est le lieu où les familles en deuil sont accompagnées, où les malades sont visités. Je ne parle même pas de l’école catholique, des mouvements d’éducation, des associations caritatives et de celles qui sensibilisent aux questions de développement international. La remise en cause de l’équilibre qui s’est installé dans notre pays après les querelles religieuses du début du XX° siècle aurait des conséquences profondes pour tout le pays.

Enfin, volontairement ou non, la proposition du candidat socialiste apporte de l'eau au moulin de ceux qui veulent faire du catholicisme, et des autres religions, un corps étranger à la République. C’est cette idée qui s’installe insidieusement dans les esprits, particulièrement chez les plus jeunes, souvent élevés dans la méfiance vis-à-vis de tout ce qui relève du religieux. Il y a pourtant des catholiques à gauche, et ce n’est pas par hasard : le souci de l’autre, l’attention aux exclus, l’importance accordée à la fraternité et à la solidarité nationale, sont parmi les héritages les plus précieux qui nous ont été légués par le christianisme. On aimerait entendre leur voix, pardon : leur malaise.

vendredi 20 janvier 2012

L'homme de l'extrême.

"On ne vous a pas fait venir avant parce qu'on avait peur de l'impressionner."

La dame qui m'accueille par ces paroles est dans le couloir de la clinique ; elle est sortie de la chambre de son mari souffrant, pour ne pas qu'il entende et le préparer à la mauvaise nouvelle : on a appelé le prêtre. Et je me dis alors : le prêtre serait-il l'homme du malheur ? L'homme de la mort ?

Quelques mots d'explication.

Un prêtre doit parfois répondre dans l'urgence à l'appel de la vie qui s'en va. Quand c'est comme ça, hop, un tour de vélo et me voilà à la clinique voisine (aujourd'hui, on ne meurt plus guère qu'à l'hôpital). Celui, celle qui m'attend est alité, quelques proches sont à son chevet, un conjoint, des enfant. Les traits du malade sont creusés par l'approche de la mort, ceux de l'entourage par l'attente et la fatigue. La conversation s'engage, quelques mots anodins, échangés avec des gens que je ne connais pas, et pour qui cette visite a tant d'importance. Rarement avec le patient. Car la personne que je viens visiter, bien souvent, n'est plus consciente. Et ce qu'on me demande n'a rien de bien réjouissant : il faut faire ce que l'on fait quand quelqu'un va mourir ; en un mot : je dois donner l'extrême-onction.

C'est un problème, ça. Car l'extrême-onction n'existe plus depuis pas loin d'un demi-siècle (c'était hier, à l'échelle de la mémoire religieuse). A l'approche de la mort, on prie, on peut donner une dernière fois la communion. Dans la maladie grave, on célèbre le sacrement des malades, en écho à l'invitation de l'apôtre Jacques : "Les prêtres prieront sur le malade après lui avoir fait une onction d'huile au nom du Seigneur". Ce dernier rite est là pour donner de l'espérance et de la force à quelqu'un qui traverse un épreuve, pas pour aider à mourir ; en le célébrant avec une personne qui n'a plus la possibilité de communiquer, ni même sans doute d'entendre, quelque chose d'important manque. On a beau faire, il reste associé à la mort.

Du coup, le prêtre est l'homme de la mort, l'oiseau du mauvais augure. C'est quelque chose, je vous assure, que d'entendre ça alors qu'on croit être le porteur d'une bonne nouvelle. Pas facile de trouver alors des mots d'espérance. C'est pourtant cela qu'avec maladresse cette dame avait voulu me dire : il n'y a plus rien à faire, sauf ça, c'est tout ce qui me reste dans la détresse où nous sommes. Alors, patiemment, le dialogue s'engage, les larmes coulent, on donne le sacrement dans la foi en guettant un signe de vie de la part de celui qui va partir. Ce signe vient souvent : clin d’œil furtif, soupir, parole ébauchée dans un souffle, il est alors comme une ultime consolation, quelque chose qui vient affirmer que, oui, il y a encore de la vie, et s'il y en a là, il y en aura toujours. Je ne suis plus l'homme de la mort, mais l'homme de l'extrême.

jeudi 19 janvier 2012

Le courage des évêques de RDC.

On sait ce que signifie, dans nombre de pays, s'opposer au pouvoir en place. S'opposer, s'est s'exposer ; c'est risquer de croupir en prison pour de longues années, c'est risquer pour sa vie. Il a donc fallu aux évêques congolais (RDC) du courage pour écrire ce texte, qui est une condamnation sans appel de la manière dont se sont déroulées les élections présidentielles et législatives dans ce pays.

Petit rappel des faits : en novembre ont eu lieu les élections générales en RDC, dans un contexte rendu extrêmement difficile, à la fois par la situation économique et politique (pillage des ressources naturelles par les pays étrangers, occupation d'une partie du territoire par le Rwanda voisin, guérilla endémique dans les provinces de l'Est) et par la défaillance du réseau routier. C'est tout bête, mais c'est comme ça : pour organiser des élections, il ne suffit pas de voter, il faut permettre aux électeurs d'accéder aux bureaux de vote, compiler les résultats, acheminer le contenu des urnes dans des endroits où on pourra additionner les voix. Sans routes, c'est très difficile. La conférence épiscopale avait imaginé un stratagème : déléguer des milliers d'observateurs dans les centres de vote, avec la mission d'envoyer par SMS les résultats dès leur publication, et publier ainsi une estimation jugée objective. Pour empêcher cela, les envois de SMS ont été bloqués sur tout le territoire congolais, et le sont encore à ma connaissance. Les émissions de RFI ont été brouillées, et aujourd'hui le site web de Radio Okapi (la radio de l'ONU) est victime d'un étonnant piratage.

Les évêques avaient publié un premier communiqué, appelant les partisans du candidat à la retenue : toute autre attitude aurait conduit à un bain de sang. Ce communiqué avait aussitôt été exploité par le camp vainqueur. Le cardinal de Kinshasa avait alors pris la parole pour dénoncer la manipulation, ce qui lui avait valu des torrents d'insultes. D'où l'importance du message de ce début d'année, dans lequel les évêques dénoncent les tricheries, les atteintes aux droits de l'homme et les menaces adressées aux opposants, et appellent élus et gouvernants au respect de l'état de droit.

Ce n'est pas être exagérément pessimiste que de dire que cette intervention restera lettre morte : tout le monde, sauf les congolais eux-mêmes, a intérêt à ce que la situation perdure. Du moins les évêques congolais ont-ils sauvé l'honneur, et à nouveau montré l'importance que revêt la parole de l’Église catholique dans le pays.
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vendredi 13 janvier 2012

L'enfant et Dieu.

"Je suis Mme X..., et on m'a dit de vous appeler parce que ma fille n'est pas venue à la célébration du caté cette semaine."

Coup de fil assez courant. La petite veut faire sa communion, mais les parents n'ont pas eu le temps de l'emmener, ni au caté, ni à la messe, ni à la célébration de la Réconciliation au cours de laquelle elle aurait du se confesser. Si je laisse faire, sa première communion sera aussi la première fois qu'elle sera allée à la messe.

- Vous comprenez, je n'ai vraiment pas le temps... Cette année je n'y arrive pas." Les parents sont débordés, ce sont les enfants qui trinquent. Classique.
- Vous travaillez donc le dimanche ? - Non bien sûr. Le dimanche, on dort. La messe est à onze heures, je dors quand même. Qui va préparer le déjeuner des enfants ? Pas grave, je dors. Qui va être avec eux ? Je dors. Elle veut faire sa première communion ? - Oui, elle me demande sans arrêt de lui donner une Bible, de l'amener à la messe, de la faire entrer dans une église. Mais moi vous comprenez je ne suis pas pratiquante.

Et voilà comment on abîme les enfants. On les abîme doublement : d'abord, en n'étant pas à la hauteur de ses responsabilités de parents ; ensuite, en niant la profondeur de leur désir de Dieu. Car les enfants aiment Dieu, ils aiment les églises, les cloches qui sonnent, la messe parce qu'on y chante, la prière parce qu'on y dit des choses profondes et on s'y adresse à Dieu, quand même. Mais, pour les parents, ce ne sont que des gamineries sans importances. Ah, si elle me demande de faire de la musique, c'est autre chose. Mais là...

Le hasard a voulu que je reçoive ce coup de fil au moment de préparer l'homélie de dimanche, sur des textes bibliques qui parlent justement d'un enfant, Samuel, qui a entendu l'appel de Dieu. Le petit Samuel aussi, on ne le prend pas tout de suite au sérieux. Heureusement, c'est un têtu, et il demande des explications jusqu'à ce que ce balourd de prêtre comprenne.

J'espère que la petite du coup de fil sera aussi têtue.

lundi 9 janvier 2012

Le jour des païens.



Pour l'Epiphanie, l'église est pleine à craquer. Je sais que, comme chaque dimanche, mais plus encore pour ce genre de fête populaire, il y a là des gens qui ne se considèrent nullement comme croyants ; ils sont venus pour accompagner leur conjoint, pour faire plaisir à leur enfant, par intérêt ou par simple curiosité. Tel est le vrai visage de nos paroisses : elles sont loin d'être fréquentées par les seuls convaincus.

L'Epiphanie n'est pas seulement la gentille fête des gentils mages venus rendre visite au petit Jésus. Ce qu'elle est, c'est Paul qui nous le dit, dans la deuxième lecture qu'on a écoutée hier d'une oreille peut-être distraite :

Les païens sont cohéritiers, forment un même corps, participent à la même promesse en Jésus-Christ par l'Evangile.
Sacré Paul, il y va fort. Les païens forment un même corps avec les disciples du Christ. Ce corps, c'est l'Eglise.

Voilà qui met à mal bien des idées reçues : l'Eglise n'est pas le petit club des convaincus, de celles et ceux qui écoutent l'enseignement de Jésus et s'efforcent de vivre selon ses conseils. Elle est le Corps du Christ qui se construit et qui ne sera pleinement manifesté qu'à la fin des temps. Pour prendre une autre image, elle est la table préparée par Dieu pour son Royaume. A cette table, tout le monde n'est certes pas (encore ?) assis ; mais tout le monde a sa chaise et son couvert, et personne n'a été oublié.

Voilà aussi qui donne un début de réponse à ces questions qui me sont si souvent posées : mon ami n'est pas croyant, mes enfants ne sont pas mariés à l'église, mes petits-enfants ne sont pas baptisés. Il y a de l'inquiétude, de la souffrance, dans ces situations. La meilleure réponse est celle qu'apporte Paul : pas croyant, pas baptisé, mais déjà associé à l’Église d'une manière que Dieu seul connaît.

Que faire alors ? Se rappeler que la foi est un chemin, que nul ne vit sans se poser de questions, que ces questions sont autant de balises dans notre histoire avec Dieu. Se rappeler aussi que tout le monde a une histoire avec Dieu, et que chacun la vit à sa manière. Inviter, aussi, chacun à être honnête vis-à-vis de cette histoire : tu es incroyant aujourd'hui, certes ; mais tu as rencontré Dieu déjà dans ta vie, et cette rencontre a fait de toi ce que tu es aujourd'hui. Et nul ne sait de quoi demain sera fait. Les mages aussi n'ont pas vu l'étoile tout au long du chemin ; ils n'en ont pas pour autant cessé d'avancer.