samedi 19 février 2011

L'épouvantail.

Il y a eu, au XX° siècle : les curés (sous couvert de laïcité, l'anticléricalisme a battu son plein) ; les Allemands, métamorphosés en Nazis ; les communistes, variante des Russes, qui, quand j'étais petit, devaient un jour arriver avec leurs chars rue de la Liberté ; les étrangers, sources de tous les mots de notre société. Notre République a besoin de ces épouvantails, pour assurer à peu de frais la cohésion nationale, en rassemblant ses poussins. Ça lui évite de se poser une question sous un mode, disons plus positif : au lieu de faire peur, ne peut-on essayer de faire envie ?

La laïcité fait aujourd'hui un retour en force, cette fois-ci dirigée contre l'islam (mais, ne nous y trompons pas : les cathos en font les frais également). Ça marche bien, car l'islam fait peur, si j'en crois les courriels qui circulent en boucle sur le Net, et les articles menaçants dans toutes sortes de revues virtuelles (à Dijon, il y a quelques semaines, la venue d'un candidat aux présidentielles parfaitement inconnu a été abondamment médiatisée, et la Gazette locale n'a rencontré que des gens qui l'ont trouvé formidable).

Il suffit pourtant de sortir un peu de chez soi et de rencontrer des musulmans, ici ou ailleurs, pour comprendre que tous n'ont qu'une envie : accéder à notre mode de vie. En Algérie, au Maroc, la jeunesse ne regarde que les chaines de télévision occidentales, et Internet est pour elle une porte ouverte sur ce monde qui leur reste interdit. La peur de l'islam nous a fait rater les révolutions de Tunisie et d'Égypte, en soutenant des régimes corrompus qui se sont effondrés comme des châteaux de cartes. Elle pourrait bien nous faire rater notre propre révolution, car elle nous expose à des risques plus grands encore : à force de vouloir nous recroqueviller sur notre identité, nous risquons de perdre notre âme. Nous ne pouvons pas être le pays qui, d'un côté, se méfie de l'Islam ; et, de l'autre, se refuse à reconnaître l'importance du christianisme dans sa propre identité.

Quelques lignes, pour finir : elles sont écrites par un religieux catholique égyptien, auquel je préfère laisser le bénéfice de l'anonymat, et donnent une idée de l'atmosphère qui prévaut aujourd'hui en Égypte :
Folle ambiance : nous montons dans un microbus, dont le toit se peuple d’autant de monde que les sièges intérieurs. Pas de police dans la rue : des jeunes règlent la circulation. Plus on approche de Tahrir, plus la foule devient dense ; nous finissons à pied. Et nous nous retrouvons dans la foule de la fameuse place, qui exulte, crie des slogans, chante des chants patriotiques, danse, s’embrasse, agite des drapeaux. Très peu de signes islamiques : un petit groupe lance des « Allah-o Akbar », quelques Frères musulmans font une prière assez ostentatoire, mais ils ne sont qu’un élément parmi d’autres, dans la foule. Plus frappants sont les jeunes qui se tiennent par le bras, l’un, musulman, brandissant un Coran, l’autre, chrétien, arborant une croix. Des écriteaux aussi affichent la croix et le croissant, affirmant que « Nous sommes tous Égyptiens ». Nous marchons en enjambant les barricades qui ont protégé les manifestants les premiers jours. Nous croisons ici ou là quelques étrangers venus se joindre à la joie des Égyptiens. Les soldats sont sur leurs chars, se laissent photographier avec les gens. Bientôt des feux d’artifice éclatent. Nous retrouvons deux amis, étudiants en théologie à Sakakini, qui, comme notre frère, ont participé aux manifestations dès le début. Grandes embrassades, émues : ils ont gagné, et sans aucun recours à la violence ! C’est bien l’aspect le plus frappant de cette révolution : pas une balle n’a été tirée, ni par l’armée ni par les manifestants. Seule la police s’est déshonorée, les premiers jours, par une série de bavures ordonnées par le ministre de l’intérieur (ou son patron ?), lequel sera certainement traduit en justice. Un petit carré, sur la place, est réservé aux photos d’une trentaine de jeunes « martyrs » de la révolution, qu’on regarde un moment, avec émotion. Oui, une révolution arabe non-violente ! Voilà qui réhabilite l’image de l’Arabe, dans le monde, et qui restera inscrit dans l’Histoire.

samedi 5 février 2011

Les évêques d'Afrique du Nord et les révolutions.

Autant qu'il leur est possible vu leur situation difficile, les évêques d'Afrique du Nord ne peuvent pas rester indifférent à ce qui se passe en ce moment dans leurs pays. D'autant moins en Egypte, où vivent plusieurs millions de chrétiens (à la différence de la Tunisie). Voici le communiqué qu'ils ont publié depuis Alger cette semaine :

Les évêques de la CERNA reconnaissent dans les événements qui bouleversent actuellement la Tunisie, l'Egypte... une revendication de liberté et de dignité, notamment de la part des jeunes générations de la région, qui se traduit en volonté que tous soient reconnus comme citoyens, et citoyens responsables. Reprenant le message du Saint-Père pour le 1° janvier 2011 : "Liberté religieuse, chemin vers la paix", et éclairés par lui, ils reconnaissent que la liberté religieuse est la garantie d'un respect complet et réciproque entre les personnes. Elle se traduit avant tout par la liberté de conscience reconnue à toute personne, la liberté de chercher la vérité. Elle suppose le respect de l'autre, de sa dignité, fondement de la légitimité morale de toute norme sociale ou juridique. La liberté de conscience et la citoyenneté seront sans doute de plus en plus au cœur des dialogues entre croyants musulmans et chrétiens qui habitent au Maghreb.

Un large panorama de ce que vivent les Eglises du Maghreb révèle l'esprit commun qui les unit : la volonté d'être une Eglise servante :

- au service pastoral des chrétiens qui vivent dans ces pays, parfois ressortissants de ces nations, le plus souvent étrangers venus pour quelques années pour le travail, les études ou des raisons de migration. La CERNA est préoccupée par la situation souvent dramatique des migrants clandestins ; elle encourage les efforts de ceux qui luttent contre les causes de l'émigration ; et les chrétiens font tout leur possible pour humaniser les conditions de vie de ces migrants.

- au service des habitants essentiellement musulmans des pays où vivent ces Eglises, de leur développement et de leurs aspirations à plus de dignité. Elles soulignent la qualité des liens d'amitié qui se tissent avec les citoyens de ces pays, et témoignent avec joie des occasions toujours plus nombreuses de nouer ces liens : oui, le dialogue islamo-chrétien est possible, l'engagement commun au service de personnes plus démunies, le travail avec les associations des sociétés civiles des pays du Maghreb permettent d'apprendre à se connaître, non seulement de se tolérer, mais de se respecter et de se comprendre dans la recherche de la volonté de Dieu.

jeudi 3 février 2011

Familles chrétiennes.

Le dossier de La Vie sur les familles me vaut évidemment plein de réactions, généralement positives et bienveillantes. D'autres sont carrément négatives. Je passe sur ceux qui ne se donnent pas la peine de lire l'article en entier, et qui, parce que c'est La Vie, savent d'avance qu'ils vont y trouver quelque chose qui va leur déplaire. Mais il y a quand même des gens qui s'étonnent de voir figurer, dans ce bel échantillon de mes paroissiens, des personnes divorcées... Les divorcés seraient-ils donc exclus de l'Église ? Ne devraient-ils pas figurer sur la photo de famille, sous prétexte qu'ils donnent une image indigne du christianisme ?

Personnellement, je suis fier que chacun, là où il est, trouve sa place dans l'Église, à travers la vie paroissiale. L'Eglise est accueillante à tous, "à condition, précise le cardinal Vingt-Trois, de ne pas en rester là". C'est-à-dire : à condition de ne pas faire comme si de rien n'était, de se dire "finalement, ce que je vis, c'est vraiment génial et il n'y a aucun problème". Et donc, d'avancer, comme de toute façon tout le monde avance et cherche à se convertir. Je suis donc très fier de cette belle image de l'Église qui est donnée à la paroisse Saint-Pierre, grâce à ses paroissiens. Et je témoigne de la sincérité du désir qu'ont les uns et les autres, autant qu'il leur est possible, de suivre les conseils évangéliques.

Je suis le premier à affirmer l'importance du sacrement du mariage, à me faire le chantre des familles nombreuses (j'en viens, je sais donc de quoi je parle), à dénoncer les méfaits des divorces, des unions dites "libres", et de tout ce que vous voulez. Je n'ai aucune difficulté avec la discipline actuelle de l'Église concernant le mariage. Je mesure tout ce qu'apporte aux fiancés, y compris à ceux qui ne sont pas baptisés, une préparation au mariage qui prend au sérieux leur désir de célébrer sacramentellement leur union, et donc au cours de laquelle on n'hésite pas à lire l'Écriture, à prier, à aborder de front les questions de la foi qui rejoignent profondément celles de la vie. Il y a là un idéal, dont il faut continuer à affirmer la haute valeur morale.

Mais dire que les familles qui ne vivent pas cet idéal ne sont pas chrétiennes, cela me révolte. Or, c'est parfois ce qui est sous-entendu derrière des réactions au dossier de La Vie. Ceux qui disent cela n'ont sans doute pas lu l'Évangile, qui nous montre Jésus entouré de toutes sortes de gens, pas forcément recommandables ; qui nous parle de la Sainte Famille en des termes qui n'évoquent guère la famille "catho" traditionnelle. Ce qui fait la sainteté de cette famille, c'est qu'elle a su accueillir Dieu et donner chair à sa Parole, malgré les limites inhérentes à toute famille humaine. Ce qui peut faire de nos familles de saintes familles n'est pas leur conformité à un idéal, c'est, comme pour la famille de Jésus, la manière dont elles accueillent cette Parole et lui donnent chair.