samedi 24 décembre 2011

Le Verbe s'est fait chère.

Vu les horaires de Noël (messe à minuit, a-t-on idée ?), la petite fête familiale intergénérationnelle du 24 décembre au soir ne peut avoir lieu qu'au presbytère, si on veut que le curé y participe. A cette nouvelle, j'ai senti chez mes neveux et leurs parents comme une ombre d'inquiétude : qu'allait-on donc pouvoir manger chez quelqu'un qui n'a personne pour faire la cuisine ? C'est qu'à Noël, le Verbe se fait chère, et cette vérité passe évidemment par des agapes - du grec Agapê, don de soi dans l'amour, et par extension repas préparé et vécu avec amour.

Ce n'est pas faux, après tout : le Verbe se donne en nourriture, chaque jour, chaque dimanche, mais plus spécialement en ces temps de Noël où s'agrandit notablement le cercle des paroissiens. A Noël, on communie beaucoup. Nos gens ne savent d'ailleurs plus trop comment faire : tendre la main ? Oui, mais comment ? On regarde la dame qui est devant, on fait comme elle, et, comme on l'a vue remuer les lèvres, on dit "merci", c'est plus poli à défaut d'être joli. Ouvrir la bouche ? Tirer la langue ? Se signer, avant, pendant ou après ? Emporter ce joli rond blanc pour profiter un moment de sa chaleur au creux de la main ? Des consignes oubliées reviennent à la mémoire : ne pas mordre dans l'hostie de peur de blesser Jésus. Attention, ça peut coller au fond du palais. Ne fallait-il pas se confesser avant ? Venir à jeun ? Zut, c'est trop tard, j'ai communié.

Le Verbe se fait chère. Oui, mais ce n'est pas comme ça que Jean nous dit les choses : le VERBE se fait CHAIR. Qu'est-ce à dire ? Et qu'est-ce que le Verbe ?

Ce Verbe, c'est la Parole. Parole de Dieu. Cette Parole ne fait pas partie de celles qui s'envolent : elle a trop de poids pour cela. Elle prend chair, c'est-à-dire qu'elle s'incarne dans une vie humaine. La Parole divine n'est pas une parole en l'air, elle tombe sur la terre en un homme, Jésus, pour nous dire qu'elle est faite pour prendre chair de notre chair.

Car ce n'est pas seulement de la chair du Christ qu'il s'agit, mais de toute chair. Ce n'est pas de la peau et des os qu'on parle là, mais de toute vie humaine, de la Création qui attend cette venue du Verbe. La première à avoir compris cela, c'est Marie : en disant "Oui", elle accueille le Verbe et lui donne sa vie, avec une telle vérité qu'il prend, littéralement, chair de sa chair. Et les premiers mots qu'elle prononce alors, depuis cette chair transformée par la présence du Verbe, sont ceux du Magnificat, des mots à ce point incarnés qu'ils n'ont pas fini de nous surprendre, sinon de nous scandaliser : Dieu comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides, renverse les puissants de leur trône... Dans la bouche de Marie la discrète, la parole de Dieu se fait sociale.

Le Verbe se fait chair, pour mieux se faire chair. Si nous pouvions avoir cela à l'esprit la nuit de Noël, lorsque nous accueillons le Christ en nourriture.

samedi 17 décembre 2011

"J'ai rendu mon baptême"


A nouveau, un commentaire sur un commentaire, à la suite du dernier billet consacré au péché originel : "J'ai rendu mon baptême, prétextant que j'étais athée".

Encouragés par des officines aussi douteuse que la secte rahélienne, désirant manifester leur hostilité au catholicisme, ou simplement mus par un souci d'honnêteté intellectuelle (puisque je ne suis pas croyant, je ne peux pas figurer sur les registres de l’Église catholique), de plus en plus de Français demandent à être radiés des registres de baptême. La justice a récemment fait droit à cette demande, en première instance du moins. J'y ai été confronté au moins une fois.

On voit bien l'argument : les registres de baptême sont la liste des membres de l’Église catholique, accessibles à tous (ce qui est d'ailleurs faux, puisque ces registres ne sont pas en libre accès). Nul ne peut y figurer sans son consentement. Cet argument ne correspond pas toujours aux intentions réelles (désir de nuire à l’Église, ou, ce qui est plus complexe, souhait de "repartir à zéro" en effaçant les traces d'une existence antérieure, nous y reviendrons), mais la justice ne s'intéresse pas à cette dimension-là de la vérité.

Le problème est que cette manière de voir ne correspond pas à ce qu'est le baptême. Être baptisé, ce n'est pas faire partie d'une association qui s'appellerait l’Église catholique. C'est rencontrer quelqu'un (Dieu). C'est faire l'expérience de la mort et de la résurrection de Jésus. En ce sens, demander à être radié des registres de baptême, c'est comme dire à quelqu'un "je ne t'ai jamais rencontré". C'est renier un pan de son histoire, peut-être insignifiant, mais sans doute plus important qu'on ne veut bien l'admettre puisqu'on agit ainsi (si le baptême était vraiment insignifiant, on n'y prêterait pas attention). Il serait intéressant de savoir ce qui se cache derrière ce reniement : pourquoi ne pas reconnaître ce qui est de l'ordre du fait ? J'ai été baptisé, cela ne signifie rien pour moi, certes, mais je l'ai été et cela fait partie de moi, autant que ma famille, mes origines sociales, bref tout ce qui fait mon histoire et qui m'a construit. En ce sens, la campagne de débaptisation n'aide personne à assumer sa propre histoire, en laissant croire qu'on peut délibérément tourner le dos à soi-même. Elle participe de cette curieuse idée, qui consiste à penser que nous serions libres de construire à notre guise notre propre existence, et que rien de cette existence ne nous serait donné en dehors de notre propre volonté.

Question subsidiaire : la justice peut-elle régler ce malentendu ? C'est ce qu'elle a fait dans sa dernière décision, en assimilant l'inscription dans les registres de baptême aux listes des membres d'une association. Elle interprète donc le baptême d'une autre manière que l’Église elle-même. Cela pose un problème : l'Etat français, qui est séparé de l’Église, peut-il interpréter ainsi le dogme catholique ? Jusqu'à présent, la réponse était négative (ainsi, la République reconnaît la hiérarchie catholique, pour ce qui est de l'affectation des lieux de culte). Les juges de Coutances engagent là autre chose que le simple droit des particuliers à être rayés d'un quelconque fichier.

mardi 13 décembre 2011

Péché originel.

"Je suis athée, la chose qui me révulse le plus chez les chrétiens c'est bien la notion de péché originel...Comment culpabiliser, dès la naissance, un enfant ?"

Ce commentaire, reçu à propos de mon dernier billet, me donne envie d'aller plus loin : tant de choses sont dites, écrites, crues, sur cette faute des origines dont nous porterions injustement le poids ; comment en effet, être coupables - et donc punis - dès notre naissance pour un péché qui n'est pas le nôtre ?

La question appelle une réponse très nette : Dieu ne condamne personne pour un mal qui n'a pas été commis. La culpabilité n'est d'ailleurs en rien un héritage de la tradition chrétienne : l'idée que notre existence serait frappée par une dette originelle existe dans bien d'autres traditions religieuses (ainsi, dans l'hindouisme) ; je connais des gens qui n'ont absolument pas été élevés religieusement, et qui sentent sur eux le poids d'une terrible culpabilité, dont rien ne semble pouvoir les libérer. La vérité est que la culpabilité fait partie de l'humanité ; le christianisme est un chemin pour s'en libérer. Cette libération passe par une tentative d'en comprendre les causes, à la lumière du récit biblique.

La doctrine du "péché originel" est la manière, chrétienne mais enracinée dans une tradition antérieure à l'enseignement de Jésus, de rendre compte des contradictions internes à l'humain. Avant de renvoyer à la faute d'Adam et d’Ève, elle est d'abord à mettre en lien avec une constatation : nous voulons faire le bien, et nous n'y arrivons pas parfaitement. Pour prendre un exemple : lorsque nous aimons, nous rêvons d'un amour parfait et sans nuage ; or, cet amour-là n'existe pas. C'est ainsi que les familles, qui sont le lieu par excellence où devrait se vivre l'amour, sont aussi des lieux de violence, de jalousies, de rivalités... Il y a en nous une tension : entre un désir de perfection qui nous habite, et qui est dans notre nature ; et la difficulté que nous avons à mettre en œuvre ce désir. Parler de "péché originel" est la manière chrétienne de rendre compte de cet état : notre nature est foncièrement bonne, mais elle est pervertie par le mal.

Dans la tradition chrétienne, le péché est donc un état de fait, et non une faute dont on se serait rendu coupable ; c'est pourquoi on dit que l'homme est "pécheur". Pas mauvais, mais pécheur. Le péché est une situation de rupture, de conflit, à trois niveaux : un conflit intérieur ; un conflit avec les autres ; un conflit avec Dieu. Cette situation nécessite une réconciliation - réconciliation intérieure, avec mon frère, avec Dieu. Ces trois niveaux sont étroitement liés entre eux, et s'il y a réconciliation, elle ne peut être que globale.

C'est dans ce sens qu'il faut comprendre le second récit biblique de la Création (Genèse 3), qui insiste sur le fait que les difficultés de ce monde viennent du péché, d'une rupture avec Dieu, et donc peuvent être guéries, ou plutôt "réconciliées" par Dieu. Pour les chrétiens, le lieu de cette réconciliation est la mort du Christ, c'est-à-dire le moment où il se donne tout entier à nous, et où Dieu nous donne ce qu'il a de plus cher.

C'est également dans ce contexte que doit se comprendre le dogme de l'Immaculée conception : nul ne peut dire "Oui" à Dieu, sans garder par-devers lui une réticence, un petit reste de "non", à moins d'avoir vécu cette réconciliation. Le "Oui" de Marie n'aurait pu être prononcé, si Marie n'avait pas bénéficié de ce don gratuit.

jeudi 8 décembre 2011

Immaculée Conception.

En ce 8 décembre, les Dijonnais sont pour la seconde fois invités à processionner entre la cathédrale et l'église Notre-Dame. On s'attend à ce qu'il y ait du monde. Marie fait recette auprès des catholiques.

En ce 8 décembre, pour les prêtres, il va falloir se lancer dans un exercice pas facile. Ne pas se contenter de répéter platement les énoncés dogmatiques, mais donner à goûter le mystère, faire comprendre pourquoi on parle ainsi de Marie dans notre Église (et pas dans d'autres traditions chrétiennes), dire en quoi cette fête concerne de si près notre vie d'hommes et de femmes. C'est ce que tentent, par exemple, Aleteia, ou encore ce chapelain de Lourdes sur Youtube.

Difficile exercice, qui passe souvent par le déminage d'un terrain encombré de fantasmes : non, l'Immaculée Conception ne signifie pas que Jésus ait été conçu sans que sa mère ait commis de péché (comprenez : de chair), comme je l'ai si souvent entendu dire. Non, le dogme ne fait pas de Marie une créature au-dessus de toutes les autres, superwoman avant la lettre.

L'Immaculée Conception nous renvoie d'abord à notre propre existence : à nous, disciples du Christ, qui voudrions donner chair à la Parole de Dieu, l'incarner à notre manière ; et qui faisons alors l'amère expérience de notre péché, c'est-à-dire de notre impuissance. A nous tout seuls, nous ne pouvons faire de cette Parole une parole vivante, incarnée. Je voudrais faire le bien, dit Paul, mais sans le Christ, j'en suis incapable à moi tout seul. Sans lui, nous ne pouvons rien faire.

Une femme fait exception : Marie, qui donne, au sens propre, chair à la Parole de Dieu. Cette Parole, elle l'accueille sans que rien ne vienne entraver son "oui", avec une telle vérité qu'elle fait naître en elle la Vie.

D'où vient que Marie ait pu dire "oui" de cette manière ? L'Immaculée Conception est la réponse à cette question : avant même l'arrivée de Jésus, celui qui donne la grâce, Marie a reçu de Dieu la force qui manque à son humanité pour donner vie à la Parole. L'énoncé dogmatique, dans la précision de ses concepts, nous dit : "Elle a été préservée du péché des origines".

Formidable Marie, donc ? Humble servante, plutôt : car ce qui rend possible l'accueil de la Parole, c'est l'humilité et l'obéissance. Loin de faire de Marie une femme différente de nous, son histoire nous dit que Dieu ne peut venir en nous si nous ne lui faisons pas un peu de place. Telle est la leçon pour nous de la fête de l'Immaculée : avec la grâce de Dieu, à condition de nous effacer devant Lui, nous pouvons, nous aussi, donner chair et vie à la Parole.

mardi 6 décembre 2011

Vrai et faux suspense à Kinshasa.

D'après les nouvelles (fragmentaires) qui arrivent de là-bas, le calme règne à Kinshasa qui attend la publication promise des résultats de l'élection présidentielle. Si la mégapole congolaise connaît ce climat inhabituel, la cause en est sans doute un impressionnant déploiement des forces armées ; il succède à des semaines marquées par une grande violence - on ne saura sans doute jamais combien de personnes ont trouvé la mort samedi dernier à l'aéroport de Ndjili.

Petit rappel pour ceux qui n'ont pas suivi l'actualité, il est vrai encore peu relayée par les médias français : la semaine dernière a eu lieu le premier et unique tour de l'élection présidentielle qui opposait essentiellement deux candidats, le président sortant Joseph Kabila, fils de son père, et celui qu'on surnomme là-bas le Sphinx - Etienne Tshisekedi, éternel opposant qui voit à près de quatre-vingts ans l'occasion d'occuper enfin le fauteuil présidentiel. Tshisekedi apparaît auréolé d'un incroyable prestige, du autant à sa longue carrière d'opposant qu'à l'impopularité de son adversaire, incapable de remettre sur les rails l'économie de l'immense pays dévasté par une décennie de guerre. Son retour à Kin, à la veille de l'élection, a provoqué une marée humaine qui a déferlé sur l'aéroport pour l'accueillir en triomphateur. A peine les bureaux fermés, ses partisans ont annoncé sa victoire haut la main et dénoncé les innombrables "irrégularités" (quel joli mot pour parler d'énormes fraudes) d'un scrutin qui a été surveillé bien moins étroitement que l'an dernier par les observateurs étrangers. Peine perdue : on s'attend ici à apprendre la réélection du président sortant. Tshisekedi a prévenu : un tel résultat serait "suicidaire" pour la République.

Tout le monde le comprend : les heures, les jours, les semaines qui suivent vont être durs. Les bruits les plus divers circulent - 30 000 kinois se sont réfugiés à Brazzaville, de l'autre côté du fleuve - Kabila a recruté sur sa fortune personnelle des mercenaires étrangers qui sont déjà sur le territoire national - les Rwandais ont un plan qui se soldera par la partition du pays en leur faveur. Une chose est certaine : le résultat de l'élection est acquis, et comblera d'aise la fameuse "communauté internationale" (en réalité, les voisins du Congo qui pillent le pays pour le compte des Occidentaux). Le suspense n'est donc pas là, mais sur la réaction d'Etienne Tshisekedi et de ses partisans. L'Église catholique, unique institution nationale qui tienne encore debout, a choisi la paix, au risque de l'injustice : ses milliers d'observateurs ont tous dénoncé les fraudes, mais les évêques appellent, malgré tout, au respect du résultat quel qu'il soit.

samedi 19 novembre 2011

Place nette (suite) : des nouvelles des demandeurs d'asile.

Ils campaient place Wilson, ils avaient disparu. On les a retrouvés, eux et les six cents autres qui attendent de se voir accordé (ou refusé) l'asile qu'ils demandent à la France : ils se trouvent à Dijon, rue du Dr Bertillon ; à Chenove, rue Paul Langevin ; ailleurs, dans la zone Nord... Dans des locaux abandonnés, sans électricité, avec un peu d'eau courante, et dans le froid.

On entend déjà des (justes) remarques : nous ne pouvons pas accueillir le monde entier sans mettre en péril notre mode de vie. C'est vrai. Mais l'une des caractéristiques de la démocratie dans laquelle nous vivons, c'est le respect de l'état de droit. Que dit le droit ? Que ces hommes et ces femmes, en attendant que soit statué sur leur sort, ont le droit à des conditions de vie qui respectent leur dignité. Le corollaire est, sans aucun doute, d'accepter la décision qui sera prise au final. En attendant, on ne peut laisser personne dehors en hiver.

Alors, on va faire un effort. Il faut des matelas, des couvertures, des réchauds pour cuisiner, des casseroles, des assiettes, des tables, des chaises, de quoi manger et se laver... On apporte tout ça rue du Dr Bertillon, ça donnera l'occasion de voir sur place à quoi ressemblent nos hôtes...

Associations signataires de l'appel : ACAT Dijon ; Action Catholique Ouvrière ; ADiSaR ; Afrane ; Amnesty International ; ATTAC 21 ; Club Unesco Dijon ;CCFD Terre Solidaire ; Espace Autogéré des Tanneries ;Fraternité St François d'Assise; FSU 21 ; La Cimade ; La Vie Nouvelle ; LICRA ; Ligue des Droits de l’Homme ; MRAP ; Pastorale des Migrants ; RESF21; Secours Catholique ; SOS Refoulement ; Syndicat de la Magistrature.

mercredi 16 novembre 2011

Croire dans ceux qui croient.

Une enquête menée conjointement par Sciences-Po et le ministère des armées donne un résultat surprenant : 85% des jeunes (lycéens) ont confiance dans l'armée. L'armée française est, et de loin, l'institution dans laquelle les jeunes français ont le plus confiance, devant l'école (78%), les entreprises (60%), la justice (59%)... et très loin devant l’Église, qui enregistre un petit 28% (dont 9% de "tout-à-fait confiance"), et se situe juste avant la télévision (24%) et les partis politiques (13%). Dans le même ordre d'idées, 7% des jeunes sondés se déclarent prêts à faire partie d'une association religieuse (45% d'un club sportif). 29% se déclarent catholiques, 51% sans religion : on imagine volontiers que les seuls jeunes qui ont confiance dans l’Église sont ceux qui se déclarent catholiques. Ce qui ne va pas sans poser problème.

Ce n'est pas jouer les Cassandre que de prédire que, si on s'en tient là, ces 28% de lycéens seront les 28% de catholiques de demain - deux Français sur trois aujourd'hui ; voilà qui annonce pour l’Église des lendemains fort difficiles. Car on n'imagine pas les trois quarts restants faisant baptiser leurs enfants ou se mariant religieusement, à moins de les faire changer d'avis.

On aimerait, du coup, en savoir plus long. Qu'est-ce qui vaut à notre Église une si mauvaise opinion de la part des jeunes ?

Peut-être, en attendant que la conférence des évêques de France ne se lance dans un travail équivalent, cela vaut-il le coup de regarder pourquoi l'armée a si bonne presse, et en tirer quelques leçons pour l’Église.

Première constatation, qui ne surprendra personne : une bonne communication (spots à la télé en particulier) a permis un redressement spectaculaire en une petite vingtaine d'années. Cette communication, chose intéressante, s'appuie sur l'usage que font en particulier les garçons des jeux vidéos, grands pourvoyeurs d'images guerrières. Interrogeons-nous donc sur notre propre communication : quel est l'impact, auprès des jeunes, des images diffusées ces dernières semaines de manifestants priant le chapelet dans les rues de Paris, ou appelant à une contestation violente contre une œuvre supposée blasphématoire ? Quelle image dans cet univers culturel que sont les jeux, la bande dessinée, la télé ? Pourquoi ne parvient-on pas à mettre en avant l'action des organismes de solidarité de l’Eglise ? Sa présence de proximité auprès des familles, dans les moments les plus importants de leur vie ?

Deuxième constatation : les missions prioritaires de l'armée sont comprises comme des missions de protection, ou des missions humanitaires au sens large (opérations de maintien de la paix), ce qui est cohérent avec les préoccupations des jeunes (environnement, faim dans le monde, risques de guerre). Il serait intéressant de savoir ce qui, pour les jeunes, devrait être la préoccupation première de l’Église ; il y a gros à parier que la charité viendrait en premier. La présence de l'Eglise dans ce domaine est immense et mal connue des catholiques eux-mêmes.

Certes, on peut douter de la valeur de ce genre d'enquête, remarquer que les jeunes n'ont pas eu encore de véritable contact avec l’Église (ni mariage, ni baptême...), affirmer que ce qui doit être annoncé c'est le Christ et non l’Église. Une chose est certaine : si nous ne parvenons pas à faire grandir la confiance dans l’Église, les chrétiens, de minoritaires qu'ils sont déjà, vont devenir un corps étranger dans une société qui finira par les rejeter.

vendredi 4 novembre 2011

Tous saints ?


Ce matin, grande première : dans le cadre de l'heure d'échange (je crois que ça s'appelle comme ça), je devais intervenir devant deux classes de 4T (quatrième technologique) pour leur parler de la Toussaint. A huit heures. Du matin. Les profs sont sans pitié.

En entrant dans la classe, je me demandais ce que j'allais bien pouvoir dire à ces ados pour les intéresser. En sortant, je me suis dit : "Pari gagné..." On a passé deux fois une heure à parler, peut-être pas de Dieu, mais au moins de ses saints, du christianisme, de sa place dans la France d'aujourd'hui et dans le monde. Car les saints sont bien présents dans notre pays, plus encore peut-être que Dieu : tout le monde (enfin les baptisés) a un saint patron, c'est fou d'ailleurs ce que ça les a intéressés, ces jeunes, d'en savoir un peu plus sur celui dont ils portent le nom ; tous les villages ont des églises consacrées à un saint particulier, et certains s'appellent eux-mêmes Saint quelque chose. Comme quoi, quand on parle du christianisme, ça aide à mieux se connaître et à comprendre le monde dans lequel on vit.

A midi, je retrouve par hasard un ami perdu de vue depuis quelque temps. Il s'étonne de ce temps d'échange, dans lequel on ne présente que le christianisme : n'est-ce pas irrespectueux d'une laïcité qui impose que les différentes religions soient traitées sur un pied d'égalité ? n'est-ce pas intéressant de connaître également l'islam ? le judaïsme ?

A la réflexion, je réponds : non. Enfin, si, c'est intéressant ; mais pas aussi important. Car l'objectif de ces temps d'échange n'est pas d'abord une ouverture au religieux ; il est de faire prendre conscience de l'importance du religieux dans le monde dans lequel nous vivons, et du coup d'aider à la compréhension de ce monde. Bien sûr que l'islam a sa place dans ce pays. Mais il marque infiniment moins nos manières de vivre. Connaître l'islam pour un chrétien (un agnostique, un athée), c'est s'intéresser à l'autre, ce qui est honorable ; c'est peut-être aussi comprendre mieux un bon nombre de nos compatriotes, dont les manières de vivre et de penser sont influencés par lui. Quoiqu'on en dise, ce n'est pas mieux connaître la France que de mettre sur un pied d'égalité des religions qui n'ont pas la même importance pour comprendre la culture de ce pays-ci. Je dirais même plus : c'est fausser notre regard.

Une anecdote pour conclure : cet été, mon neveu sert la messe du 15 août. Avant de sortir de la sacristie, pris d'un scrupule, il se tourne vers moi et me demande : "C'est une église ou une synagogue ?" Ses parents m'ont expliqué qu'il avait eu, en catéchèse, une année où on avait beaucoup insisté sur la connaissance des différentes religions. Cette manière de faire l'avait peut-être éveillé à l'importance du dialogue inter-religieux, mais ne l'avait apparemment pas aidé à comprendre ce qui se passait dans son propre monde.

mardi 1 novembre 2011

Visage montré, visage caché.

A l'heure où l'archevêque de Paris "siffle la fin de la récré", pour reprendre la jolie expression de la consoeur Natalia Trouiller dans La Vie, quelques lignes (tardives ? Mais il faut savoir prendre un peu de recul avec l’actualité) à propos de la pièce controversée de Romeo Castellucci. Et plus encore sur la manifestation de protestation qui s'est déroulée samedi dans les rues de Paris.

Pour commencer, une citation de l’archevêque de Paris : ''On est en face de gens qui sont organisés pour des manifestations de violence et pour obtenir ce qu'ils ont obtenu d'ailleurs, une place dans les journaux''. On a vu en effet, bénéficiant d’une couverture médiatique des plus complaisantes, un gros millier de personnes dans les rues de Paris. Pour info, la cathédrale de ma petite ville de province compte 1400 places, il n'est pas rare de la voir pleine à craquer, mais les médias s’en moquent. Ce qui s'est donné à voir de l’Église catholique samedi n’est qu’un petit groupe de personnes déterminées et extrémistes, d'autant moins crédibles qu'elles ont protesté contre une pièce de théâtre qu'elles ne s'étaient pas donné la peine de voir. Ce qui reste caché, ce sont les milliers de petites mains anonymes qui tissent un formidable réseau de solidarités spirituelles et humaines : bénévoles du Secours catholique, correspondants du CCFD, animateurs liturgiques, catéchistes, équipes d'accueil de familles en deuil, membres de mouvements de jeunesse, visiteurs de malades... Ceux-là ne manifestent jamais. L’Église a deux visages : celui des plateaux télé, celui qui restera à jamais loin des feux de la rampe. Le vrai visage est bien sûr celui qui est caché. Qui le dira ?

Ce qu’on a vu samedi n’est pas né d’hier, mais été précédé par un énorme travail de présence dans les médias, et particulièrement dans le plus facilement manipulable d’entre eux, Internet. Ces gens sont « organisés pour des manifestations de violence », dit Mgr Vingt-Trois : dans le réseau virtuel des fondamentalistes de tout poils, la violence n’est que verbale, mais elle n’en est pas moins réelle. Ceux qui osent élever la voix pour la dénoncer sont pris à partie sans ménagement – il m’arrive de temps en temps d’en faire les frais.

Comment se fait-il que ce soit ce visage-là de l’Eglise qui se soit montré cette semaine ?

C’est que l’autre visage est occulté.

D’abord parce qu’il n’intéresse aucun média. On ne vend pas un journal qui titre « Aujourd’hui, il ne s’est rien passé ». Dans l’Eglise (la vraie), il ne se passe pas grand-chose : on essaye juste de faire le bien et de prier Dieu. Ça ne vaut pas le coup d'en parler.

Ensuite et surtout, à cause de la conception bizarre de la laïcité qui prévaut dans beaucoup d’esprits : en République, il faudrait absolument ignorer l’existence du religieux. Ignorons donc, nions, refoulons. Comme on peut s'en douter, ce qui est refoulé violemment – même si cette violence est légale – ne tarde pas à se manifester de la même manière. C’est ce qui se passe sous nos yeux. Castellucci a déclaré que la France était le seul pays dans lequel s’étaient déroulées ces manifestations de protestation : c’est parce que, dans notre pays, la sécularisation s’impose par la force. La vraie christianophobie n’est évidemment pas dans une œuvre d’art ; elle se vit au quotidien, dans un mélange de mauvaise foi, de mensonge et de méconnaissance du christianisme qui se répand à toute vitesse. Il fallait entendre la semaine dernière sur une radio nationale cette auditrice qui se disait persuadée que l’Eglise encourageait la souffrance des malades dans les hôpitaux ; ou cette autre, estimant que toute religion était source de violence… La manifestation de samedi n’a fait que donner du grain à moudre à ceux qui tiennent ce genre de propos. Elle n’est sans doute pas, hélas, la dernière du genre. La preuve : les paroles de condamnation sans appel du cardinal Vingt-Trois sont loin d'avoir bénéficié du même traitement médiatique que la présence de nos excités intégristes. Un homme contre mille. La cause est entendue.

vendredi 21 octobre 2011

Place nette.


Je ne voulais pas en parler jusqu'à maintenant pour ne pas attirer l'attention sur eux... Mais comme, depuis hier, ils ne viennent plus, me voilà libéré : depuis la fin du mois d'août, une dizaine de personnes, manifestement en provenance d'Afrique de l'Est, dormaient sous le kiosque en face de l'église. Hier matin, ils n'étaient plus là. Quelqu'un a-t-il fait place nette ?

Depuis le début de l'année, Dijon a accueilli 1200 demandeurs d'asile, soit le double de toute l'année 2010. Plus de la moitié dorment dans la rue. La permanence du Secours catholique est débordée comme jamais, le collectif qui se charge de leur domiciliation postale aussi. L'an dernier, la sonnette d'alarme avait déjà été tirée pour... 70 personnes à la rue !

Ce matin, Monique, une religieuse qui revient d'un séjour en Algérie, citait un proverbe de là-bas : "Le Sahara est un cimetière, la Méditerranée est un cimetière". A Oran, à Alger, sans doute aussi au Maroc, il y a dans la rue des milliers de personnes, en provenance de l'Afrique subsaharienne, qui vivent d'expédients en attendant de trouver un filon pour traverser la mer. La situation dégénère parfois en violences.

De tout cela, nous ne sommes guère informés... Secours catholique, Cimade et SOS Refoulement invitent à une manifestation publique le 8 novembre prochain. Mais les termes utilisés l'an dernier dans la vidéo qui suit sont toujours valables un an après.

jeudi 20 octobre 2011

Ce sera la société, crétin !

C’est devenu une habitude, et pourtant, c’est nouveau : la conférence des évêques de France a publié, très en avance sur l’échéance, des « éléments de discernement » en vue des élections présidentielles de 21012.

C’est une habitude : en 2006, un document intitulé « Qu’as-tu fait de ton frère ? » proposait déjà aux catholiques de réfléchir à partir de l’Evangile et de l’enseignement social de l’Eglise avant de déposer dans l’urne leur bulletin de vote. Il en va de même à chaque échéance électorale nationale. Ces textes reprennent, en les synthétisant, les diverses prises de position des évêques de France dans la vie de notre pays. Rien de neuf, donc, en apparence.

C’est nouveau, pourtant. Car les évêques mettent justement le doigt là où le bât va blesser. C’est ce que suggère le titre : « Un vote, pour quelle société ? » La question vaut d’être posée ; elle rappelle que les enjeux de cette élection vont bien plus loin que les questions économiques, et que les électeurs y seront appelés à faire des choix essentiels pour la société de demain. Il y a à cela une raison fondamentale : la crise que nous traversons n’est pas seulement économique ou financière, elle est d’abord une crise de société. Les évêques proposent donc pas moins de treize « éléments de discernement », au crible desquels passer les programmes des candidats.

Parmi ces éléments, les questions économiques à proprement parler ne tiennent qu’une place modeste. Y figurent le souci traditionnel des plus pauvres, des exclus, des étrangers, l’Europe, les préoccupations environnementales. Mais, et c’est cela qui est nouveau, les questions de bioéthique au sens large – respect de toute vie humaine, euthanasie – et les questions nouvelles concernant la vie des familles prennent une large place. La manière dont les religions sont ostracisées dans le débat public, sous prétexte de laïcité, est également évoquée longuement. Ces positions ne surprendront personne, mais on n’est pas habitué à les voir aussi fortement rappelées parmi les critères de choix proposés aux électeurs.

Que va-t-il se passer en 2012 ? Nul ne connaît d’avance le choix des Français. Mais on se doute d’au moins trois choses :

1. La crise économique sera au cœur des débats. Or, il sera difficile de choisir entre des programmes qui se ressembleront étrangement : la contrainte extérieure est si forte, et le retard dans les décisions qui auraient du être prises déjà si important, que l’on ne pourra échapper à la rigueur. Les candidats ne pourront que promettre d’en atténuer les effets, sans qu’il soit possible de prédire le véritable impact des mesures sociales sur lesquelles ils s’engageront.

2. La campagne sera sans concession pour la vie privée des uns et des autres, ce qui amène le cardinal Vingt-Trois à demander que « la vie politique ne soit pas réduite à un arbitrage entre des affaires » (Le Figaro du 4 octobre 2011). Mais, à moins d’un scandale majeur mettant en cause l’un des deux favoris, une sorte d’équilibre de la terreur fera que les électeurs auront du mal à faire de la moralité personnelle des candidats un critère de choix.

3. Comme dans toute élection présidentielle, les deux camps feront donc quasiment jeu égal. Pour faire la différence, la tentation sera donc d’aller chercher des voix auprès des groupes de pression, en annonçant des évolutions de nature sociétale : ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe, assistance au suicide en fin de vie, assouplissement du droit dans le domaine de la recherche médicale. Sans oublier la réaffirmation d’une « laïcité » invoquée de manière incantatoire et absolument vide de contenu.

« It’s Economy, stupid ! » La fameuse phrase de Clinton contre son rival de 1992 devrait être mise à l’envers trente ans plus tard : ce sont bien les questions de société qui feront la différence entre les candidats. Elles sont pour le moment abordées de manière insidieuse et sans qu’un véritable débat de fond soit engagé. Un vrai débat démocratique suppose d’alerter sur cet état de fait : dans une démocratie, toute minorité doit être respectée, mais les choix de société doivent être effectués par la majorité des citoyens.

Ce billet est également publié sur www.sacristains.fr

jeudi 13 octobre 2011

Ca promet.

Hier soir, débat dont j'avoue n'avoir vu que de brefs extraits, et lu un compte-rendu dans les médias ce matin.

De quoi a-t-on parlé, de quoi parle-t-on ce matin ? D'économie (haro sur les banques et la bourse), de social (réforme des retraites, encore ; licenciements, toujours), de cumul des mandats, de "mots de droite". On fait des petits clins d’œil aux écolos et à M. Montebourg.

Problème : l'élection (la présidentielle, la vraie) ne se gagnera pas sur l'économie, car les contraintes seront si fortes que la droite et la gauche vont présenter le même programme à peu de choses près, se différenciant sur les manières d'atténuer le choc de la rigueur. Elle ne se gagnera pas sur l'écologie, car tout le monde est d'accord. Elle se gagnera sur les sujets de société : familles, euthanasie, immigration et développement international, éducation et jeunesse, et bien sûr place des religions dans la République. Ces sujets mériteraient un débat. Ils sont esquivés par les candidats. Au lieu du débat, je ne trouve que des propositions destinées à s'attirer les suffrages des partisans de l'assistance au suicide en fin de vie, de l'ouverture du mariage aux couples du même sexe, et des lobbys laïcards.

Chacun pourrait avec profit méditer le texte que les évêques de France ont publié la semaine dernière : "Un vote, pour quelle société ?"

Bientôt ici, et sur Sacristains.fr, un écho au texte de la conférence des évêques de France.

Pour parler de choses importantes.


En attendant un billet sur les évêques et la politique, un peu de pub pour un film à ne pas manquer : mardi soir sur France 3, un film sur le P. Joseph, fondateur d'ATD-Quart-Monde.

dimanche 18 septembre 2011

La maman qui n'enfante plus.

Je rebondis sur un commentaire, malheureusement anonyme (ne peut-on au moins signer de son prénom ?), laissé par un lecteur au billet du 30 août dernier : "Les évêques qui trouvent plus facile de demander des prêtres à l'autre bout du monde que d'appeler des jeunes en France. " Commentaire qui en a provoqué un autre, peut-être du même auteur, faisant remarquer à la fois que les prêtres venus d'ailleurs sont souvent appréciés, et que les vocations sacerdotales se rencontrent à certains endroits (tel diocèse, telle paroisse, tel mouvement), et non à d'autres.

Pas question bien sûr de se lancer ici dans une réflexion de fond sur la "crise des vocations" que connaît la France depuis un demi-siècle. Je préfère, dans le cadre de ce blog qui ne se prête qu'à des réflexions personnelles, dire quelques convictions nées de l'expérience de vingt-deux ans de ministère :
  • La crise que nous traversons est durable. Il y a certes des instituts religieux, des diocèses qui "appellent" davantage que d'autres : mais cela ne fait pas augmenter le nombre de vocations sacerdotales dans l'ensemble de notre pays. La raison pour laquelle la crise ne va pas se terminer de sitôt est simple : avant d'être prêtre, on est d'abord un disciple du Christ, et avant d'être disciple, on est croyant. Le nombre des croyants allant s'amenuisant, on ne risque pas, à court et à moyen terme, de voir davantage d'apôtres se lever. Je suis frappé de voir combien de personnes s'attristent de cette diminution, sans comprendre que la meilleure manière d'inverser la tendance serait de répondre pour elles-mêmes à l'appel.
  • Le cercle qui s'ouvre là est un cercle vicieux. On ne peut imaginer d’Église (catholique, j'entends) sans prêtres. Moins il y aura de prêtres, moins il y aura de croyants. Moins il y aura de croyants, moins il y aura de prêtres. Car la foi naît de la rencontre avec le Christ dans les sacrements, et de la prédication de l’Évangile par les apôtres. On pourra inventer tous les nouveaux ministères que l'on voudra, réorganiser avec toujours plus d'efficacité nos communautés chrétiennes, il faudra toujours des prêtres. Nous devons d'ailleurs être attentif à ces réorganisations : si elles induisent l'idée que l’Église pourrait se satisfaire d'un tout petit nombre de prêtres, que les baptisés peuvent suffire à l'essentiel de la tâche apostolique, elles risquent d'affaiblir l'urgence de l'appel. Il faut donc davantage de prêtres dans l’Église de France aujourd'hui.
  • Par contraste, j'ai la chance d'enseigner chaque année en Afrique. J'y rencontre une Église étonnamment jeune et dynamique, un clergé dans lequel à mon âge on est déjà un ancien. Parmi ces séminaristes et ces prêtres, beaucoup s'attristent de ce qu'ils savent de la situation dans les Eglises-mères : la maman n'enfante plus. Ils se font, certes, une idée fausse de notre vie ecclésiale, qui conserve un beau dynamisme. Mais ils ont compris le danger qui nous guette. Parmi eux, un bon nombre souhaite consacrer tout ou partie de leur vie à la mission à l'étranger. Ils le font un peu au hasard, en écrivant à tous les évêques du monde, ou en se confiant à telle ou telle relation amicale nouée à l'occasion d'un voyage. Ils ne trouvent pas l'institution qui pourrait les aider à réaliser leur désir, car elle n'existe pas. C'est sans doute à nous de l'inventer.
J'ai conscience de la trop grande brièveté de ces lignes, imposée par le genre littéraire qui est celui de ce blog : il faudrait parler des questions que soulève le désir africain d'émigrer vers l'Europe, ne pas oublier que les prêtres ne sont pas les seuls apôtres, ni même les seuls ministres ordonnés (on ne compte pas assez sur les diacres), interroger notre pratique de l'appel aux ministères, expliquer pourquoi c'est aujourd’hui dans les mouvements considérés comme les plus "traditionnels" que l'on rencontre le plus de vocations de prêtres. Tout cela ne répondra pas à ce qui est la question de fond : le nombre de prêtres français est insuffisant pour assurer la vie des communautés, et nous devons nous considérer aujourd’hui comme un pays de mission.
Lien

samedi 17 septembre 2011

En attendant l'UNESCO.


La Côte d'Or attend l'inscription de ses paysages viticoles au patrimoine mondial de l'humanité. Mais il n'y a pas que les vins chez nous : le tourisme spirituel vaut aussi qu'on passe quelques jours, pour y retrouver un peu de dynamisme missionnaire...

samedi 10 septembre 2011

Non habemus papam.



Un homme est face à son destin. Cet homme, c'est le pape ; il vient d'être choisi par Dieu et élu par ses frères. Le monde l'attend. Patatras : le voilà saisi par... Par quoi au juste ? par le doute ? ou par le désir plus fort que tout d'affirmer sa liberté d'homme face au sort qui lui est imposé ? Tel est l'argument du dernier film de Nanni Moretti, dont l'un des tout premiers films (La messa e finita, 1985) avait été consacré à la vie ordinaire d'un jeune prêtre.

Avec Habemus Papam, Moretti poursuit sa méditation sur l'absurdité du monde moderne et la solitude à laquelle l'homme est condamné s'il veut y vivre libre. Rien n'est épargné : l'Eglise, incarnée par le petit monde sénile et immature des cardinaux, qui passent leur temps à faire des puzzles et à jouer aux cartes ; la psychanalyse, impuissante à répondre aux questions du pape ; les médias, bavards et radoteurs ; le sport, qui n'est là que pour tromper l'ennui. Seul tire son épingle du jeu le théâtre, qui au moins n'a pas la prétention d'être le monde réel, et qui est en cela porteur de davantage de vérité que tout le reste, en rappelant qu'être "acteur" de sa propre vie ne signifie jamais que jouer un rôle dans le grand spectacle de l'existence.

Beau film, et drôle en plus malgré ses longueurs (irrésistibles moments que ceux de l'élection insensée du cardinal Melville, de la séance de psychanalyse sous le regard indiscret du sacré Collège, de l'émission de télé au cours de laquelle l'expert en questions religieuses avoue l'étendue de ses mensonges), servi par l'extraordinaire interprétation d'un Michel Piccoli de quatre-vingt-six ans. N'y cherchons surtout pas une peinture des mœurs cardinalices ou de l'Eglise catholique, il n'y a là que caricature - "que" ne veut pas dire que cela n'est pas satisfaisant, bien au contraire. Mais plutôt une interrogation sur ce que devient un monde privé de Dieu, et par là même privé de sens. Privé de Dieu, sans aucun doute : nul n'y prie jamais, et le seul moment où la Parole de Dieu est annoncée - par un prêtre et dans une église vide -, elle tombe complètement à plat malgré sa pertinence. Privé de sens ? C'est là que chacun se fera son idée : les uns s'effraieront du silence éternel des espaces infinis qui s'ouvrent là ; les autres se satisferont de la révolte tranquille du vieillard vêtu de blanc, et apprécieront l'ultime consolation qui consiste à refuser une destinée que l'on n'a pas choisie. On n'échappera pas, ici, à la question que ne pose pas Moretti : la liberté humaine coïncide-t-elle avec l'affirmation de soi ? Le christianisme, en tout cas, ne cesse d'affirmer le contraire. C'est en cela qu'il se situe en porte-à-faux vis-à-vis de la modernité, et vis-à-vis de l'attitude de ce pape bien peu catholique.

jeudi 8 septembre 2011

Comment on joue à se faire peur.

Saint-Seurin de Cursac, village de Gironde, à peine un demi-millier d'habitants. Longtemps fief de la famille Madrelle, toute-puissante dans le département à travers les mandats électifs cumulés des deux frères et de leurs protégés, la commune a su conserver une activité économique importante pour une collectivité de cette taille : on y trouve à peu-près tous les commerces, et même, fait de plus en plus remarquable, une poste.

C'est rare, la poste au village. Mais le bureau de poste de Saint-Seurin, tout le monde y tient. C'est tellement mieux que la grande poste de Blaye, on peut y papoter un peu avec le préposé, prendre des nouvelles de sa petite fille qui est maintenant maman à son tour, arranger les tournées du facteur, si compliquées dans une campagne sans rues et sans adresses, trouée de résidences secondaires où le courrier moisit dans des boîtes aux lettres qui débordent de pub.

Cet été, j'y suis allé, pour acheter des timbres. La porte avait changé : les vieilles huisseries en bois marron avaient été remplacées par une espèce de truc en verre blindé. Comment entrer là-dedans ? Simple : il faut sonner. Après, il y a un sas, patientez un peu, ça va s'ouvrir. Enfin, on accède dans le bureau, pas mal transformé lui aussi : il est devenu tout blanc, et la postière, qui trône d'un air bougon derrière son comptoir immaculé, s'y ennuie ferme, car avec un système pareil, personne n'a envie de rester pour prendre des nouvelles. D'ailleurs, je pense que personne ne vient plus, et que ça va devenir un prétexte pour fermer le bureau un de ces jours, quand M. Madrelle sera mort et qu'il ne pourra plus protéger son électorat.

Tout le monde a compris, c'est le monde qui a changé, pas seulement le bureau de poste de Saint-Seurin, dans lequel il n'y a jamais eu un hold-up. Le signal qui nous est envoyé est clair : amis postiers, méfiez-vous des gens qui viennent vous acheter des timbres. Jouez à vous faire peur, et faites-le savoir autour de vous.

samedi 3 septembre 2011

Ce que nous sommes et ce que l'on fait de nous.

Je ne sais pas comment c’est chez vous, mais à Dijon il y a tout un tas d’articles dans le journal local sur la théorie du genre et son enseignement dans les manuels scolaires. Il est vrai que deux députés côte-d’oriens ont protesté contre la manière dont se fera cet enseignement à la rentrée scolaire.

Pas facile de se répérer dans ce débat. D’autant plus qu’on y mélange à plaisir des choses qui n’ont pas de rapport entre elles : les rôles sociaux, l’identité sexuelle, l’orientation sexuelle.

La place que nous tenons dans la vie sociale est étroitement liée au sexe auquel nous appartenons. Il y a des métiers d’hommes et des métiers de femmes, des idées d’hommes et des idées de femme, des manières d’être masculine ou féminine. Il y a l’injustice dont sont victimes les femmes, sous-représentées dans les instances de décision, toujours moins bien payées que les hommes et finalement socialement moins bien considérées. Il faut prendre conscience de ces déterminations pour mieux les critiquer. L’Eglise doit s’y mettre aussi : plutôt que de s’interroger de manière frontale, par exemple, sur l’accession au sacerdoce des femmes, on ferait mieux de se demander s’il est normal qu’il y ait dans notre Eglise des tâches aussi massivement féminines (au hasard, faire le catéchisme) et dont les hommes se désintéressent. Lorsque je demande à certains enfants de chœur pourquoi ils ne veulent pas venir quand il y a des filles, ils me répondent que les activités des filles ne sont pas intéressantes… Le travail critique commence là. Quant à l'infériorité de la femme par rapport à l'homme, voire les souffrances de l’enfantement dont parle le livre de la Genèse, sont des résultats du péché de l’humanité : en tant que tels, ils doivent être combattus.

La théorie du genre se situe sur un autre terrain. Elle propose de distinguer de manière radicale le sexe (biologique) et le genre, c’est-à-dire le sentiment que l'on a d'être un homme ou une femme ; elle présente le fait d'être homme ou femme comme le résultat d'un choix individuel et d'une construction sociale. Elle pose donc une question fondamentale sur notre identité : tout, dans ce que nous sommes, est-il objet de choix, ou bien l’existence comporte-t-elle un donné irréductible ? La théorie du genre est une théorie : elle n'a donc pas, à mon sens, vocation à être enseignée dans des manuels scolaires. Si on commence à agir ainsi, on finira par enseigner le créationnisme comme une théorie aussi valable que celle de l'évolution. En outre, on peut s’interroger sur la pertinence d’un tel enseignement, à un âge où les questions d’identité (pas seulement sexuelle !) se posent avec force : ce n’est pas aider un jeune à construire son identité que de lui apprendre qu’elle est objet d’un choix aussi radical. Personnellement, je pense que les députés qui ont protesté contre cet enseignement ont vu juste, et qu’ils auraient été sans doute plus nombreux s’ils n’avaient pas eu peur de s’aliéner une partie de leurs électeurs.

L’orientation sexuelle, c’est encore autre chose. Pour autant qu’on puisse tenir sur ce sujet un discours d'un portée générale (ce qui est discutable, car il y a finalement différentes manières de vivre l’homosexualité), être homosexuel signifie être attiré par une personne du même sexe. Il n’y a donc pas de négation ou de remise en cause de l’identité sexuée, bien au contraire. Une telle orientation n’est pas objet de choix, elle est là, un point c’est tout. Bien plus qu’à la simple tolérance, cela appelle au respect de personnes qui doivent assumer une condition qu’elles n’ont pas choisie et qui reste douloureusement vécue et socialement pénalisante. Mais je ne vois vraiment pas en quoi elle pourrait devenir objet d’un enseignement au titre des sciences de la vie : éduquer au respect d’autrui ne relève pas d’un enseignement scientifique. C’est plutôt d’éthique qu’il faut parler ici. L’autre question soulevée par le débat actuel est donc celle d’un enseignement de l’éthique dans le cadre scolaire. Mais le lièvre que l’on soulève alors est bien plus gros que le premier.

mardi 30 août 2011

Faire de la politique en faisant ses courses.

Les vacances sont l'occasion d'expériences inédites. Pour un curé : faire ses courses en prenant son temps. Dans la petite ville du Sud-Ouest près de laquelle je me retrouve chaque année en famille, le rat des villes que je suis a commencé par se diriger vers un centre commercial, dans lequel j'ai trouvé tout ce que je voulais et même au-delà. Vingt marques de shampooings différentes, autant de rasoirs, des rayons entiers de nourriture pour chat. Il y avait aussi, merveille, des ananas, des bananes et des mangues. Hélas, quand on a goûté une fois à la mangue du Congo cueillie sur l'arbre, toutes les autres ont un insupportable goût de lessive. Il y avait enfin ce que je cherchais : des tomates - pas mûres, des brugnons - tout durs, des pommes verdâtres récoltées en Afrique du Sud et des melons insipides.

En rentrant dans mon joli village, le monsieur en face du cimetière m'a vendu des tomates onctueuses et sucrées, qu'il soigne amoureusement tous les soirs en rentrant de son travail. A la petite épicerie-boulangerie-bureau de poste, on trouve des melons à point, des haricots verts bien craquants et de jolies fraises du Périgord toutes fraîches cueillies. Tout cela n'a provoqué aucune nuisance et n'a pas encombré nos autoroutes de poids lourds.

Quel rapport avec la foi, me direz-vous ? C'est que la Bible nous parle souvent de la nature, qu'elle nous parle dès le début d'une Création dont il ne faut pas abuser, et qu'elle se poursuit en nous racontant la triste histoire d'un beau jardin défiguré par la bêtise humaine. C'est aussi qu'elle conseille un mode de vie simple, et refuse que la recherche du profit à tout prix prenne le pas sur la qualité de la vie et des relations humaines.

C'était le moment où les syndicats d'agriculteurs dénonçaient les importations de produits étrangers, et où un ministre très sur la défensive leur promettait une surveillance étroite des réseaux d'approvisionnement. Moi, je me suis dit : faire de la politique, Monsieur le Ministre, ça commence par faire ses courses. Par oser dire qu'il vaut peut-être mieux payer ses tomates un cinquante le kilo, si on est sûr qu'elles sont bonnes. Peut-être aussi par donner quelques conseils : manger des fruits en saison, privilégier les approvisionnements locaux et les producteurs soigneux. Car, s'il y a une chose dont je suis sûr, c'est que la surveillance des circuits de distribution des fruits et légumes ne donnera jamais plus de goût aux melons.


PS : en juillet, au camp louveteaux, on avait opté pour un approvisionnement exclusivement bio et proche. Je n'ai jamais aussi bien mangé en camp scout, désolé pour tous les intendants qui m'ont nourri les années précédentes.

jeudi 9 juin 2011

Pour la séparation du foot et de l'Etat.

Dijon monte en ligue 1. Chouette. Pour fêter ça, samedi dernier, une fête a été organisée, avec descente de l'équipe du DFCO en bus à impériale depuis le palais des Ducs jusqu'au monument aux morts où le maire a remis aux joueurs la médaille de la ville. Le cortège triomphal est passé devant mes fenêtres, il y avait environ deux cents personnes ; ils étaient, j'espère, plus nombreux devant la tribune aménagée par la ville pour la réception officielle.

Dijon monte en ligue 1. L'agence de presse "Traces Écrites" nous donne un autre regard sur l'événement : le foot, c'est aussi une affaire de fric. Rénovation du stade : 40 millions d'euros, sans compter les indispensables aménagements (amélioration de l'éclairage, des vestiaires, parkings permettant la séparation des supporters des différentes équipes accueillies - on voit bien pourquoi). Budget du club : entre 20 et 22 millions - dont 14 payés par les droits télé. Le capital du club a été augmenté grâce à l'arrivée du Guyanais Florent Malouda. Des chiffres qui me donnent le vertige, à moi, petit curé payé au SMIC.

Dijon monte en ligue 1. Pas une voix ne s'élève pour s'interroger sur la légitimité de ces dépenses, alors que l'on ferme des classes dans les écoles de Côte d'Or, que l'hôpital peine à assurer sa mission convenablement, qu'on renvoie dans leur pays des malheureux attirés par notre prospérité. Du pain et des jeux : la bonne vieille recette qui servait à gouverner Rome sert encore aujourd'hui. Je milite désormais pour la séparation du foot et de l’État.
Lien

mardi 7 juin 2011

Non odet.

Réunion matinale pour préparer une initiative d'évangélisation qui devrait avoir lieu l'an prochain. Un des participants, apprenant que l'on allait faire appel à telle personne qu'il ne semble pas apprécier, fait la moue. Un autre, qui a des lettres, lui répond : "l'évangélisation n'a pas d'odeur". A part, bien sûr, la bonne odeur du Christ, et l'odeur de sainteté qui l'accompagne forcément. Je garde précieusement cette petite phrase : finalement, ce serait au Saint-Esprit de décider ?

jeudi 2 juin 2011

Les pieds sur terre, mais pas la tête dans les nuages.

"Dieu a tout soumis au Christ, et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église, qui est son corps" : une phrase de Paul, lue ce matin à la messe, qui nous parle justement de ce que c'est que la fête de l'Ascension.

Elle veut dire quoi, cette phrase ?

Elle nous parle de l’Église. Elle nous dit que les baptisés sont les membres d'un corps dont la tête est auprès de Dieu. Un chrétien, c'est donc : quelqu'un qui a les pieds sur terre, et la tête en Dieu.

Les pieds sur terre : une expression qui nous parle de réalisme et d'amour du monde. C'est sur cette terre-là que nous marchons, c'est ce monde-là que nous aimons. Nous le prenons comme il est.

La tête en Dieu (et pas dans les nuages !) : c'est ce qui nous permet de prendre de la hauteur, de voir loin, de ne jamais nous contenter de ce que nous vivons et voyons. Quand quelqu'un prend la parole au nom de l'Eglise, comme le cardinal Vingt-Trois la semaine dernière, c'est parce que l’Église voit plus loin que tout le monde, et donc ça devrait concerner tout le monde.

jeudi 26 mai 2011

Rabelais est aussi sérieux.



Rabelais n'est pas seulement rabelaisien : il sait aussi être sérieux. Un collectif de chercheurs, dont on gage qu'il va bientôt s'étoffer de nouveaux membres, s'est placé (peut-être sans le savoir ?) sous son invocation : "Science en conscience" reprend une phrase du Pantagruel (chap. VIII) : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme".

De quoi s'agit-il ? D'une histoire sans fin : encore, et toujours, sur le métier, les parlementaires remettent leur ouvrage et reprennent les débats autour du projet de loi de bioéthique. Un député courageux, Xavier Breton, s'est mouillé hier devant ses confrères pour rappeler que nous sommes depuis longtemps en plein eugénisme. Un eugénisme "soft", certes : rien à voir avec ce qui a pu être organisé par certains États européens à l'époque du nazisme. Mais un eugénisme quand même, encouragé (et subventionné) par la République.

Citons aussi, pour mémoire, la réaction du Grand Orient, qui tourne résolument le dos à l'humanisme de ses origines : « Sans dénier à l’Église le droit de dire une morale qui concerne ses adeptes, le Grand Orient de France rappelle que dans ce débat qui intéresse le pays tout entier dans la diversité de ses composantes philosophiques et religieuses, l'État est chez lui et l’Église doit rester chez elle ». Ici, messieurs, les principes qui sont rappelés ne concernent pas que les adeptes de l’Église ; elle prétend défendre aussi les droits fondamentaux de personnes qui ne sont pas baptisées, et ne peuvent pas se défendre (et aussi les vôtres, au passage). Reprenez vos esprits, ou avouez que vous avez changé.

Enfin, le député Jean-Marc Nesme avait en main, ce même jour et dans le même lieu, une lettre adressée à la ministre de la Recherche, par le président d'un syndicat d'entreprises pharmaceutiques, plaidant bien évidemment pour libéraliser la recherche sur l'embryon. Combien de députés avoueront avoir été démarchés par ce syndicat dans le même but ? Et à votre avis, mesdames et messieurs, ces entreprises poursuivent-elles des objectifs humanistes, pour ne pas parler de "religieux" puisque ce seul mot soulève bien des difficultés ?

PS : Oui, le mot "UMP" apparaît sur la vidéo qui se trouve en tête de ce billet. J'aimerais un jour publier le même billet, en citant un député socialiste ou écologiste, ou ce que vous voudrez. Mais pour l'instant je n'en trouve pas.

Un point de vue, publié dans le Monde.fr
La conférence de presse du Cardinal Vingt-Trois

jeudi 12 mai 2011

Bien commun.

Il y a quelques années, tout à mes illusions de jeune curé, j’avais invité un élu à venir de temps en temps fréquenter la messe paroissiale. Réponse immédiate, et irréfléchie : « Ce n’est pas mon électorat. »

Dans cette petite histoire, il y a toute une manière de faire de la politique. Peu importe que le but soit d’être au service de tous : d’abord, on gagne, après, on voit. Pour gagner, il faut récolter la moitié des voix plus une. A droite, on a un électorat, on le cajole ; à gauche, on en a un aussi et ce n’est pas le même (ah bon ?). On complète pour faire le compte : comment obtenir le vote gay ? celui des noirs ? des cathos ? D’un côté, on dit « non » au communautarisme ; de l’autre, on le conforte, en constituant une coalition représentative des diverses communautés.

Confirmation de la thèse qui vient d’être développée : le rapport de la fondation Terra Nova, qui est destiné à inspirer les stratèges d’un de nos grands partis. L’électorat traditionnel : plus la peine de compter dessus, il vote à droite maintenant. Alors il faut servir des intérêts épars : ceux des diplômés, des jeunes, des minorités, des femmes (rien qu’avec elles, on gagne, mais comment savoir ce qui intéresse « les femmes » ?), et, cerise sur le gâteau : des non-catholiques (suit une analyse cynique de l’inexorable déclin du catholicisme et de la clientèle musulmane qu’il s’agit de flatter). Pour dresser les gens les uns contre les autres, il n’y a pas mieux. Même pas la peine de rechercher les enregistrements de la réunion au cours de laquelle ont été proférées de telles énormités, c’est à la page 41 du rapport et signé par les auteurs. Ne nous étonnons pas de ce qui se dit dans les clubs de foot, puisque nos édiles semblent raisonner de cette manière.

Il y aurait pourtant une autre manière de faire. C’est celle qui a été évoquée lors d’une rencontre, samedi dernier, destinée à lancer Diaconia 2013, une dynamique pendant laquelle, pendant deux ans, les catholiques sont invités à s’interroger sur la manière dont ils se mettent au service de leurs frères. Avec une question-clé : « repérer les situations de fragilité et les enjeux sociaux que l’on connaît dans notre entourage ». Et si, faire de la politique, c’était cela : commencer par repérer ces situations, et essayer de faire que cela change ? Dans le langage catho, on appelle ça : la recherche du bien commun. Zéro exclus. Tout le monde y gagne.

dimanche 24 avril 2011

Christ est ressuscité !


Ce matin, grand soleil sur la place Wilson, sonneries de cloches à toute volée, sous le kiosque voisinent pasteurs, archevêque et pope : Christ est ressuscité, l'annonce en est faite dans toutes les langues de la terre, Alleluia !

samedi 23 avril 2011

Pipi caca.

Piss Christ, ou comment une obscure galerie de province fait parler d'elle à propos d'une exposition, et de son œuvre phare qui représente, comme nul ne l'ignore plus maintenant, un crucifix immergé dans un bocal d'urine (à la curieuse couleur orangée, mais le titre de la photo ne laisse pas de doute sur la nature du liquide). L'artiste proteste de sa bonne foi, se dit chrétien convaincu, et donne des explications, indispensables pour comprendre son intention : il s'agit de montrer que les outrages dont a été victime le Christ n'ont pas cessé depuis deux millénaires, et que cela n'empêche pas la Croix de rayonner. Nous sommes donc en face d'une œuvre pédagogique. Le problème - enfin, l'un des problèmes - est qu'il y ait besoin de tant d'explications pour comprendre de quoi il s'agit : car, à première vue, on comprend juste le contraire.

Certes, une œuvre d'art n'est pas une image publicitaire, et nos esprits enténébrés par des années de dictature communicationnelle ont besoin d'un peu de lumière pour avoir accès à toute son intelligence. Certes, comme le font remarquer les défenseurs du photographe, notre difficulté vient aussi du fait que les sujets religieux sont beaucoup moins traités qu'autrefois par les artistes contemporains : a-t-on oublié le scandale qu'a suscité la nudité des protagonistes du "Jugement dernier" de Michel-Ange ? C'est vrai, enfin, qu'un artiste a droit à la liberté d'expression, au moins autant que chacun d'entre nous. Il n'y aurait donc pas lieu de protester.

Que penser, donc, des réactions de rejet, certaines violentes, suscitées par cette installation ?

Il y a eu la manifestation organisée par un groupuscule intégriste, abondamment médiatisée et ridiculisant une fois de plus les catholiques. Mais il y a, aussi, le malaise éprouvé par tant d'autres : car, explication ou pas, cette image a été réalisée en plongeant dans l'urine l'image du Christ sur la Croix. Aurait-on osé le faire avec l'image d'autres morts ? Bien sûr que non. Mais, là, c'est permis. Alors, pour de plus en plus de chrétiens, c'est le ras-le-bol : l'impression, justifiée ou non, que le christianisme peut être traîné dans la boue sans que personne ne dise rien, qu'on peut mentir autant qu'on veut sur l'Église et l'Évangile sans jamais être contredit par qui que ce soit. Les catholiques deviennent inquiets : ils se demandent si, demain, ils auront toujours le droit de célébrer le culte dans leurs églises, s'ils continueront à pouvoir assurer la vie des aumôneries dans les hôpitaux et dans les prisons (puisqu'elles sont, dans l'enseignement public, en voie de disparition). Il faut, sans doute, être chrétien aujourd'hui pour comprendre que l'anti-christianisme n'est pas une menace imaginaire. En ce sens, l'affaire d'Avignon a valeur de symbole : elle dit l'inquiétude des catholiques devant ce que beaucoup comprennent comme une volonté d'éradiquer les religions de la vie commune.

mercredi 20 avril 2011

Abidjan : les convulsions de l'après-Gbagbo.

A Abidjan libérée de son tyran, c'est une terreur d'un nouveau genre qui s'est abattue : l'épuration vise les étudiants, soupçonnés d'être des suppôts de l'ancien régime - Charles Blé Goudé, l'ancien bras droit de Gbagbo, avait fait des universités l'un des principaux lieux d'agitation gabgbiste, et constitué des milices qui laissent aujourd'hui un affreux souvenir.

Voici ce que raconte François, dont j'étais sans nouvelle jusqu'à ce jour :

Avant-hier, quatre personnes armées sont arrivées à la maison. J’étais avec David, bien sûr.

Et là, ils ont dit qu'ils cherchent les étudiants qui se sont cachés à la maison.

On a dit qu'il n'y avait pas d'étudiant, et ils on dit que vous bien sûr ; donc ils m'ont pris avec David dans l'arrière de leur 4*4

Je priais dans mon cœur, je demandais a Dieu de nous sortir de cette situation comme il a secouru les fils d'Israël dans la détresse. Nous sommes arrivés au cimetière.

Ils nous ont fait descendre, et là leur chef me demande :

« tu crois en Dieu, fais ta dernière prière »

Je lui ai dit « ok, accorde moi une minute ».

Pendant que je priais, un cargo plein d'étudiants est arrivés, et nous ils nous ont demandé de partir.

Voila comment on a échappé à la mort.



jeudi 31 mars 2011

Laïque comme Dieu en France.

Il y a des mots qui, à force d’être utilisés, s’usent tellement qu’ils ne veulent plus rien dire. Dans ce dictionnaire des mots en voie de dissolution, « Laïcité » figure en bonne place. La tribune publiée par la conférence des responsables de culte vient opportunément le rappeler : invoquer la laïcité à tort et à travers ne fait que rajouter à la confusion générale. Une confusion d’autant plus regrettable que, comme le rappellent les signataires, c’est « un des supports de notre démocratie » qui se trouve ainsi fragilisé.

(La suite sur www.sacristains.fr)

mardi 29 mars 2011

Pendant que tout le monde regarde ailleurs.

Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, Yémen... Toutes les caméras de télévision sont braquées sur le nord de l'Afrique. Pendant ce temps, d'autres sont tranquilles pour faire leurs petites affaires. En Côte d'Ivoire, un homme, élu Président dans des conditions plus que douteuses en 2000, s'accroche à un pouvoir qu'il aurait dû quitter en 2005. Cinq ans durant, il avait réussi à repousser l'échéance électorale suivante, car il savait qu'il allait la perdre. Maintenant qu'il a vraiment perdu, il refuse de quitter son poste. Pour se maintenir au pouvoir, il essaye de faire ce que d'autres avant lui ont fait ailleurs : précipiter son pays dans la guerre. C'est chose faite.

Il y a quelques semaine, François (je donne un prénom d'emprunt) nous avait envoyé des photos d'enfants seuls, perdus dans les rues de la capitale ivoirienne. François a une trentaine d'années, il vivote avec ses petites sœurs à Abobo, quartier supposé anti-gbagbiste. Lui, préfère ne pas se mêler de politique : fils d'un haut fonctionnaire du gouvernement précédent, il sait qu'il vaut mieux se faire oublier s'il veut survivre. La semaine dernière, alors qu'il sortait de l'hôpital où il était allé se faire opérer de l'appendicite, des mercenaires de Gbagbo l'ont roué de coup et laissé pour mort. Il a fallu le réopérer (à chaque fois, c'est près de trois cents euros qu'il faut débourser, plus les soins, le loyer de la chambre d'hôpital...). Nous nous sommes téléphonés ce matin : il est rentré chez lui, car il sait qu'en cas de nouvelle attaque des forces "gouvernementales", les hôpitaux seront pris pour cibles. Il ne peut compter, pour guérir, que sur sa robuste constitution, car il n'y a plus de médicaments à Abobo, qui se vide petit à petit de ses habitants.

C'est ça, la guerre. De petites gens qui souffrent pour rien.

vendredi 18 mars 2011

Hôtel pas cher.



Afflux de demandeurs d'asile à Dijon ces derniers mois. Un afflux tel que les logements disponibles sont saturés : plus de 400 personnes, dit-on, sont logées à l'hôtel en attendant mieux. Des hôtels qui aimeraient, évidemment, que leurs chambres soient libérées avec l'arrivée de la saison touristique. Les bénévoles qui gèrent l'accueil et le courrier de ces réfugiés sont, eux aussi, débordés.

Cette semaine, m'a-t-on raconté, un monsieur venant d'un pays du sud a eu l'œil accroché par l'enseigne fièrement arborée par un grand immeuble de mon quartier : "Hôtel de Police". Il est entré, et a demandé à l'accueil si cet hôtel disposait d'une chambre libre. L'histoire ne dit pas la réponse du fonctionnaire qui se trouvait à la réception, mais ce monsieur est ressorti comme il était entré. Il est vrai qu'il aurait pu y être retenu. Osera-t-il s'adresser de la même manière à l'Hôtel de ville ?

mardi 15 mars 2011

Le bien ne fait pas de bruit.

Les deuxièmes mardis de chaque mois, quelque chose de bien et qui ne fait pas de bruit se déroule à Dijon : le cercle de silence, à l'initiative de la CIMADE (service œcuménique d'entraide qui se consacre à l'accompagnement des étrangers, des migrants, des réfugiés...), propose une heure de recueillement en centre ville ; ceux qui veulent peuvent prier en particulier pour les étrangers en difficulté.

Mardi de la semaine dernière, ce silence a été troublé par du bruit, et ça n'a pas fait du bien : le Bloc Identitaire (ceux qui organisent les apéros saucisson) est venu interrompre la prière. Tout y était : blousons, rangeos, crânes rasés, slogans menaçants et musique violente.

Inutile de dire que, parmi ces bons chrétiens qui protestent contre une supposée invasion islamique, aucun ne fréquente l'église. Tout ce qui les motive est la peur de l'autre et le refus de venir en aide à l'étranger, ce qui est fort peu évangélique soit dit en passant. Messieurs du Bloc, ferez-vous le carême, ou préfèrerez-vous organiser un apéro saucisson un de ces vendredis soir ?

Il faut dire que les dijonnais ont fait le choix de la discrétion confessionnelle : aux cercles de prière originels organisés à Toulouse par les Franciscains ont succédé, à en croire les organisateurs, des manifestations "laïques". Au sein du collectif qui en est à l'origine, il n'est pourtant que le club UNESCO qui ne soit pas un organisme chrétien. Je crains, personnellement, que le vide de la protestation identitaire ne soit qu'une réponse à un silence qui n'est plus habité que par ceux qui prient en toute discrétion. Blaise Pascal, en son temps, s'était effrayé du silence éternel d'espaces désertés par Dieu. Gandhi ne faisait pas de grève de la faim : il jeûnait. L'extrême prudence religieuse qui règne dans notre pays risque de faire tomber en panne un des moteurs essentiels de l'indignation.

Si vous voulez vous faire peur : cliquez ICI.

mardi 8 mars 2011

Un nouveau bêtisier.

Idée géniale d'un confrère pasteur : il a inventé le "bêtisier de la laïcité". Je propose à mes lecteurs d'abonder à ce bêtisier et de l'aider ainsi à le constituer.

A vrai dire, la seule lecture des nombreux commentaires à son billet sont déjà un magnifique florilège d'intolérance et d'ignorance.

jeudi 3 mars 2011

Islam, laïcité, communautarisme...

L'initiative présidentielle sur la "laïcité" a le mérite de faire sortir les loups du bois. Les réactions ne sont peut-être pas dépourvues d'arrière-pensées politiques - ainsi celle du président sortant du conseil général, qui sait que sa majorité ne tient qu'à une voix et n'existera sans doute plus demain, ce qui l'oblige à prendre ses distances avec la politique présidentielle, mais dont la réaction reflète évidemment les interrogations de sa sensibilité politique démocrate-chrétienne.

D'autres prises de position sont plus argumentées : ainsi celle, hier dans Le Monde (accessible aux seuls abonnés), de Yazid Sabegh, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, qui mérite d'être cité longuement :
"Le communautarisme ? Quelle hypocrisie ! C'est une adultération (sic) des réalités et un dénigrement à l'égard des populations concernées. Quelles et où sont donc dans notre pays les communautés qui se sont organisées pour revendiquer des droits spécifiques et les ont obtenues ? On dit des migrants qu'ils restent entre eux, qu'ils ghettoïsent la France, qu'ils émiettent la république. Seraient-ils donc responsables de la ségrégation qu'ils subissent ? On peut désespérer les Français, les angoisser, invoquer la laïcité à tout va, tant qu'on ne s'attaquera pas aux ségrégations, on continuera à constater notre impuissance."
La laïcité, donc, invoquée pour masquer le vide de notre réflexion et l'injustice de notre société. Mais c'est le petit essai d'Hélé Béji, Islam Pride, qui dit sans doute les choses de la manière la plus pertinente et la plus stimulante : cette intellectuelle tunisienne y analyse le port du voile non pas comme un retour en arrière, mais comme "une dissidence au sein du féminisme". Peu suspecte de complaisance vis-à-vis des fondamentalismes religieux, Hélé Béji avoue dans son ouvrage avoir fait un retour sur elle-même et sur ses certitudes premières en matière religieuse : "Au lieu d'imposer ma liberté comme la forme universelle de la liberté, je dois faire le pari que l'autre, celle qui se voile, exerce aussi son libre arbitre." On ne peut dire à quelqu'un qui exerce sa liberté en se voilant qu'au fond d'elle-même, elle n'est pas libre : une telle attitude rend le dialogue absolument impossible.

Il y a une dizaine d'années, une paroisse de Dijon - et en particulier les religieuses qui y résidaient - avaient soutenu à bout de bras une famille musulmane du quartier, victime de la violence d'un père abusif. Les sœurs avaient accueilli l'une des deux filles, l'avaient aidé dans ses études, et lui ont permis de devenir la jeune femme parfaitement libérée et brillante qu'elle est aujourd'hui. Mais elle porte le voile, qu'elle n'avait jamais porté auparavant, et retourne à la mosquée avec son père. Cette histoire illustre mieux que tout les incompréhensions dont nous sommes victimes : porter le voile, et d'une manière plus générale revenir à l'islam, est, pour cette jeune femme comme pour beaucoup d'autres, une affirmation de liberté, de féminité et de dignité.

samedi 19 février 2011

L'épouvantail.

Il y a eu, au XX° siècle : les curés (sous couvert de laïcité, l'anticléricalisme a battu son plein) ; les Allemands, métamorphosés en Nazis ; les communistes, variante des Russes, qui, quand j'étais petit, devaient un jour arriver avec leurs chars rue de la Liberté ; les étrangers, sources de tous les mots de notre société. Notre République a besoin de ces épouvantails, pour assurer à peu de frais la cohésion nationale, en rassemblant ses poussins. Ça lui évite de se poser une question sous un mode, disons plus positif : au lieu de faire peur, ne peut-on essayer de faire envie ?

La laïcité fait aujourd'hui un retour en force, cette fois-ci dirigée contre l'islam (mais, ne nous y trompons pas : les cathos en font les frais également). Ça marche bien, car l'islam fait peur, si j'en crois les courriels qui circulent en boucle sur le Net, et les articles menaçants dans toutes sortes de revues virtuelles (à Dijon, il y a quelques semaines, la venue d'un candidat aux présidentielles parfaitement inconnu a été abondamment médiatisée, et la Gazette locale n'a rencontré que des gens qui l'ont trouvé formidable).

Il suffit pourtant de sortir un peu de chez soi et de rencontrer des musulmans, ici ou ailleurs, pour comprendre que tous n'ont qu'une envie : accéder à notre mode de vie. En Algérie, au Maroc, la jeunesse ne regarde que les chaines de télévision occidentales, et Internet est pour elle une porte ouverte sur ce monde qui leur reste interdit. La peur de l'islam nous a fait rater les révolutions de Tunisie et d'Égypte, en soutenant des régimes corrompus qui se sont effondrés comme des châteaux de cartes. Elle pourrait bien nous faire rater notre propre révolution, car elle nous expose à des risques plus grands encore : à force de vouloir nous recroqueviller sur notre identité, nous risquons de perdre notre âme. Nous ne pouvons pas être le pays qui, d'un côté, se méfie de l'Islam ; et, de l'autre, se refuse à reconnaître l'importance du christianisme dans sa propre identité.

Quelques lignes, pour finir : elles sont écrites par un religieux catholique égyptien, auquel je préfère laisser le bénéfice de l'anonymat, et donnent une idée de l'atmosphère qui prévaut aujourd'hui en Égypte :
Folle ambiance : nous montons dans un microbus, dont le toit se peuple d’autant de monde que les sièges intérieurs. Pas de police dans la rue : des jeunes règlent la circulation. Plus on approche de Tahrir, plus la foule devient dense ; nous finissons à pied. Et nous nous retrouvons dans la foule de la fameuse place, qui exulte, crie des slogans, chante des chants patriotiques, danse, s’embrasse, agite des drapeaux. Très peu de signes islamiques : un petit groupe lance des « Allah-o Akbar », quelques Frères musulmans font une prière assez ostentatoire, mais ils ne sont qu’un élément parmi d’autres, dans la foule. Plus frappants sont les jeunes qui se tiennent par le bras, l’un, musulman, brandissant un Coran, l’autre, chrétien, arborant une croix. Des écriteaux aussi affichent la croix et le croissant, affirmant que « Nous sommes tous Égyptiens ». Nous marchons en enjambant les barricades qui ont protégé les manifestants les premiers jours. Nous croisons ici ou là quelques étrangers venus se joindre à la joie des Égyptiens. Les soldats sont sur leurs chars, se laissent photographier avec les gens. Bientôt des feux d’artifice éclatent. Nous retrouvons deux amis, étudiants en théologie à Sakakini, qui, comme notre frère, ont participé aux manifestations dès le début. Grandes embrassades, émues : ils ont gagné, et sans aucun recours à la violence ! C’est bien l’aspect le plus frappant de cette révolution : pas une balle n’a été tirée, ni par l’armée ni par les manifestants. Seule la police s’est déshonorée, les premiers jours, par une série de bavures ordonnées par le ministre de l’intérieur (ou son patron ?), lequel sera certainement traduit en justice. Un petit carré, sur la place, est réservé aux photos d’une trentaine de jeunes « martyrs » de la révolution, qu’on regarde un moment, avec émotion. Oui, une révolution arabe non-violente ! Voilà qui réhabilite l’image de l’Arabe, dans le monde, et qui restera inscrit dans l’Histoire.

samedi 5 février 2011

Les évêques d'Afrique du Nord et les révolutions.

Autant qu'il leur est possible vu leur situation difficile, les évêques d'Afrique du Nord ne peuvent pas rester indifférent à ce qui se passe en ce moment dans leurs pays. D'autant moins en Egypte, où vivent plusieurs millions de chrétiens (à la différence de la Tunisie). Voici le communiqué qu'ils ont publié depuis Alger cette semaine :

Les évêques de la CERNA reconnaissent dans les événements qui bouleversent actuellement la Tunisie, l'Egypte... une revendication de liberté et de dignité, notamment de la part des jeunes générations de la région, qui se traduit en volonté que tous soient reconnus comme citoyens, et citoyens responsables. Reprenant le message du Saint-Père pour le 1° janvier 2011 : "Liberté religieuse, chemin vers la paix", et éclairés par lui, ils reconnaissent que la liberté religieuse est la garantie d'un respect complet et réciproque entre les personnes. Elle se traduit avant tout par la liberté de conscience reconnue à toute personne, la liberté de chercher la vérité. Elle suppose le respect de l'autre, de sa dignité, fondement de la légitimité morale de toute norme sociale ou juridique. La liberté de conscience et la citoyenneté seront sans doute de plus en plus au cœur des dialogues entre croyants musulmans et chrétiens qui habitent au Maghreb.

Un large panorama de ce que vivent les Eglises du Maghreb révèle l'esprit commun qui les unit : la volonté d'être une Eglise servante :

- au service pastoral des chrétiens qui vivent dans ces pays, parfois ressortissants de ces nations, le plus souvent étrangers venus pour quelques années pour le travail, les études ou des raisons de migration. La CERNA est préoccupée par la situation souvent dramatique des migrants clandestins ; elle encourage les efforts de ceux qui luttent contre les causes de l'émigration ; et les chrétiens font tout leur possible pour humaniser les conditions de vie de ces migrants.

- au service des habitants essentiellement musulmans des pays où vivent ces Eglises, de leur développement et de leurs aspirations à plus de dignité. Elles soulignent la qualité des liens d'amitié qui se tissent avec les citoyens de ces pays, et témoignent avec joie des occasions toujours plus nombreuses de nouer ces liens : oui, le dialogue islamo-chrétien est possible, l'engagement commun au service de personnes plus démunies, le travail avec les associations des sociétés civiles des pays du Maghreb permettent d'apprendre à se connaître, non seulement de se tolérer, mais de se respecter et de se comprendre dans la recherche de la volonté de Dieu.