jeudi 20 octobre 2011

Ce sera la société, crétin !

C’est devenu une habitude, et pourtant, c’est nouveau : la conférence des évêques de France a publié, très en avance sur l’échéance, des « éléments de discernement » en vue des élections présidentielles de 21012.

C’est une habitude : en 2006, un document intitulé « Qu’as-tu fait de ton frère ? » proposait déjà aux catholiques de réfléchir à partir de l’Evangile et de l’enseignement social de l’Eglise avant de déposer dans l’urne leur bulletin de vote. Il en va de même à chaque échéance électorale nationale. Ces textes reprennent, en les synthétisant, les diverses prises de position des évêques de France dans la vie de notre pays. Rien de neuf, donc, en apparence.

C’est nouveau, pourtant. Car les évêques mettent justement le doigt là où le bât va blesser. C’est ce que suggère le titre : « Un vote, pour quelle société ? » La question vaut d’être posée ; elle rappelle que les enjeux de cette élection vont bien plus loin que les questions économiques, et que les électeurs y seront appelés à faire des choix essentiels pour la société de demain. Il y a à cela une raison fondamentale : la crise que nous traversons n’est pas seulement économique ou financière, elle est d’abord une crise de société. Les évêques proposent donc pas moins de treize « éléments de discernement », au crible desquels passer les programmes des candidats.

Parmi ces éléments, les questions économiques à proprement parler ne tiennent qu’une place modeste. Y figurent le souci traditionnel des plus pauvres, des exclus, des étrangers, l’Europe, les préoccupations environnementales. Mais, et c’est cela qui est nouveau, les questions de bioéthique au sens large – respect de toute vie humaine, euthanasie – et les questions nouvelles concernant la vie des familles prennent une large place. La manière dont les religions sont ostracisées dans le débat public, sous prétexte de laïcité, est également évoquée longuement. Ces positions ne surprendront personne, mais on n’est pas habitué à les voir aussi fortement rappelées parmi les critères de choix proposés aux électeurs.

Que va-t-il se passer en 2012 ? Nul ne connaît d’avance le choix des Français. Mais on se doute d’au moins trois choses :

1. La crise économique sera au cœur des débats. Or, il sera difficile de choisir entre des programmes qui se ressembleront étrangement : la contrainte extérieure est si forte, et le retard dans les décisions qui auraient du être prises déjà si important, que l’on ne pourra échapper à la rigueur. Les candidats ne pourront que promettre d’en atténuer les effets, sans qu’il soit possible de prédire le véritable impact des mesures sociales sur lesquelles ils s’engageront.

2. La campagne sera sans concession pour la vie privée des uns et des autres, ce qui amène le cardinal Vingt-Trois à demander que « la vie politique ne soit pas réduite à un arbitrage entre des affaires » (Le Figaro du 4 octobre 2011). Mais, à moins d’un scandale majeur mettant en cause l’un des deux favoris, une sorte d’équilibre de la terreur fera que les électeurs auront du mal à faire de la moralité personnelle des candidats un critère de choix.

3. Comme dans toute élection présidentielle, les deux camps feront donc quasiment jeu égal. Pour faire la différence, la tentation sera donc d’aller chercher des voix auprès des groupes de pression, en annonçant des évolutions de nature sociétale : ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe, assistance au suicide en fin de vie, assouplissement du droit dans le domaine de la recherche médicale. Sans oublier la réaffirmation d’une « laïcité » invoquée de manière incantatoire et absolument vide de contenu.

« It’s Economy, stupid ! » La fameuse phrase de Clinton contre son rival de 1992 devrait être mise à l’envers trente ans plus tard : ce sont bien les questions de société qui feront la différence entre les candidats. Elles sont pour le moment abordées de manière insidieuse et sans qu’un véritable débat de fond soit engagé. Un vrai débat démocratique suppose d’alerter sur cet état de fait : dans une démocratie, toute minorité doit être respectée, mais les choix de société doivent être effectués par la majorité des citoyens.

Ce billet est également publié sur www.sacristains.fr

2 commentaires:

Olivier a dit…

Je comprends que tu mettes en avant les questions de société, mais arrête de dire qu'il n'y a pas d'enjeux économiques ou écologiques. C'est méconnaître ces sujets.
Non, tout le monde ne dit pas la même chose.

Emmanuel Pic a dit…

Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'enjeux économiques, je dis que les contraintes sont tellement fortes qu'on ne peut pas échapper à la rigueur. D'autant plus que les mesures que l'on aurait déjà dû prendre sont retardées par l'échéance électorale. Les différences entre les programmes économiques des candidats sont minces, peu lisibles par le commun des mortels et les programmes eux-mêmes excessivement prudents, voire démagogiques, dans les mesures annoncées (sauf Bayrou qui annonce clairement augmentation des impôts directs et indirects ET réduction des dépenses de l'ensemble des collectivités publiques), si bien que l'élection se jouera ailleurs. Mieux vaudrait donc que le débat se porte aussi sur cet "ailleurs".