vendredi 28 septembre 2012

Prêtres, paroisses, nouvelle évangélisation (3)

Un des bons côtés de la modernité, c'est qu'elle nous force à mieux parler de la foi : non pas une somme de connaissances sur Dieu, mais la connaissance de Dieu. Explication : nous pouvons connaître des tas de choses sur des tas de gens sans les connaître vraiment ; ainsi en va-t-il de Dieu : ce n'est pas parce que nous savons des choses sur lui que nous le connaissons. La foi est de l'ordre de l'expérience, de la rencontre, de l'amitié avec une personne. C'est à partir de cette rencontre que nous pouvons construire un discours sur Dieu, nous mettre à l'écoute de sa Parole, nous efforcer de vivre selon ses commandements, bref de croyants devenir disciples (c'est d'ailleurs dans ces termes que s'exprime le document préparatoire au Synode romain à venir sur la nouvelle évangélisation).

Évangéliser, c'est d'abord faire des croyants, c'est-à-dire permettre à des personnes de rencontrer Dieu, et plus spécifiquement le Dieu de Jésus-Christ. C'est là que nos bonnes vieilles paroisses se révèlent  d'irremplaçables outils d'évangélisation. D'abord parce qu'elles sont un formidable réseau de lieux de prière. Dès qu'une église est ouverte, il y a des gens, de tous âges, de toutes conditions sociales, de toutes religions, pour entrer et vivre quelque chose que l'on ne trouve nulle part ailleurs - le silence, le recueillement, le temps donné à rien d'autre qu'à Celui qui est là et à qui on parle dans le secret. Ouvrez votre église le matin, installez une statue, un carton de cierge et un tronc, repassez le soir : vous verrez ce qui s'est passé.

Lieux de prière, les églises sont aussi des lieux de célébration. La liturgie est une autre manière d'expérimenter la foi. Là encore, les paroisses possèdent un patrimoine unique, qu'elles ne doivent brader à aucun prix : la célébration des sacrements et des rites de l’Église est un temps qui ne laisse personne indifférent, à condition qu'on en fasse de véritables occasions de rencontrer Dieu. Entendre un papa et une maman parler avec tendresse du baptême de leur enfant, voir de jeunes mariés retrouver les photos de leur mariage, sentir l'émotion des familles lors de la préparation et de la célébration des obsèques, dire à ceux qui veulent rencontrer le prêtre "Le meilleur moyen de me voir, c'est de venir à la messe, j'y suis tous les dimanches", inciter les parents du caté à accompagner leurs enfants le dimanche à l'office... Tant d'occasions de vérifier qu'il n'y a pas d'un côté la foi, de l'autre la pratique, mais que la pratique est la foi, car elle est le lieu privilégié d'une rencontre avec le Dieu de Jésus-Christ.

L'importance renouvelée accordée à la liturgie et à l'église comme lieu de prière et non pas seulement de rassemblement est un point qui n'est pas compris par tout le monde. Évangéliser, n'est-ce pas plutôt aller à la rencontre des gens ? Pourquoi ne pas célébrer l'eucharistie, les sacrements, dans les maisons particulières ? Les mariages, près du lieu où aura lieu la réception ? Les obsèques au funérarium ou au crématorium ? D'où, quand on aborde ce sujet, le sentiment diffus d'un retour en arrière, d'une insistance sur une pratique religieuse que l'on pensait avoir dépassée, ou du moins largement relativisée.

Il me semble que cette incompréhension a une origine profonde : on ne réalise pas à quel point le changement de culture qui a été vécu avec l'entrée dans la modernité, puis dans l'hyper-modernité d'aujourd'hui, a transformé le but poursuivi dans la pastorale. Il y a encore quarante ans - à l'époque où j'allais moi-même au catéchisme - quasiment tout le monde était baptisé, connaissait la liturgie, avait une culture chrétienne minimum. En un mot : tout le monde était présumé croyant, et était déjà rentré dans une église. De ces croyants, il s'agissait de faire des disciples, c'est-à-dire leur proposer de se mettre à la suite du Christ en écoutant ses conseils, en s'efforçant de vivre selon sa Parole. Il s'agissait d'approfondir une pratique souvent sociologique, d'en faire découvrir le sens, de traduire sa foi dans la vie quotidienne.

Le monde a changé - et c'est pour cela qu'il est important de penser une nouvelle évangélisation : très peu de personnes, surtout parmi les jeunes, fréquentent l'eucharistie du dimanche ; de moins en moins d'entre eux sont baptisés ;  il importe donc de permettre à ceux qui viennent de faire l'expérience de la foi. Dans ce monde-là, la foi et la pratique ne s'opposent pas, mieux : elles ne sont pas le prolongement l'une de l'autre, comme si la pratique était l'actualisation de la foi. La pratique religieuse est le lieu même de l'expérience de foi.

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