samedi 2 octobre 2010

Droit à des "soins médicaux légaux" et liberté de conscience.

Mme Mc Cafferty est membre du groupe socialiste au Conseil de l'Europe. Une assemblée "parlementaire" qui est aussi représentative des Européens que l'étaient les parlements de l'Ancien Régime. Elle est à l'origine d'une résolution, qui doit être mise en discussion le 7 octobre prochain, dont le but est de limiter la possibilité, pour un membre du corps médical, de refuser un acte qu'il estime contraire à sa conscience. Il s'agit, tout le monde l'aura compris, de l'IVG, ici désigné comme un "soin médical légal" - comme si le fait d'attendre un enfant était une maladie que l'on devrait soigner. La loi prévoit en effet la possibilité pour tout médecin de refuser de pratiquer cet acte, s'il l'estime contraire à ses convictions.

Premier motif d'étonnement : Mme Mc Cafferty relève que "l'objection de conscience se développe dans le domaine des soins de santé". Elle pourrait se demander pourquoi. Est-ce le résultat de l'influence grandissante de l'Église catholique ? Qu'il me soit permis d'en douter. J'y vois plutôt la manifestation d'une évidence : un gynécologue, une sage-femme, voient bien ce que c'est qu'un avortement, et savent qu'un embryon n'est pas une simple tumeur que l'on opère.

Deuxième motif : la proposition du groupe socialiste invite à distinguer entre les "personnes prestataires de soins de santé", dont le droit à l'objection de conscience resterait garanti ; et les "institutions publiques de l'Etat", qui (évidemment) ne peuvent se prévaloir de ce droit. Jusqu'à nouvel ordre, ce sont des personnes humaines qui pratiquent les IVG.

J'ignore ce que va devenir ce projet. Il permet de redire deux choses, qui sont bien souvent complètement occultées du débat public (enfin, si on peut parler de débat) sur l'avortement :

1) L'immense majorité des citoyens européens semble aujourd'hui favorable à un accès le plus facile possible à l'IVG, au mépris de la lettre de la loi qui réserve, chez nous, cette intervention aux situations de détresse. Mais, dans les faits, de plus en plus de praticiens s'y opposent. Il y a là une question morale importante : la morale n'est pas seulement une affaire d'idéal (tout le monde doit avoir accès à ce que la loi prévoit), elle est aussi une question de réalisme (personne ne veut pratiquer certains "soins").

2) Dans les faits, l'objection de conscience, qui est un droit absolument imprescriptible et doit être protégée, n'est plus respectée en France. Dans les hôpitaux publics, les médecins sont obligés, sous peine de sanctions, de pratiquer à tour de rôle des IVG, qu'ils le veuillent ou non. Je n'ose parler du sort réservé aux autres personnels, sage-femmes et infirmiers, qui n'ont en pratique jamais le droit à rien.

Le texte du projet de résolution
Pour signer la pétition qui s'oppose au projet

18 commentaires:

Nitt a dit…

J'ai signé la pétition il y a quelques jours... C'est terriblement vrai, ce que tu dis, sur la réalité de la liberté de conscience.
J'ai connu il y a quelques années une femme gynécologue, comme son père. Brillante, chrétienne, chef de son service dans une clinique chrétienne aussi.
Elle a convaincu, pendant des années, des tas de futures mamans de garder leurs enfants. C'est une héroïne.
Eh bien pour avoir suivi sa conscience et réussi de nombreuses assistances à bébé en danger... elle a fini par être renvoyée. Elle ne rapportait pas assez d'argent à la clinique.
Et c'était il y a au moins 10 ans.

Tigreek a dit…

Il y a quelques temps, le Chafouin disait dans un de ses billets : "quand un médecin pratique une IVG, c'est légal et même parfois encouragé. Quand une mère tue son nourrisson, c'est un crime des plus abominables". Je trouve que cette comparaison donne un bon aperçu de la schizophrénie de la société dans laquelle on vit...

Anonyme a dit…

merci de relayer cette info

jf canetti diacre permanent

Anonyme a dit…

L'eglise s'est disqualifiée dans ce débat en interdisant la contraception dont l'usage provoque l'exclusion des sacrements (sauf celui des malades). Il faut aussi le dire et dire que si la régle de l'église était appliquée comme le Vatican l'impose il n'y aurait pas grand monde à la table de communion.
J.C.

Emmanuel Pic a dit…

@ JC
Sauf que la "règle de l'Eglise" n'est pas une loi implacable, et ne se substitue pas à la conscience de chacun. On ne rend pas service en laissant croire le contraire. Quelle image avez-vous donc de l'Eglise catholique pour penser une chose pareille ?

Bashô a dit…

"Dans les faits, l'objection de conscience, qui est un droit absolument imprescriptible et doit être protégée, n'est plus respectée en France."

Je demande des faits, et non de simples généralités, ressentis. Mes amis médecins ne se sont jamais plaints de pression, autre que celui du conformisme qu'on rencontre en tous lieux et temps, y compris au sein de l'Eglise. L'objection de conscience est garantie par la loi.

Louve a dit…

@ Bashô
Ce matin, sur radio Notre-dame, deux femmes, l'une infirmière et l'autre sage-femme expliquaient que si leur choix était respecté de façon officielle, le quotidien s'avérait tendu entre collègues (leur reprochant de leur refiler le sale boulot) et avec leur patron (La sage-femme expliquait que son patron lui avait confié qu'il n'engagerait plus personne possédant une telle objection de conscience, car l'organisation des IMG et IVG se révélait plus complexe.)

Sinon, en effet, l'objection de conscience est encore garantie par la loi, mais cette résolution, justement, ne tend-elle pas à la menacer ?

Anonyme a dit…

Il y aurait beaucoup de choses à répondre à JC concernant la cohérence du message de l'Eglise sur la contraception. Il suffirait de remarquer juste une chose: le lien étroit entre la diffusion de la contraception et l'augmentation de l'avortement. Surpris? La France est un des pays ou le taux d'utilisation de contraceptifs est le plus élevé et pourtant le taux d'avortements n'a pas fléchi depuis 1974. Autre paradoxe: jamais la contraception des mineures n'a été aussi promue et répandue (pilule du lendemain, pack contraception etc.) et jamais le taux d'avortement des mineures n'a été aussi élevé. Pourquoi? Posez-vous donc autrement la question de la cohérence du message de l'Eglise: la mentalité contraceptive induit la facilité du recours à l'avortement en cas d'échec de contraception. L'Eglise a une autre vision de l'amour du couple que de réduire la femme à être plus facilement l'objet du désir de l'homme, sans parler des effets sur la femme elle-même et sur la nature. Lisez donc le livre d'Yves SEMEN: La sexualité selon JP II et nous reparlerons de la cohérence de l'Eglise sur la sexualité au-delà des fausses évidences.
Phil C

Anonyme a dit…

L'image de l'église ce sont ses textes.
Vous pouvez consulter :le Vade-mecum pour les confesseurs sur certains sujets de morale liés aux couples. Il est sur le site du Vatican.
De plus il est bien précisé par l'eglise que la liberté de conscience n'existe pas dans le domaine de la sexualité même après Vatican II. Lire JP II
J.C

Emmanuel Pic a dit…

@ JC

Amicalement : si vous voulez que vos objections soient prises au sérieux, n'écrivez pas des phrases du genre "l'image de l'Eglise ce sont ses textes". Je pense que l'image de l'Eglise ce sont les chrétiens et les communautés chrétiennes. C'est pour vous que l'image de l'Eglise se réduit à des textes, et si c'est votre problème, n'en faites pas une généralité. La Parole de Dieu n'est pas un texte, elle est une personne vivante qui s'appelle le Christ.

Pour le cas particulier de la contraception (qui n'est pas le sujet du billet) : vous écrivez qu'elle provoque l'exclusion des sacrements. C'est faux, le vademecum des confesseurs que vous citez à tort dit exactement le contraire. De toute façon, ce vademecum propose des suggestions aux confesseurs et n'est pas un code, relisez donc attentivement et sans préjugés, si cela vous est possible, son introduction. Je pense que la pratique du confesseur que je suis mérite d'être écoutée aussi.

Cessez également de dire que la liberté de conscience n'existe pas dans certains domaines, c'est parfaitement faux. Ne mettez pas tous les documents romains au même niveau : c'est du fondamentalisme théologique. En agissant ainsi, vous vous mettez au même plan que les intégristes que vous critiquez.

Plutôt que de considérer les textes romains comme toujours bons à jeter à la poubelle, essayez de vous demander si par hasard ils n'auraient pas un peu raison aussi. Ce que dit Phil C. est parfaitement exact, mais actuellement politiquement incorrect. Les textes romains posent à notre manière de vivre d'excellentes questions qui, non seulement ne sont pas entendues, mais ne peuvent même pas être posées ; dommage que vous ne vouliez même pas entendre ces questions. Je vous appelle donc à un peu plus de tolérance, si vous voulez qu'un vrai débat soit possible.

Emmanuel Pic a dit…

@ Basho :

pendant de longues années, les IVG s'effectuaient sans la présence d'un médecin à la maternité de Dijon. La raison en était simple : aucun médecin ne voulait plus pratiquer de tels actes. L'arrivée d'un nouveau chef de service a changé les choses, mais cela signifie que la liberté de conscience n'est de fait plus respectée puisque l'argument de service public passe désormais avant elle.

D'autre part, mais il est vrai que ce sont des témoignages et que vous pourrez toujours les suspecter surtout venant d'un prêtre catholique, je ne compte plus les sage-femmes et infirmières qui me font part de leur dégoût de tels actes. Elles savent que si elles refusent, elles s'exposent à des problèmes professionnels.

Bashô a dit…

"surtout venant d'un prêtre catholique", c'est plutôt désobligeant comme soupçon. Si vous voulez, je peux demander à mon directeur spirituel un certificat d'orthodoxie. Et je précise que je suis opposé sans l'ombre du moindre doute à l'avortement. Mais je confesse un agacement de plus en plus impatient devant des catholiques qui montent sur leurs grands cheveaux face au moindre évènement sans chercher à comprendre. Par exemple, le directeur des affaires pastorales d'un diocèse anglais avait décrit son pays comme étant "l'épicentre de la culture de mort" ce qui est du pur n'importe quoi.

Je le répète, mes amis médecins ne m'ont jamais parlé de tels problèmes, autre que certaines pressions sociales ou psychologiques, comme dans toute communauté. Mais j'insiste encore une fois que les protections légales existent. Il faut avoir le courage de s'en servir!

Pour passer à autre chose, je dois vous dire que votre comparaison avec les parlements de l'Ancien Régime est un peu limite (voire très...). Je rappelle que les parlements étaient plus du côté judicaire et administratif que du côté législatif. En fait, les parlementaires étaient des magistrats nommés par le Roi. Tandis que le Conseil de l'Europe est un organisme intergouvernemental dont l'assemblée parlementaire est une des composantes, et composés de membres des parlements respectifs. Stricto sensu, il represente les pouvoirs législatifs nationaux, nullement à représenter le peuple européen. Il ne faut jamais le confondre avec le Parlement Européen. Précisons que le Conseil de l'Europe est totalement différent de l'Union Européenne (La Russie et la Turquie en font partie et je crois qu'Israël y songe).

Par ailleurs, le mécanisme des institutions est complexe mais fonctionne plutôt bien. La résolution n'est que le tout début du processus. Il doit passer plusieurs filtres. En particulier la cohérence avec les normes supérieures (comme la Convention Européenne des Droits de l'Homme) qui protége l'objection de conscience. Mais je ne pense pas que ça ira jusque là. Il faut obtenir le feu vert des commissions parlementaires permaments, avoir l'accord du Conseil des ministres etc.

Emmanuel Pic a dit…

@ Bashô

Bon, ça va, si vous avez un certificat de confession... Ma réflexion venait de ce que pour certains commentateurs être prêtre équivaut à un certificat de crétinerie.

Merci pour les précisions sur le Conseil de l'Europe, je m'écrase avec fair-play, tout en continuant à m'interroger sur son caractère réellement représentatif. J'espère en effet, et après tout c'est mon droit de citoyen européen, que la résolution ne passera pas les différents filtres.

Si ça peut vous rassurer à votre tour, je ne pense pas être de ceux qui montent sur leurs grands chevaux pour dénoncer la culture de mort. Je m'inquiète seulement de la banalisation de l'IVG, et du détournement de l'esprit originel d'une loi qui n'a jamais été conçue comme ouvrant un droit à l'avortement. Si je deviens un taliban, vous me rendriez service en me le signalant.

Au plaisir de poursuivre la conversation...

Bashô a dit…

Et voilà, la résolution vient d'être vidée de sa substance : http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5jbZxa1pZFIFaKLkQHJe2Re98QTKw?docId=CNG.11ac8ccbda4884f28b4d5c8d99269308.e41

Cela dit, j'avais lu le projet de résolution qui soulève néanmoins quelques problèmes juridiques (et moraux) intéressants. Par exemple, lorsque la femme enceinte est en danger de mort du fait même de sa grossesse, qu'il y a situation d'urgence et qu'il n'y a pas d'autres médecins disponibles. Peut-il continuer à faire jouer son objection de conscience? Cela me rappelle une scène du film "Le Cardinal" de Otto Preminger. La soeur du prêtre Stephen Fermoyle est enceinte et en danger de mort. Comme elle n'a pas le droit à la décision, le médecin demande à son frère l'autorisation d'avorter. Autorisation qu'il refuse bien sûr. Et il se garde bien de le dire à sa soeur qu'on emmène au bloc. C'est à partir de ce moment que j'ai compris pourquoi des femmes liaient tant avortement et droits des femmes. Au fond, les premiers responsables de l'avortement, c'est nous les hommes, i.e. ceux qui sont nés avec le bon sexe, en ayant transformé la maternité en joug.

Cela dit, je suis absolument d'accord avec vous sur le détournement de la loi. Avez-vous lu Pasolini, le poète et cinéaste? Il a écrit un texte extraordinaire contre l'avortement. Je peux vous envoyer par lettre postale une copie si vous voulez. Ou si vous pouvez lire l'italien : http://www.europaoggi.it/content/view/1358/45/

mais il n'est pas facile à lire même pour un bon italophone à cause de son style volcanique (et magnifique).

Gabrielle a dit…

@ Phil C
Si seulement l'augmentation des avortements (en particulier de mineures) n'était lié qu'à l'impression de facilité apportée par les facilités de contraception et d'avortement ! L'explication mécanique n'est pas seule valable.

Bien sur, la contraception invite aux rapports sexuels sans désirs d'enfant. Et quand elle faillit, il reste le dernier recourt de l'avortement, qui évidemment à lieu plus souvent si plus de gens profitent de la contraception pour avoir des relations sexuelles.
Pour autant faire l'amour sans vouloir d'enfant est-ce vraiment "réduire la femme à être plus facilement l'objet du désir de l'homme" ? Je le vis bien plus comme désir commun de partager des plaisirs et de la complicité. Les violeurs se passent bien souvent de préservatifs...
Pensez-vous vraiment qu'avorter se fasse mine de rien, acte aussi banal que prendre la pilule ? Combien faux. Combien de femmes en pleurs et profonde déprime après un avortement, mesurant au plus près puisque dans leur chair même l'action faite.

Pour autant, faite tout de même.
Le problème de l'avortement tient à mon sens bien plus à la place, au désir et aux facilités d'avoir et d'élever un enfant aujourd'hui. Etre parent semble n'être plus toujours un désir, alors une priorité...

Anonyme a dit…

Bravo , le droit à l'objection de conscience est sauvé pour les médecins, il va falloir l'étendre aux étudiants en médecine . Mado

Bashô a dit…

Anonyme> Et depuis quand les étudiants en médecine peuvent pratiquer des actes médicaux? Formellement, ils assistent (dans les deux sens du terme) aux soins. Rien de plus.

Olivier C a dit…

"Bravo , le droit à l'objection de conscience est sauvé pour les médecins, il va falloir l'étendre aux étudiants en médecine."

Oui et bien moi j'espère surtout qu'on l'étendra aux infirmiers, parce que comme chacun sait, les infirmiers en France ne sont que des auxiliaires du médecins : s'il y a prescription médicale, l'infirmier est censé l'appliquer, il est très difficile d'y contrevenir. Et en ce domaine les euthanasies déguisées sont nettement moins circonscrites que pour les avortements où l'on peut au moins tenter d'éviter les services incriminés afin d'éviter de s'y confronter. Mais pour les services comprenant des personnes âgées, ce qui concerne 90% du personnel soignant, c'est une autre histoire...