jeudi 19 novembre 2009

2012, châtiment ou rédemption ?

Coïncidence ? La sortie du dernier film-catastrophe de Columbia Pictures a lieu au moment où la liturgie de l'Eglise catholique nous fait lire les récits apocalyptiques de l'Ecriture. C'est aussi le moment choisi par la revue Biblia pour publier un excellent dossier sur l'Apocalypse, signé Jacques Descreux. A la lecture de ces pages érudites mais accessibles à tous, on remisera au placard les fantasmes millénaristes pour découvrir un texte finalement méconnu, qui parle d'abord d'espérance et de salut, et qui surtout nous fait poser une question essentielle : quel regard les croyants doivent-ils porter sur le monde dans lequel ils vivent ? Car tel est le propos de cet ouvrage, écrit vers la fin du premier siècle par un disciple du Christ en exil quelque part dans une île de Méditerranée : les chrétiens n'y sont pas persécutés, mais ils vivent dans l'attente d'un autre monde, une attente qui leur fait voir d'un oeil pessimiste la société de leur époque. Au même moment, un autre auteur, qui signe du nom de Paul, écrit des lettres dans lesquelles il encourage plutôt le compromis avec ce monde.



Les lettres de Paul, l'Apocalypse de Jean, ont été recueillies dans le Nouveau Testament et sont considérées par les chrétiens comme parole de Dieu. Elles nous renvoient à ces deux manières d'envisager la relation de l'Eglise et du "monde" chez les chrétiens d'aujourd'hui : les uns seront soucieux d'accueillir la réalité telle qu'elle est, pour le meilleur et pour le pire, et tenteront d'y apporter le ferment de l'Evangile ; les autres préfèreront se mettre à l'écart et proposer d'autres manières de faire et de penser.

5 commentaires:

Tigreek a dit…

Si je puis me permettre de pinailler un peu, il existe, me semble-t-il, un léger décalage entre l'écriture des lettres de Paul et celle de l'Apocalypse. La vision eschatologique de Paul le pousse quand même à espérer le retour du Christ de son vivant... Celle de l'auteur de l'Apocalypse ne traduirait-elle pas une certaine désillusion, en voyant que le retour promis par Jésus ne se fait pas dans l'immédiat ? La vision du monde présentée dans l'Apocalypse ne serait-elle pas alors une tentative différente pour accéder au Royaume : rejeter les tares du monde pour s'en libérer, plutôt que d'essayer d'en faire partie, ce qui apporterait une certaine corruption empêchant l'avènement attendu ?

Bashô a dit…

Je profite de ce poste pour poser une question qui m'a toujours plus ou moins tarabusté. L'Apocalypse et les Epîtres, ainsi que les Actes font partie du canon et à ce titre sont considérés comme la Parole de Dieu. Mais ne peut-on dire qu'il y ait en quelque sorte une "hiérarchie" et qu'ils aient de fait une autorité moindre par rapport aux évangiles? Prenons Saint Paul par exemple, beaucoup aiment le citer pour appuyer leurs assertions mais saint Paul n'est pas le Christ et n'est donc pas épargné par le péché, ce qui fait que certains passages de ses épitres se troublent comme l'eau lorsqu'un courant remonte des profondeurs.

Prenons par exemple le fameux passage sur le couple, sur la femme qui doit être soumise à son mari qui doit tenir le rôle du Christ. Beaucoup disent qu'il n'est pas du tout misogyne, que c'est un texte admirable, cepnedant une lecture attentive montre une asymétrie de substance: la femme est per se inférieure à l'homme tout comme l'Eglise-Le Christ en cela fidèle aux conceptions de l'époque (cf Aristote par exemple et la femme comme "homme manqué"). On peut dire que Saint Paul est bien moins misogyne que beaucoup de ces contemporains mais partage tout de même la culture de son époque, comme un poisson respire les toxiques présents dans l'eau bien qu'il soit relativement épargné par rapport aux autres.

Emmanuel Pic a dit…

@Bashô :

Il n'y a pas de hiérarchie de ce type parmi les différents livres bibliques. Les évangiles eux-mêmes ne sont pas des écrits du Christ, mais des écrits de disciples rédigés d'après des témoignages sur Jésus. Les lettres de Paul sont plus anciennes, elles pourraient donc être considérées comme donnant un enseignement plus proche de l'origine.

Cela ne signifie pas que l'ensemble des Ecritures doive être pris au pied de la lettre : ce serait du fondamentalisme. Plutôt que de "hiérarchie", je préfère parler de discernement : il y a des passages de Paul qui font évidemment allusion à la situation de la société de son époque et ne peuvent être "appliqués" tel quel. L'intérêt de la citation que vous utilisez est justement là : à l'époque de Paul, il était courant de considérer que la femme devait être soumise à son mari. Paul y ajoute une nuance d'importance : "Vous, maris, aimez vos femmes", ce qui signifie qu'il accueille sans la condamner la manière de vivre de son temps, en l'évangélisant. Il se sépare ici nettement du courant "apocalyptique", qui a plutôt tendance à condamner le mode de vie des contemporains, pour proposer des attitudes radicalement différentes. Ce qui est "inspiré" (et inspirant) dans ce passage de Paul, c'est donc le fait qu'il accueille une situation et choisit de l'évangéliser sans la condamner.

Il est toutefois notable que le canon des Ecritures ait conservé les deux manières de voir ; c'est intéressant, car cela signifie que, dès les origines de l'Eglise, il y a eu diversité des interprétations de l'enseignement de Jésus. Cette diversité n'a pu toutefois être soutenue au point de devenir une cacophonie : c'est ainsi que s'est imposée la nécessité d'un "canon" (c'est-à-dire littéralement "règle") des Ecritures. Diversité, certes, et donc débat ; mais diversité symphonique.

Emmanuel Pic a dit…

@ Tigreek :

Vous ne pinaillez pas, mais votre remarque me semble parfaitement juste, et c'est justement ce qui est intéressant : l'Ecriture conserve les traces de débats qui se prolongent dans l'Eglise aujourd'hui, ce qui donne une légitimité à ces débats.

Pour ce qui est de la vision eschatologique de Paul, et de la désillusion dont ont pu être victimes les disciples en voyant que le retour tardait : il y a en réalité "deux Paul". Une première série de lettres parle d'un retour prochain du Christ, et va donc insister sur la radicalité du changement de vie qui est attendu des disciples (par exemple, la lettre aux Galates proclame qu'il n'y a plus l'homme et la femme, ni esclaves et hommes libres...). Une seconde série de lettres, qui sont donc considérées comme postérieures, prend en compte le fait que le Christ tarde à venir : ce sont les lettres dites "pastorales", dans lesquels Paul change d'attitude et conseille de prendre en compte les modes de vie de ses contemporains ("femmes, soyez soumises à vos maris", qui contredit évidemment l'opinion exprimée dans la lettre aux Galates), en l'évangélisant ("maris, aimez vos femmes", ce qui était loin d'être courant dans la société antique).

AncillaDomini a dit…

C'est drôle... ces lettres de Paul ne se contredisent pas, elles veulent dire la même chose : l'ensemble des textes éclaire chaque passage particulier, c'est toujours le même Esprit.