mardi 21 septembre 2010

Petits crimes entre amis.

Pile poil au moment où sort l'extraordinaire film de Xavier Beauvois (voir les critiques des Sacristains, et surtout foncer au ciné si ce n'est déjà fait), juste au moment aussi où sort Katiba, excellent roman de Jean-Christophe Rufin qui a précisément pour sujets les méfaits d' AQMI et les manipulations des services secrets en tous genres, voici que nous assistons en direct à l'enlèvement de malheureux concitoyens au Niger et aux efforts qui sont faits pour les récupérer en bon état.

En regardant, ou plutôt en contemplant, Des hommes et des dieux, je ne pouvais m'empêcher de penser à celles et ceux que je connais et qui ont été mêlés de si près aux drames que traverse aujourd'hui l'Islam. Michel, prêtre de Côte d'or, pris en otage à deux reprises aux Philippines. Jean-Marie, prêtre de Dijon également, qui a opté pour la nationalité algérienne. Monique, religieuse de mon quartier qui rentre de six ans passés "là-bas". Surtout, celui qui n'est plus là : le frère Pierre Claverie, évêque d'Oran, mort en rentrant un soir chez lui il y a près de quinze ans.

Ma dernière rencontre avec le P. Claverie remonte à 1995. Il était venu pour une conférence, et nous l'avions ensuite entraîné dans une cave dijonnaise, autour d'une bière, avec quelques amis. Il avait réussi à remplir l'amphi de la fac où nous l'avions invité, tenant en haleine un public pas entièrement convaincu sur le thème des incompréhensions qui entachent le dialogue entre christianisme et islam. Terminer la soirée de cette manière, c'était une grâce pour moi, jeune vicaire d'une paroisse majoritairement peuplée de musulmans. Il tenait à me partager deux convictions : la première, que l'islam tel qu'il était (et est encore) imposé à tant de citoyens de pays "musulmans" finirait par produire un rejet massif de la religion, à l'image de ce qui s'est passé dans tant de régions du monde dans lesquelles l'Église catholique s'était comportée en régente des âmes et des corps. La seconde, qui me sert toujours quand je réfléchis à ce qui se passe autour de moi : il faut chercher à qui le crime profite. En l'occurrence, dans l'Algérie alors plongée dans l'horrible guerre civile qu'on sait, il profitait, selon lui, à un gouvernement corrompu qui avait tout intérêt à laisser la terreur s'installer pour se poser en recours contre une violence qu'il avait lui-même contribué à créer.

Ce que je ne savais pas, c'est que ce second point allait servir de thème à l'ultime éditorial qu'il allait écrire dans sa revue diocésaine. Quelques semaines après (encore un hasard du calendrier), il était assassiné en même temps que son chauffeur. Les vrais coupables courent encore. Inutile de dire que les sous-entendus insistants de Des hommes et des dieux, qui montre bien que le gouvernement d'alors n'avait aucun intérêt à laisser en l'état le monastère, trouvent là un écho plus que troublant.

Alors ? A qui profite l'enlèvement des Français d'Areva ? En attendant, peut-être, que la vérité soit connue -mais je doute qu'elle le soit jamais complètement, rappelons-nous que si la France n'a pas organisé le raid de l'AQMI (qui n'a toujours rien revendiqué semble-t-il), elle a largement fait en sorte de créer là-bas une situation détestable, exploitant depuis 40 ans un site stratégique sans que jamais les populations locales n'en retirent le véritable bénéfice, et polluant au-delà du raisonnable les villes et villages environnant. "Imouraren, un désastre annoncé" : ce titre n'est pas d'hier, il a été publié l'an dernier par l'un des organismes qui continue à nous alerter sur le pillage dont l'Afrique est victime depuis sa découverte par l'homme blanc. Peut-être ferait-on bien d'entendre ces voix-là, plutôt que ceux qui essayent de tirer un profit politique de situations aussi dramatiques.

4 commentaires:

OliD a dit…

Et oui, Areva pille l'uranium africain sans se soucier des locaux comme d'autres pillent le pétrole. Mais avec le nucléaire, tout le monde fait mine de ne pas comprendre, de croire que toute production d'électricité est locale et que la France y gagne son indépendance énergétique... Bizarre.

PS1 : Je termine à l'instant le Rufin. L'actualité du livre est en effet terrifiante !
PS2 : Avec Isa, on croit se souvenir qu'on était en effet dans cet amphi avec Pierre Claverie (et peut-être bien ensuite autour de la bière !). Merci au passage pour tous ces débats que tu as organisés dans un temps passé.

Jérôme a dit…

Merci pour ce billet.

Quand l'humain aura une place plus importante que l'argent peut-être que nous nous comporterons mieux lorsque nous exportons nos activités...

Anonyme a dit…

Je ne suis pas sûr qu'on puisse comparer le processus de secularisation dans des pays (anciennement) de tradition catholique avec ce qui pourrait se passer en terre d'islam. La différence essentielle était que l'Eglise est une figure concrète qu'on peut toujours designée comme extérieure à soit (le pape, le vatican l'évêque, le prêtre, ect). Dans l'islam, il manquera ce besoin de "vomir" sur une figure contemporaine qu'on pourrait assimiler à des personnes du passé. Bref, c'est tout le mond et personne qui sera désigné comme responsable.

Anonyme a dit…

Moi aussi, j'étais autour de la bière rue Audra. Je me souviens du regard inquiet et circulaire de Monseigneur Claverie en rentrant dans ce lieu sombre et enfumé (c'était possible à l'époque!). Je me souviens néanmoins de sa décontraction, celle d'un homme qui "savait à quoi s'attendre". Je me souviens de l'absence de l'évêque de Dijon (son confrère?) à cette conférence si chargée d'émotion, pour des raisons qui m'échappent encore aujourd'hui. Je me souviens de la tristesse à l'annonce de sa disparition.