mardi 22 décembre 2009

Pie XII, c'est reparti.

Il y a une vingtaine d'années, j'avais demandé au cardinal Decourtray pourquoi il avait décidé d'ouvrir largement les archives du diocèse de Lyon concernant les années de guerre. La réponse avait fusé, comme toujours chez le grand homme, avec ce mélange d'humour et de profondeur qui font les vrais prophètes : "Si je ne le fais pas, dans vingt ans on nous accusera d'être les auteurs du génocide". Nous n'en sommes pas là ; mais le péché par omission dont on accuse Pie XII est-il moins grave ?

Je donne rapidement la parole à quelques confrères blogueurs : Koz, Jean-Baptiste Maillard (qui livre d'excellentes informations sur le dossier), Guillaume de Prémare ; ils élèvent une voix que je crains bien peu audible dans le monde qui est le nôtre : que peuvent-ils contre les raccourcis sanglants du Figaro et l'artillerie lourde du journal télévisé ? Un mot également sur La Croix et le cardinal Vingt-Trois, qui appellent fort heureusement à un peu plus de retenue. Ne nous leurrons pas : c'est, comme toujours, celui qui criera le plus fort qui sera entendu.

Il est parfaitement stupide, et inculte, de dire que Pie XII n'a rien fait contre le génocide, ou que son soi-disant silence l'en a rendu complice. Qu'aurait-il donc dû faire ? Le film Amen, de Costa-Gavras, qui est une œuvre de fiction (à charge contre Pie XII, bien entendu) et non pas un récit historique, s'ouvre sur une scène saisissante : l'intervention spectaculaire d'un évêque pour empêcher l'élimination, projetée par les Nazis, des handicapés mentaux. Ce que ne dit pas Costa, c'est que l'élimination a repris de plus belle quelques mois plus tard, avec une efficacité inégalée. La protestation de l'évêque n'aura servi qu'à donner le temps aux bourreaux d'affûter leurs couteaux.

Sur cette question-là, comme sur d'autres, la vérité est devenue l'enjeu d'un combat sans merci : elle est à la merci du plus fort. C'est la loi, dans l'univers ultra-libéral de la communication du XXI° siècle : sur le web, et ailleurs, toutes les opinions ne se valent pas, précisément parce qu'on veut qu'elles aient toutes le droit de s'exprimer, car elles ne bénéficient pas des mêmes appuis ou des mêmes savoirs-faire. Ne peut-on rêver d'une autre règle du jeu ? En nous rappelant, par exemple, que la vérité est d'abord appel à la raison, et donc au bon sens. Elle est aussi d'ordre symbolique : ce qui signifie qu'elle est créatrice de communion. Le bon sens s'oppose absolument à ce que Pie XII ait été complice, de quelque manière que ce soit, du génocide. Les faits montrent qu'il a permis de sauver des dizaines de milliers de juifs de Rome et d'ailleurs. On peut certes se poser la question de l'opportunité de la décision de Benoit XVI (qui doit, rappelons-le, visiter dans quelques jours la synagogue de Rome), demander l'ouverture des archives vaticanes, mais aucun dialogue constructif ne pourra être conduit sur d'autres prémisses que ceux-ci.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Le mensonge par définition n'a pas de portée universelle ; la vérité oui. C'est pourquoi cette dernière est infiniment plus puissante que la première, et finit tjs par triompher. Un souffle de vérité suffit à faire tomber les murs de mensonges - ça prendra juste le temps que ça prendra, comme disent les sergents instructeurs.

Hub a dit…

Quelle que soit l'opinion que l'on a sur les décisions/déclarations de Benoît XVI, il a un indéniable talent pour susciter le débat au sein de l'Eglise et de la société, depuis quelques mois...

Joyeux Noël !

Unknown a dit…

Bonjour,

Il y a quelques temps, vous avez parlé de l’AED sur votre blog.
C’est pourquoi aujourd’hui, je me permets de vous contacter dans le cadre de notre campagne de mobilisation en ligne. Nous souhaiterions vivement vous impliquer. Si vous êtes intéressé, vous pouvez me contacter eglise.detresse(@)gmail.com

Merci d’avance

Ségolène

do a dit…

Le problème aussi, avec l'information, c'est que chacun n'écoute que ce qu'il a envie d'entendre, selon l'endroit où ça le démange.
Aucune chance qu'un athée convaincu aille écouter le Cal Vingt-trois, ou ne le croie.
Mais ce n'était pas mieux avec les journaux papier.
ça crée des sortes de communautarismes de pensée, étanches, de plus en plus durs, et c'est assez explosif.

En même temps, Benoît XVI nous avait demandé, dès le début, de prier pour qu'il ne fuie pas devant les loups: il savait très bien ce qu'il comptait faire et les obstacles qu'il trouverait.
Je lui fais confiance pour ce qui est de l'utilité de ces démarches délicates s'il en est: j'ose croire qu'il ne lance pas tous ces pavés dans la mare juste parce que ça l'amuse, il doit bien avoir pesé le pour et le contre avant, je ne le prends pas pour un homme de peu de prudence.

On peut lui demander, nous aussi, de prier pour qu'on ne fuie pas devant les loups!
En même temps, ça permet de parler de notre religion presque tous les jours, on n'avait pas tant d'occasions avant!
Et ça, je crois que c'est une vraie grâce, ça nous oblige à nous montrer en tant que chrétiens et à affiner les arguments, c'est plutôt une bonne chose.

Jacques Descreux a dit…

La question n'est pas de savoir si Pie XII était antisémite ou s'il a approuvé le génocide : évidemment non. Il a réprouvé le génocide. La question n'est pas de savoir non plus s'il pouvait l'empêcher : sûrement pas. L'exemple de la prise de position du cardinal allemand l'atteste.
La question est de savoir si Pie XII devait, par des prises de paroles fortes et des actes, mettre en danger les catholiques, notamment allemand, sur la question du génocide des juifs. On trouve ici l'éternel débat entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Pie XII a préféré ne pas mettre en danger les catholiques. Nous ne devons pas le condamner pour cela. Mais sans doute pas non plus le béatifier pour cela.

Anonyme a dit…

C'est la technique du bouc émissaire . Dans quelques années quand les anciens communistes ne seront plus au pouvoir économique et politique ,on dénoncera le silence des Papes JeanXXIII et Paul VI par ex. .MADO

Marc Rey a dit…

Sur le plan historique je préfère ne pas m'exprimer, ne connaissant pas à fond le sujet. Je crois que l'évènement évoqué dans le commentaire de Paul du 24/12 a compté pour beaucoup.

Deux observations dans d'autres domaines:

1- Nous avons tous plus ou moins des parents ou amis qui ont connu une guerre: seconde guerre mondiale, Algérie, Indochine, Afghanistan en ce moment... Suis-je le seul à être convaincu que, lorsqu'on se tait pour laisser la place à leur parole, et lorsqu'ils sont d'accord pour communiquer ce qui est parfois incommunicable, on est frappés par la complexité des évènements et des pensées, par la difficulté à savoir ce qui est bon ou mauvais, par l'obscurité qu'engendre la peur du lendemain.
Si, après avoir écouté ces témoignages, on se pose dans le secret de son coeur la question "Qu'aurais-je fais à sa place", on plonge dans une instabilité où se niche quelque chose de l'homme et dont on peut parfois sortir grandi.

2- Emmanuel, saches que les journalistes sont des gens qui font aussi bien leur boulot que toi et moi. Ils ne sont pas plus tordus qu'un élu ou un écclésiastique ou un plombier. Comme tout le monde, ils ont des impératifs propre à leur métier et ils n'obéissent pas à un complot international et coordonné qui aurait pour but de couler l'Eglise. Leur mode de fonctionnement ne nous plait peut-être pas mais c'est comme ça. Si tu sors de chez toi sans chapeau et qu'il pleut, tu n'est pas content mais tu fais avec.
Je trouve que l'Eglise perd son énergie à déplorer (je ne dis pas à condamner). La presse est vilaine, les jeunes ne croient plus en rien, les valeurs fichent le camp...
Je n'ai pas de solution toute faite, mais si on se posait des questions sur le mot "diversité" ?Un journaliste ne fonctionne pas comme un curé. Mes enfants n'ont pas les mêmes valeurs que moi. La société n'est pas constituée de clones de ma personne.
Et pourtant j'ai la conviction que l'on peut échanger avec ces étranges étrangers que nous cotoyons tous les jours. Peut-êre d'abord en se taisant et en les écoutant sans juger, tout en n'ayant pas peur de dire après ce en quoi l'on croit.