jeudi 24 juin 2010

Culte vs. évangélisation.

Homme du sacré ou héraut de l'Evangile ? sur ce sujet, les débats se font vifs dans les presbytères. Car on ne badine pas avec les prêtres, quand il s'agit de leur ministère. C'est un peu la limite du célibat : nous, les curés, on n'a que ça dans la vie, notre ministère, et chacun a son idée sur la question ; alors que quelqu'un vienne la remettre en cause, et nous sommes atteints au plus profond de nous-mêmes, bien plus profondément que n'importe qui quand il a un problème de boulot.

Dans la vie de l'ancien que je deviens tout doucement, c'est bien l'une des questions qui est revenue le plus souvent : la crainte d'être réduit au rôle, comme disent certains, de "distributeur de sacrements". Encore une petite messe, monsieur le curé... Madame Une telle est en fin de vie, sa famille demande l'extrême-onction... Pourquoi est-ce qu'il n'y a personne au presbytère le lundi ? Ah bon, vous prenez des vacances ? Et vous allez dans quel monastère ? Vous êtes en robe toute la journée, ou seulement pour la messe ? Des questions dont je perçois aujourd'hui la naïveté, mais aussi la pertinence, dès lors qu'il s'agit de résoudre l'impossible équation actuelle (moins de prêtres et toujours autant de choses à faire) : on va se partager le travail avec les laïcs, il y a des choses que tout le monde peut faire, et d'autres que seul le prêtre peut faire, alors laissons le prêtre faire son travail et déchargeons-le au maximum du reste. Et voilà comment un curé se retrouve confiné dans son église, dans laquelle on s'étonne parfois qu'il n'ait pas son lit.

"Le reste", c'est : les soucis matériels, bien sûr. Mais aussi : l'organisation de la catéchèse. La préparation des célébrations. L'accueil des familles et du tout-venant. La solidarité. La visite des malades (le prêtre ne passera que s'il y a une demande de sacrements).

Et donc, le rôle du prêtre, c'est : la messe (pardon, les messes) ; les confessions ; les célébrations de mariages et de baptêmes, en attendant que les diacres s'y mettent puisqu'ils ont le droit de le faire aussi ; l'onction des malades, qui, rappelons-le, remplace l'extrême-onction depuis bientôt cinquante ans. Tout le reste, monsieur le curé, laissez-nous faire.

Le problème, c'est d'abord que, quand le Concile parle du ministère des prêtres, il commence par l'annonce de la parole. Il poursuit en rappelant que le prêtre est aussi celui qui collabore au ministère de présidence de l'évêque diocésain, et que cette présidence est étroitement liée à la célébration de l'eucharistie et des sacrements, et qu'elle signifie concrètement l'animation effective de la communauté à laquelle il est envoyé. Et, donc, que réduire la mission du prêtre à sa dimension sacramentelle, ou même partir de cette dimension pour parler des prêtres, c'est se tromper lourdement sur la nature du sacerdoce ministériel.

Mais ce foutu concile nous dit aussi que, par le baptême, nous sommes tous prêtres, prophètes et rois ; que les baptisés ont une mission d'évangélisation qui n'est pas facultative ; qu'ils participent au sacerdoce du Christ par la prière et la célébration des sacrements ; et en plus, il insiste lourdement sur la centralité de l'eucharistie dans le ministère et la vie des prêtres. Comment voulez-vous vous y retrouver si tout le monde se mêle de tout, sauf de la messe qui est réservée au prêtre ?

La seule solution que j'entrevoie, c'est le partage de la mission, non pas comme des convives qui se partagent un gâteau (chacun son petit morceau), mais comme des parents qui portent ensemble la responsabilité de leur famille. Car c'est cela qu'essaye de nous dire le concile : vous les prêtres, vous n'êtes pas chargés plus que les autres baptisés d'évangéliser, ou de prier, ou de je ne sais quoi encore. C'est toute l'Eglise qui est appelée à cela. Vous n'en êtes pas dispensés non plus. Vous portez donc, avec toute l'Eglise, le souci du service que l'Eglise rend à l'humanité. Ce souci, vous le portez à la place qui est la vôtre : vous êtes au service du service de l'Eglise. C'est dans l'exercice du ministère sacerdotal que vous évangélisez.

Et ça marche. Une belle célébration (mariage, baptême, obsèques, eucharistie...), bien foutue, avec au milieu une bonne vieille homélie qui montre comment la Parole de Dieu est là pour nous faire vivre aujourd'hui, c'est bien plus qu'un enseignement : c'est une expérience en live de la grâce de Dieu qui vient besogner en nous, comme disait Calvin. Ces gestes, ces chants, ces paroles, ce pain qu'on partage, ces mains qu'on tend, cette bouche qui s'ouvre, on ne s'en rend pas compte, mais ça vous change les hommes. Trois soirées de préparation au mariage ou au baptême, avec des échanges, des partages d'expériences, la méditation de la Parole de Dieu, et le sacrement qui va avec, ça vous marque une famille pour toute une vie.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Père, si tu veux vraiment commencer d'évangéliser, débute par museler les crocs des bénévoles de ta paroisse, qui comme partout s'arrogent un pouvoir là où dans l'Eglise il ne devrait y avoir qu'autorité. Je pense à ces gentilles mammies qui distribuent la communion en regardant comme des sacs à vomi ceux qui ont insisté auprès du sdf faisant la manche à l'entrée pour qu'il vienne assister à la Messe.

François a dit…

Je n'aurais pas si bien dit. Je partage entièrement ces propos, mais, en tant que prêtre, je me désole que nous sommes (quasiment) les seuls à les partager. La figure du prêtre réduite aux seules célébrations dans nos églises (de fait c'est là aussi que la plupart des gens nous y voient), ne doit pas non plus nous faire oublier l'essentiel : Prêtre ce n'est pas QUE célébrer c'est aussi être pasteur du quotidien. Il nous faut relire, le décret sur la ministère et la vie des prêtres : "Presbyterorum ordinis" de Vatican II.
En tout cas, merci pour ce billet, qui en ce moment m'apparaît comme une bouffée d'air pure venue de la sagesse et de l'Evangile.

Emmanuel Pic a dit…

@ "Anonyme" (hélas)

Hé, l'anonyme : tu es déjà venu dans ma paroisse ?
Et à propos : le vomi, là, c'est pas les mamies qui viennent de le lâcher.

Isabelle a dit…

Merci pour cette réflexion.
Je me trompe peut-être, mais l'eucharistie est aussi "la source et le sommet de toute vie chrétienne", pas seulement celle des prêtres, même si, bien sûr, elle est impossible sans un prêtre! C'est dans et par l'eucharistie que le laïc comprend son rôle de baptisé prêtre, prophète et roi et comprend qu'il est appelé à prier, à évangéliser et à servir en complémentarité et en union avec le/les prêtre(s) de sa paroisse mais sans le/les réduire à de simples "distributeurs de sacrements". Pour moi, chacun est au service de l'autre.
Et en même temps, on ne peut pas réduire le prêtre aux sacrements, il est un témoignage vivant tout le temps et sa fonction d'évangélisation est tout aussi essentielle, on ne peut pas se passer de lui pour les sacrements, ni pour l'évangélisation... Je n'ai malheureusement pas la solution pour trouver l'équilibre...
Merci de me dire si je me trompe! Cela m'aidera à mieux comprendre.
Et merci pour votre blog.

Anonyme a dit…

Mon père,
Je viens de découvrir votre blog, après avoir vu le lien sur les statistiques de mon propre blog!
Je vous remercie d'ailleurs de le citer dans votre liste de liens, j'en suis très touchée.

Je me permets de réagir à votre publication, car bien que très croyante depuis toute petite, je viens seulement d'entamer mon cathéchuménat (mes parents n'ont pas jugé utile de me faire baptiser).
Et comme vous je regrette cette relégation du prêtre aux seules célébrations, tout en comprenant bien la "crise des vocations" que subit votre sacerdoce.

J'aurais vraiment préféré faire mon cathéchuménat avec un curé, plutôt qu'avec des laïcs, qui bien sympathiques et utiles qu'ils fussent, n'en sont pas moins que des laïcs, et ce ne sera jamais vers eux que je me tournerai pour être accompagnée spirituellement, ni à qui je confierai mes craintes et mes doutes.

Tout ce que je souhaite à votre "profession", c'est que les vocations reviennent, que chaque paroise ait SON curé, et que les prêtres ne soient plus contraints d'être au four et au moulin.
Tout cela pour le bien de l'Eglise, et pour le nôtre.
Ils en avaient de la chance les anciens, qui ont connu l'époque où le curé était à demeure dans la commune, et les accompagnait en personne au quotidien..

Espérance19

Anonyme a dit…

Hem... Vous l'aurez compris mon Père, je me suis mélangé un peu les pinceaux..

Ce n'est pas vous que je dois remercier pour la liste de liens, mais un autre "bloggueur", celui grâce auquel j'ai découvert votre blog, dont le lien se trouvait à proximité du mien.

Veuillez me pardonner pour la confusion, comme on dit, voilà ce qui arrive quand on fait plusieurs choses à la fois!

Esperance19

Anonyme a dit…

Langue et musique à la messe actuellement.
Pardonnez moi les longueur de mes messages que j'ai déjà envoyés à d'autres blog.
Même si je souhaite rester anonyme selon les raisons données personnelles, il est normal de vous donner mon profil vis-à-vis de la messe pendant toute la vie. Ce qui permettra au lecteur de mieux comprendre les réactions qui seront exprimées au fur à mesure des commentaires inscrits sur votre site, si vous le voulez bien.
Ce texte semble refléter uniquement l’aversion vis-à-vis du latin. Mais en réalité ceci entre maintenant dans une vue plus générale des autres raisons du malaise ressenti et décrit dans le deuxième message envoyé.
Quand on a 75 ans et que, dès 5 ou 6 ans, on va « TALA » messe, (comme disaient les étudiants du Centre Richelieu de la Sorbonne vers les années 50) on a connu l’évolution de la liturgie des messes dès 1941 jusqu’à maintenant.
Que d’évolutions : Changement de place de l’autel pour la communion solennelle de juin 1946, mise à jour des cérémonies de Pâques par PieXII, changement de style des vêtements sacerdotaux, certaines lectures par les femmes, etc… etc… etc… et tout cela bien avant Vatican II !
Déjà au sujet de ces changements presque « préhistoriques », une petite remarque :
Seules les personnes très âgées, comme moi, ont connu ces changements. Elles pourraient avoir l’excuse d’une nostalgie due à l’âge.
Alors pourquoi certains, beaucoup plus jeunes remettent ces manières d’un autre siècle comme celle du prêtre tournant le dos aux fidèles. Il parait que le Pape et même l’archevêque de Paris auraient dit ainsi la messe dernièrement. Pourquoi revenir en arrière ? Cette information est à vérifier et il faut espérer qu’elle est fausse.
Pour clore cette parenthèse il faut revenir à la messe avant Vatican II.
Toujours que du latin pour les prières de la messe et la consécration. Chose la plus pénible pour un enfant et même pour un adulte. La messe était une triste épreuve de version latine comme à l’école. Entendre le prêtre, écouter une chorale ou dire soi-même en latin tout en lisant la traduction sur le livre de messe, une vraie galère !
Naturellement aucun sentiment de prière vis-à-vis de Dieu dans cet exercice déplorable.
Mais, enfant, adolescent ou même jeune adulte, aucune question ne se posait car étant dans cette ambiance, on pensait que seul l’utilisation du latin, comme un peu une formule magique, était la seule langue permettant la transsubstantiation du pain en corps du Christ. Ce miracle était le centre de la foi et l’on aurait accepté n’importe quoi pour s’assurer de la présence du Christ sur l’autel puis en nous. Le latin était le « Sésame ouvre-toi » de la venue du Christ en nous. Enfin c’était non formulé, ni par l’Eglise, ni par nous même, mais c’était dans notre subconscient.