mercredi 16 juin 2010

Le ministère de l'Eglise.

Dimanche dernier, ordination diaconale d'Etienne, 28 ans, séminariste en fin de formation et en insertion à Genlis. L'an prochain, si Dieu achève en lui ce qu'il a commencé, il sera ordonné prêtre. Deux autres diacres devraient normalement être ordonnés cette année, plusieurs autres se préparent ; ceux-là ne sont pas appelés en vue du ministère presbytéral, mais exerceront leur ministère à titre permanent.

Le diaconat est une des réalités très dynamiques de l'Eglise de France. Sans faire de bruit, son développement d'aujourd'hui participe à la révolution silencieuse qui est en train de se vivre chez nous : il y a, certes, moins de prêtres, et c'est une question. Mais il y a davantage de diacres, davantages de catéchumènes, davantage de chrétiens qui prennent des responsabilités dans les mouvements et les territoires. Ces changements sont une des nombreuses raisons d'espérer pour les catholiques de France, même si on ne voit pas encore bien où ils vont nous mener.

Un de mes professeurs de théologie parlait du diaconat comme du degré zéro du ministère. Il ne voulait pas dire par là que le diaconat était nul ; mais qu'il était le socle sur lequel était construit l'édifice ministériel de l'Eglise. Le diaconat, c'est le ministère - d'ailleurs c'est le même mot, l'un en latin et l'autre en grec. En français, cela signifie : "service". Tout ministère est un service. Et c'est là-dessus qu'il convient de s'expliquer.

Un des commentaires du précédent billet parlait du ministère comme d'un service des baptisés. Ce n'est pas tout-à-fait exact, et c'est me semble-t-il une des raisons du malaise que vivent actuellement beaucoup de ministres ordonnés (je pense surtout aux prêtres). Car cela peut sous-entendre que le ministre ordonné, quel qu'il soit, est au service de sa communauté : ainsi, le prêtre administre sa paroisse, y célébre les sacrements, préside la prière, assure la catéchèse et (s'il a le temps) visite les malades et s'occupe un peu des pauvres. Pour que ce service soit correctement assuré, comme il ne peut pas tout faire tout seul et qu'il n'est pas compétent en tout, il délègue une part de sa responsabilité à des baptisés. Finalement, pour reprendre la terrible expression d'Eugen Drewermann, il est un "fonctionnaire de Dieu", et c'est bien là que le bât blesse.

Pour bien parler des ministères de l'Eglise, il faut commencer par parler du ministère de l'Eglise. L'Eglise est dans ce monde pour un service : service de l'humanité, service de Dieu d'abord. Vatican II parle de l'union à Dieu et de l'unité du genre humain, dont les baptisés sont en même temps le signe (exigence de vie) et le moyen (devoir d'agir pour changer le monde). C'est toute l'Eglise qui est en charge de ce service, et un ministère de l'Eglise est d'abord exercice de ce ministère premier. Un prêtre, un diacre, ne sont pas là d'abord pour organiser la communauté à laquelle ils sont envoyés : ils sont là pour aider cette communauté à accomplir sa mission. Et, bien sûr, pour y participer eux-mêmes, selon leur charisme propre.

C'est en tout cas ma manière à moi de comprendre et de vivre le contenu du ministère sacerdotal. C'est d'abord pour cela que j'ai été ordonné diacre avant d'être prêtre : non pas pour gravir les échelons d'un cursus honorum, mais parce que le Christ choisit les prêtres parmi les ministres de l'Eglise. Cela marque profondément le ministère du prêtre : il est là pour le service de tous, et pas seulement de ses paroissiens. Chacun des actes de son ministère doit être marqué de cette exigence de service, et non seulement les actes caritatifs. Comme le disait un autre de mes professeurs (encore un...), faire du catéchisme, c'est un acte citoyen. Je rajoute volontiers : marier, baptiser, enterrer, c'est un immense service qu'on rend aux hommes en même temps qu'une louange à Dieu. Si on ne comprend pas de cette manière le ministère sacerdotal, on ne le comprend pas du tout. Si je ne vivais pas la vie sacerdotale de cette manière, je trouverais insupportable de baptiser et de marier des gens qui n'ont aucun lien avec la communauté paroissiale et n'en conserveront aucun.

Pourquoi cette insistance ?

Parce que je suis extrêmement perplexe devant les solutions qui sont le plus souvent évoquées pour pallier le manque cruel de prêtres sous nos latitudes. Ces solutions sont d'ordre institutionnel : on attend d'un changement des structures de l'Eglise qu'il vienne remédier à la crise actuelle. Or, dans la vie chrétienne, le changement a un nom : il s'appelle la conversion. Plutôt que de changer l'organisation, je préfère parler de conversion : c'est-à-dire, d'un retour à l'essentiel que l'on a perdu de vue. Cet essentiel, je le vois dans la mission de l'Eglise, à laquelle tous les baptisés sont attelés. Il me semble que beaucoup de difficultés seraient aplanies si nous nous mettions devant cette responsabilité commune, plutôt que d'envisager les choses sous l'angle de la répartition des pouvoirs.

6 commentaires:

JB Balleyguier a dit…

Je suis assez d'accord avec ta conclusion : la conversion de chacun est la clé des difficultés de l'Eglise.

Aujourd'hui on a tendance à se reposer beaucoup sur le prêtres pour finalement se dédouaner de nos propres responsabilités de chrétien.

Toute la question est de bien définir ce qui revient en propre au ministère ordonné de ce qui est la responsabilité de l'ensemble des baptisés...

Louve a dit…

Très beau billet mon Père, merci de nous rappeler à la conversion constante !
Et n'oublions pas l'importance de la vertu d'Espérance !

NM a dit…

C'est finalement la lucidité de l'Eglise et de la pensée chrétienne sur les institutions de comprendre que la réforme des institutions ne n'est pas grand chose sans la conversion des hommes et des femmes qui les font vivre. Malheureusement, les analyses et les revendications en termes de pouvoir sont courantes. Une bonne compréhension du service et de la mission est sans doute nécessaire pour éviter cet écueil comme nous y invite ce billet (si j'ai bien compris).

Emmanuel Pic a dit…

@ NM : "Si j'ai bien compris"... oulala ca veut dire que je ne suis pas clair...

Bien, de rapides explications : le concile Vatican II insiste sur la mission de l'Eglise dans le monde, et le service qu'elle doit y remplir. Or, ce service est celui de toute l'Eglise, et pas seulement de quelques-uns. Il se décline selon les "trois tâches" du Christ lui-même : enseigner, sanctifier, gouverner, trois "munera" qui sont le propre de tous les baptisés.

Quand je parle de conversion, c'est dans ce sens-là : toute communauté chrétienne doit se demander où elle en est de cette tâche qui lui incombe. Tout baptisé doit vivre dans cet esprit de service.

Cela suppose, évidemment, que chacun soit persuadé que le christianisme a quelque chose d'important à dire et à apporter au monde.

Les questions organisationnelles devraient venir ensuite. Par exemple : la manière dont ma paroisse est organisée lui permet-elle de remplir la mission qui est la sienne ? Et non pas : faut-il continuer à célébrer la messe le samedi soir parce que ça arrange Mme Trucmuche ? Ou bien : moi, le curé, je vais mettre l'heure de la messe le plus tôt possible le matin pour pouvoir rejoindre mes neveux.

Réponse trop rapide. Je vais tâcher de revenir dans un billet ultérieur sur cette histoire de conversion.

Wolfram a dit…

Je me permets de faire part de vos lignes à mes collègues - si vous êtes d'accord, bien sûr.

Car si l'idée des ministères dans l'Église se conjugue un peu diféremment dans l'Église Réformée, je me retrouve pleinement dans vos propos, y compris votre précision adressée à NM. Et les problèmes semblent les mêmes partout...

Emmanuel Pic a dit…

@ Wolfram :
pas de problème, c'est fait pour être lu... ;)
Petit souvenir personnel : il y a pas mal d'années, j'avais participé avec la pasteure dijonnaise d'alors à une rencontre oecuménique sur les ministères (j'étais le seul prêtre face à cinq pasteurs de mon âge.). L'un des pasteurs s'était levé, furieux, après mon intervention : "Ce qui m'énerve avec les prêtres catholiques, c'est que quand ils prennent la parole sur leur ministère, on ne voit pas la différence avec ce que disent les protestants..."