samedi 9 octobre 2010

Vies bouleversées.

C'est une famille sympa, normale, que celle de ce monsieur dont je vais célébrer les obsèques. Au nom que m'ont donné les Pompes funèbres, j'avais juste compris qu'il s'agissait d'un de ces immigrés italiens, qui sont venus au siècle dernier se nourrir du bonheur français, dont on s'est tellement moqué quand ils sont arrivés et qui font maintenant partie du paysage.

Une famille ordinaire, mais un défunt qui ne l'était pas. Monsieur M... est de ces gens qui ont été emportés, plus que d'autres, dans les tourmentes du siècle passé. Ses enfants n'ont peut-être pas vraiment conscience de cela ; ils me racontent, simplement, l'histoire d'une vie bouleversée. A vingt ans, la guerre, dans les troupes de Mussolini. Après la campagne de France, l'Afrique du Nord ; et, donc, puisque l'Italie ne comptait pas pour grand-chose, l'Afrika Korps de Rommel, où ont été versés, pour plus de facilité, un certain nombre de soldats des pays de l'Axe ; son bateau bombardé, voilà notre jeune Italien qui choisit le côté des Alliés plutôt que la prison. Il débarque en France dans l'armée de Patton, remonte jusqu'à Dijon, et là, enfin, il rencontre celle qui allait devenir sa femme.

Je rencontre, de temps en temps, de ces baroudeurs devenus de tranquilles pères de famille. C'est la grâce du sacerdoce de pouvoir écouter ces récits de la part de ceux qui les ont vécus ou de leurs enfants. C'était hier. Pourquoi cela nous semble-t-il aussi lointain ?

2 commentaires:

Manuel Atréide a dit…

Si lointain ...

Je me pose parfois la question. Quand je pense à la vie qu'ont vécu mes grands parents, quand je repense à ma propre petite enfance, que tout cela est loin ! Comme j'étais loin d'imaginer ce que serait ce monde, ce que seraient les possibilités offertes, ce que serait ma vie, et le prix à payer pour cela.

Oui la seconde guerre mondiale est loin, très loin désormais. Je vais vous dire un secret mon père : j'en suis heureux. Heureux parce que cela signifie que tous ces hommes et toutes ces femmes ne se sont battus et parfois donné leur vie en vain.

Ils voulaient que le monde change, que certaines horreurs disparaissent, que les mentalités évoluent, que l'on vive mieux. Ils ont réussi, qui peut dire le contraire ?

Leur succès a aussi créé de nouveaux problèmes : J'en veux pour preuve le sujet de votre billet précédent. Il fallait délivrer les femmes de cette vie marquée par les grossesses à répétition non désirées, il suffit de voir les reportages de l'époque sur le site de l'INA par exemple. La réponse trouvée n'est sans doute pas la bonne mais au moins quelque chose a été fait.

J'ai une pensée pour cet homme qui a vécu tant de choses terribles, poire mes ancêtres qui, eux aussi, se sont battus pour que ça change. Ils ne regardaient pas en arrière, ils laissaient une place à l'avenir. Le faisons nous encore ? Je crains fort que l'époque actuelle n'ait succombé au dangereux mythe de l'âge d'or. Au lieu de mener nos propres combats pour avancer, nous cherchons souvent à reculer. Qu'en auraient pensé ces neuves hommes de 20 ans sur les plages de Normandie ou de Provence ?

Manuel

dominique de terminale a dit…

Cela me ramène une dizaine d'années en arrière pour les obsèques de mon père... Engagé volontaire en 1938, admissible sur titre à l'école de pilotage d'Istres, il a traversé le conflit 39-45, puis s'est porté volontaire en Indochine... jamais je n'ai entendu de sa bouche une quelconque trace d'animosité ou de ressentiment, qu'une profonde marque d'abnégation.

Jamais je n'ai eu de jouet ou de jeu qui de près ou de loin fasse explicitement référence à la guerre...

Un jour, en vacances, nous traversions Verdun, où il a passé une partie de sa prime jeunesse, puis nous avons visité Douaumont : "Tu comprendras plus tard le sacrifice qu'ont fait les anciens pour vous les jeunes..."

Le drap tricolore recouvrait son cercueil, les porte-drapeaux ont tenu à lui rendre hommage en abaissant une dernière fois les couleurs.

Et au cours de la liturgie des obsèques, le prêtre qui nous a écouté, nous ses enfants, a commenté "C'était un homme de paix."

C'est de plus en plus loin parce que le malheur prend un goût de lointain, et on oublie le sens de ce qui se vit. Comme m'a dit aussi à ce propos un médecin, une personne en fin de vie sent sa fin arriver mais elle le "cache" à ses proches pour ne pas les faire souffrir... et les proches sentent que la personne est en fin de vie mais lui cache pour ne pas la faire souffrir...
On ne se dit plus les choses, pour s'épargner de souffrir, comme par confort ... mais on oublie que ces épreuves totalement assumées fondent la vie de chaque jour...