vendredi 14 janvier 2011

Eduquer au respect de la vie.

Au détour du traditionnel discours au corps diplomatique qu'il prononce chaque année, le pape a eu une de ces petites phrases qui en disent long : "Dans certains pays européens", dit-il, "est imposée la participation à des cours d'éducation sexuelle ou civique véhiculant des conceptions de la personne et de la vie prétendument neutres, mais qui en réalité reflètent une anthropologie contraire à la foi et à la juste raison".

Justement : il y a quelques semaines, un professeur d'histoire a été mis à pied, dans la bonne ville de Manosque, pour avoir parlé de l'avortement dans des termes qui semblent avoir choqué. J'ignore évidemment quel est le contenu précis de ce qui a été dit alors, et le film No need to argue, que notre professeur semble avoir projeté à ses élèves, devrait être, à mon sens, interdit à tout public (un film montrant la mort d'un embryon dans le sein maternel, c'est aussi insoutenable et indéfendable qu'un documentaire sur l'agonie de n'importe qui). Mais ce n'est pas la violence de la méthode qui a motivé la sanction, ni les liens manifestes de l'enseignant avec les milieux traditionalistes : c'est que le discours, et surtout l'anthropologie qui fondait ce discours (pour reprendre l'expression de Benoît XVI), n'étaient pas conformes à ce qu'attendait le chef d'établissement.

De quoi s'agit-il, finalement ?

La question de l'IVG, logiquement, doit être abordée dans le cadre des cours d'éducation à la sexualité, dans les collèges et les lycées. Il existe un Conseil national de l'information sexuelle, qui aide à donner un cadre à cet enseignement (d'au moins trois heures dans l'année). Chaque académie se dote d'un dispositif et d'une charte destinés à l'encadrer, et prévoit une offre d'accompagnement personnel destinée aux élèves qui en feraient la demande. L'enseignement se doit évidemment d'être neutre. Et c'est là, bien sûr, que les questions se posent : car il n'est pas de neutralité possible sur ces questions, ou plutôt la nécessaire neutralité ne peut que s'exercer que dans le cadre d'une certaine conception de l'humain (une "anthropologie").

Un exemple du problème qui est ici soulevé est précisément la manière dont la loi française conçoit l'IVG. La fameuse loi Veil, dont seule une partie a été d'ailleurs accompagnée de ses décrets d'application, commence par une affirmation de taille : celle du respect de la vie, qui apparaît donc comme le principe fondamental. Elle se poursuit en déclarant que l'avortement ne serait désormais plus sanctionné pénalement, à condition qu'il se déroule dans un cadre bien défini et qu'il ait lieu lorsque la mère se trouve dans une situation de détresse. La conséquence est de taille : il n'est pas question d'instaurer un droit à l'avortement, qui reste un crime, mais de ne plus poursuivre ceux qui en sont les auteurs. On est donc loin du discours des organisations "pro-choix", qui se fondent, non sur le principe du respect de la vie, mais sur la liberté de choix, voire le droit des femmes à disposer de leur corps. Pour discutable qu'elle soit, la loi Veil continue à se situer dans le cadre du respect de la vie, au moins au niveau de ses principes.

Lorsque la question de l'avortement est abordée dans les collèges et lycées, elle ne l'est pas de cette manière-là ; aucune question n'est soulevée concernant le statut de l'embryon (être humain ou pas ? Sur ce sujet, voir ce que dit un étudiant en médecine sur son blog personnel) ; les difficultés auxquelles sont confrontés les personnels des services pratiquant l'IVG, l'objection de conscience souvent invoquée et rarement appliquée, les conséquences psychologiques pour les parents de l'enfant, autant de questions soigneusement esquivées au profit d'un enseignement qui se limite à une présentation incomplète de la loi, et à faire de l'avortement l'ultime recours en cas de grossesse non désirée.

Tout cela, hélas, ne peut pas être abordé sereinement. Il n'est que de lire le billet de ce blog paru sur Médiapart, et surtout les réactions des lecteurs, pour comprendre qu'on se situe là sur le terrain de l'invective et de la caricature. Pour être honnête, l'attitude de certains adversaires résolus de l'avortement, et les liens qu'ils entretiennent sans discernement avec des mouvements extrémistes, n'aident pas à la sérénité du débat : il faut le redire, le film No need to argue, qui montre sans respect aucun pour l'embryon ainsi traité les différentes étapes d'un avortement, est un film extrêmement choquant, et ne devrait jamais être utilisé, pas plus qu'aucun documentaire montrant en direct les images de la mort d'un être humain. Cela n'enlève rien quant à l'exigence d'un discours humainement - et juridiquement - exact sur l'avortement.

7 commentaires:

panouf a dit…

Merci d'avoir cité mon texte!!
Où l'avez vous trouvé?
Merci...

Emmanuel Pic a dit…

Euh... sur Internet je crois bien...

Anonyme a dit…

Il n'y a pas que médiapart, le diocése de Dijon et les propos de votre blog sont encensés par Perepiscopus et Riposte catholique qui ne sont pas modéré non plus, mais cette fois dans le tradiland.
La contraception reste interdite aux catholiques, il faut aussi le redire pour comprendre l'agressivité des réactions contre l'église sur ce sujet. JC

Anonyme a dit…

Bien évidement que ''le sujet ne peut être abordé sereinement'' au sein de l'église puisque l'on part d'interdits avec sanctions graves puisque conduisant à l'exclusion des sacrements. JC

Anonyme a dit…

Avez vous déjà été en Pologne? Avez vous déjà vu comment les églises et les cathédrales comme celles de Cracovie (celle de JP II) sont décorées avec de nombreux posters avec photos du type de celles des pubs de ''laissez les vivre''. C'est cela que vous souhaitez en France, c'est cela que vous voulez dans les lycées? JC

Emmanuel Pic a dit…

@ JC

Comme d'habitude sous votre plume on trouve amalgames et exagérations, qui rendent vraiment le dialogue difficile.

Premièrement : je ne vois d'encensement de mon blog dans aucun blog de Tradiland... Et même, ça changerait quoi ?

Deuxièmement : quel rapport entre l'interdiction de la contraception pour les catholiques, et ce qui se passe en France avec l'IVG ? Jamais la contraception n'a été aussi encouragée, jamais le nombre d'avortements n'a été aussi grand.

Troisièmement : personnellement, je ne peux qu'être d'accord avec l'interdit de l'avortement. Après, si vous n'êtes pas d'accord, je respecte votre opinion. Je ne vois pas en quoi cela empêcherait la sérénité du débat.

Ceci dit, j'aime beaucoup l'expression "Tradiland". Pourquoi donc fréquentez-vous de tels sites, s'ils vous donnent des boutons ?

Claire a dit…

Bonjour Emmanuel!

Un petit coucou de Pologne... où les campagnes anti-avortement utilisant des images très choquantes se trouvent sur le parvis d'un peu trop d'églises.Un des aspects les moins glorieux de ma manière dont l'Eglise s'accroche ici à son influence!
Pour ce qui est de la France, j'ai "regardé" la vidéo en question (deux images vues, plus qu'assez) et elle justifie totalement la mise à pied de l'enseignant. C'est du pur traumatisme, visant à faire réaliser quelque chose par la confrontation directe et la plus horrible possible puisqu'on pense que c'est la seule manière d'attendre son but.
Encore une fois, sur le fond de l'affaire, je suis je crois d'accord avec toi. Il est devenu aujourd'hui difficile de dire que l'on refuse l'avortement, de même qu'il est difficile de dire qu'on est chrétien. On passe tout de suite pour un intégriste égoïste et borné, dogmatique, qui fait passer ses idées archaïques avant la liberté des femmes... La tyrannie de la majorité a changé de camp. Revendiquer un droit, c'est aussi revendiquer un choix, sinon il faut parler de devoir. Ne pas laisser s'exprimer les opinions opposées, c'est du totalitarisme, comme on le voit en Chine avec les avortements forcés du fait de la politique de l'enfant unique.
Il faut simplement, un jour, se poser et accepter qu'on ne peut pas tout contrôler et tout définir, parce que nous sommes limités dans notre compréhension des choses. Le droit essaie de définir " les limites temporelles de l'être humain" depuis des décennies sans y parvenir, et l'échec de tous ceux qui se sont posés sur la question doit nous amener à réfléchir.
Je suis contre l'avortement, je suis contre les recherches sur l'embryon, je suis aussi loin d'être pour la fécondation in vitro qui sacrifie des embryons fécondés. Mais les gens ont du mal à comprendre qu'on puisse être contre sans juger ceux qui y ont eut recours, simplement parce qu'on sait que c'est une manifestation de la faiblesse humaine, qu'en tant que chrétiens nous devons accueillir et non accabler.

Beaucoup de choses, un peu dans tous les sens, mais c'est un sujet qui touche à tellement d'autres! Tout est lié, toutes les incompréhensions entre certains aspects de la société actuelle et l'Eglise sont ici cristallisées.

A bientôt donc :)
Claire