lundi 9 janvier 2012

Le jour des païens.



Pour l'Epiphanie, l'église est pleine à craquer. Je sais que, comme chaque dimanche, mais plus encore pour ce genre de fête populaire, il y a là des gens qui ne se considèrent nullement comme croyants ; ils sont venus pour accompagner leur conjoint, pour faire plaisir à leur enfant, par intérêt ou par simple curiosité. Tel est le vrai visage de nos paroisses : elles sont loin d'être fréquentées par les seuls convaincus.

L'Epiphanie n'est pas seulement la gentille fête des gentils mages venus rendre visite au petit Jésus. Ce qu'elle est, c'est Paul qui nous le dit, dans la deuxième lecture qu'on a écoutée hier d'une oreille peut-être distraite :

Les païens sont cohéritiers, forment un même corps, participent à la même promesse en Jésus-Christ par l'Evangile.
Sacré Paul, il y va fort. Les païens forment un même corps avec les disciples du Christ. Ce corps, c'est l'Eglise.

Voilà qui met à mal bien des idées reçues : l'Eglise n'est pas le petit club des convaincus, de celles et ceux qui écoutent l'enseignement de Jésus et s'efforcent de vivre selon ses conseils. Elle est le Corps du Christ qui se construit et qui ne sera pleinement manifesté qu'à la fin des temps. Pour prendre une autre image, elle est la table préparée par Dieu pour son Royaume. A cette table, tout le monde n'est certes pas (encore ?) assis ; mais tout le monde a sa chaise et son couvert, et personne n'a été oublié.

Voilà aussi qui donne un début de réponse à ces questions qui me sont si souvent posées : mon ami n'est pas croyant, mes enfants ne sont pas mariés à l'église, mes petits-enfants ne sont pas baptisés. Il y a de l'inquiétude, de la souffrance, dans ces situations. La meilleure réponse est celle qu'apporte Paul : pas croyant, pas baptisé, mais déjà associé à l’Église d'une manière que Dieu seul connaît.

Que faire alors ? Se rappeler que la foi est un chemin, que nul ne vit sans se poser de questions, que ces questions sont autant de balises dans notre histoire avec Dieu. Se rappeler aussi que tout le monde a une histoire avec Dieu, et que chacun la vit à sa manière. Inviter, aussi, chacun à être honnête vis-à-vis de cette histoire : tu es incroyant aujourd'hui, certes ; mais tu as rencontré Dieu déjà dans ta vie, et cette rencontre a fait de toi ce que tu es aujourd'hui. Et nul ne sait de quoi demain sera fait. Les mages aussi n'ont pas vu l'étoile tout au long du chemin ; ils n'en ont pas pour autant cessé d'avancer.

16 commentaires:

Manuel Atréide a dit…

Bonsoir Père Pic,

Vous me surprenez décidément avec chacun de vos billets, et toujours agréablement. Vous prenez là une position audacieuse, celle des bras grands ouverts, celle de l'invitation de tous, quel que soit le chemin. Je ne connaissais pas cette citation de Paul mais elle me semble rudement pertinente dans un monde ravagé par les haines et les divisions.

Vous me donnez en tout cas une nouvelle fois matière à réflexion, et en même temps, vous tenez à bout de bras une petite lumière visible de loin qui semble dire : je suis par là. Je ne sais pas si mon chemin rejoindra le vôtre mais le simple fait de vous croiser de temps en temps est déjà un vrai petit bonheur.

Bonne année 2012 à vous, Père Pic.

Cordialement, Manuel

Incarnare a dit…

Ton article soulève un point très juste.. mais je n'ai pas remarqué d'affluence particulière ! J'aurais parié pour les rameaux..

dominique de terminale a dit…

Quand j'étais gamin, les Rois étaient comme la prolongation de Noël, une occasion d'être bien ensemble... Mais je ne comprenais pas pourquoi on les appelait Rois et Mages.

Et si c'était comme une marque de respect mutuel : les non-croyants (= les rois mages de l'histoire) reconnaissent la spiritualité de celui à qui ils rendent visite, et nous sommes aussi "tributaires" de leur sagesse...

Il seraient venus de loin, comme pour une épopée, un chemin initiatique; quand ensuite ils n'auraient pas vu l'étoile, c'étaient à eux d'inventer leur chemin...

Flob a dit…

Ce que je retiens de ces deux posts, c'est notre responsabilité qui est engagée à chaque eucharistie !
Si nous sommes déjà assis à la table, il nous incombe de justifier notre présence par nos actes d'ouverture.
Quelle marge de progression, ai-je ainsi devant moi!
Merci de nous le rappeler encore et encore!
FLorence Baratte

Anonyme a dit…

Vous dites '' l'église .....s'efforcent de vivre selon ces conseils'' Ce n'est pas vraiment exact, pour faire ^pleinement partie de l'église il faut pouvoir recevoir les sacrements, donc être en état de grace.... donc recevoir l'absolution selon des régles et lois établies par la hierarchie de l'église qui conduisent plutot à l'exclusion.
C'est donc un groupe fermé (l'église) duquel on peut être exclu très facilement.
Très respectueusement
J. BRUNO

Flob a dit…

Pas d'accord avec cette lecture, Je dirai quant à moi que l'on peut plus facilement choisir de s'exclure de l'Eglise. Et la bonne nouvelle, c'est que Dieu nous a voulu libres!

Emmanuel Pic a dit…

@ J. Bruno : vos interprétations sont toujours aussi fondamentalistes, cher ami... Comment expliquez-vous alors la phrase de Paul ? Et d'où sortez-vous des affirmations aussi péremptoires sur ce que signifie "faire partie pleinement de l’Église" ?

Emmanuel Pic a dit…

@ Incarnare : depuis quelque temps, les Rameaux et la Toussaint ne sont pas tant que ça jours d'affluence...
Sinon dimanche, il faut dire que c'était la messe des familles, et comme il y a 300 enfants inscrits au caté, ça fait du monde dans l'église !

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Jean-Paul a dit…

Si les 300 enfants et au moins un de leurs parents venaient à la messe, ne serait-ce que le jour de la messe des familles, il y aurait du monde dehors ! Cela dit, c'est déjà une fort bonnes choses qu'il soient inscrits au caté, mais imaginez que dans les clubs de foot de votre quartier il puisse y avoir un seul enfant à l'entrainement du mercredi qui rechigne à aller au match le dimanche ?

Emmanuel Pic a dit…

@ J. Bruno : pardon, je n'avais pas vu que le dernier commentaire demandait à ne pas être publié. J'ai donc dû le supprimer ensuite...
Pour ce qui est de l'accusation de fondamentalisme : je ne voulais pas faire de peine, c'était juste de l'humour vous concernant, la prochaine fois je placerai un point d'ironie !

Marc Rey a dit…

"l'Eglise n'est pas le petit club des convaincus" j'ajoute "occidentaux". Les mages venus d'Orient nous invitent à déplacer le centre de notre monde. La Terre sainte est en Asie, mineure certes, mais Asie tout de même, Saint Augustin était Berbère d'Afrique du nord. Saint Jean Chrysostome était Syrien. Saint Jean Damascène était arabe...
Lorsque nous croisons un tunisien, un Syrien, un Turc, un Irakien, puissions nous imaginer un instant que nous avons en face de nous Augustin, Jean, Ignace, Gaspard, Melchior ou Balthazar.

Wolfram a dit…

Souvent je partage votre avis, mais là, je ne peux que vous contredire. Quand Paul - et ses disciples, si nous suivons les exégètes nombreux qui contestent que Paul est l'auteur de l'épître aux Ephésiens - quand Paul parle des "païens", le mot grec est "ethnè", littéralement "les nations", c'est le terme hébreu "goyim" qui décrit les nations non-juives. Cela devient d'autant plus flagrant qu'au 1er verset du ch.3 concerné, Paul appelle les lecteurs ephésiens - des chrétiens, membres de l'Église ! - "vous, les païens".
La Bible en Français Courant (à ma connaissance reconnue par les évêques de France) rend donc le verset en question "les non-Juifs sont destinés à recevoir avec les Juifs les biens que Dieu réserve à son peuple".
Il ne faut pas oublier, ni même occulter, la 2e moitié de Mc 16,16...

Emmanuel Pic a dit…

@ Wolfram :
je me disais aussi : c'est bizarre, personne ne m'avait encore fait la remarque ;)
Bon, en effet je comprends ce que vous dites. Et bien sûr que je lis AUSSI ce passage de cette manière-là. Mais j'ai un problème avec ce genre de lecture : car elle réduit l'Ecriture à une lettre morte, puisqu'elle ne parle que de la situation passée. Or, je pense que l'Ecriture parle aujourd'hui. Ainsi, dans l'Evangile, l'attitude de Jésus envers les païens doit se comprendre dans le contexte que vous signalez ; mais elle nous parle également de notre propre attitude envers les incroyants d'aujourd'hui. Pour tout vous dire, le point de départ de ma réflexion a été la question de Dietrich Bonhoeffer : comment le Christ peut-il être aussi le Seigneur des incroyants ?
Je ne suis pas d'accord avec la traduction de la Bible en français courant, mais c'est une autre histoire.
OK pour votre rappel de Mc 16,16 ; on peut tout autant en contester la paternité à Marc, après tout... Mais cela ne me gêne pas qu'il y ait plusieurs ecclésiologies dans le Nouveau Testament. Ma théologie du Salut est plutôt celle de Mt 25 ! Quand à la "foi", elle n'est pas réservée aux seuls baptisés, pas plus que le salut d'ailleurs. Le sujet de mon article n'est d'ailleurs pas le salut, ni la foi, mais le lien à l'Eglise. Il faudrait plus que ces quelques lignes pour m'en expliquer. Pour faire bref : l'Eglise n'est pas seulement ce que nous voyons ici et maintenant, elle est le Corps du Christ en train de se constituer et qui sera achevé à la fin des temps. C'est pourquoi je pense que nous ne devons pas en avoir une vision trop statique, un peu comme un club dont la carte d'adhésion serait le baptême ; mais la considérer dans le plan du salut, jusqu'au terme où le corps du Christ récapitulera toute la Création. Cela pose alors la question de la place des incroyants (ou des autres croyants, etc) : ils ont forcément leur place dans ce projet de Dieu, mais laquelle ? nous devons répondre à cette question.

Wolfram a dit…

Effectivement, ne nous enfermons pas dans une lecture historique. Je traduirais alors l'intention de Paul sur la tension entre les chrétiens d'Église traditionnels et les nouveaux convertis, on pourrait nommer une situation presque caricaturale que j'ai découverte il y a quelques années dans la Drôme, où se heurtaient les vieux huguenots qui connaissaient les bagnards et les galériens de leur famille par leurs petits noms, et un groupe de Jeunesse En Mission.

Alors, il faudrait débattre du sens du mot "païen", qui pour moi, en dehors du contexte judaïque, désigne ceux qui ne veulent rien avoir à faire avec le Christ ou qui ne savent rien de lui - mais je n'aurais jamais osé appliquer ce mot aux prosélytes, à ceux qui s'intéressent à la foi chrétienne peut-être par curiosité, aux non-baptisés en marge de nos communautés.

(La Bible FC reprend de Paul l'omission de préciser que dans l'un comme dans l'autre cas, juifs comme nations, il s'agit de chrétiens; s'ils avaient parlé de juifs chrétiens et non-juifs chrétiens [pour éviter les termes techniques judéochrétien et paganochrétien], ce serait mieux.)

C.S. Indhal a dit…

C'est une manière très intéressante de lire ce passage et de réfléchir sur la question de l'appartenance à l'Eglise ! Cela enrichit d'une certaine façon ma compréhension de l'ouverture de l'Eglise à tous. Merci, P. Pic !