vendredi 7 janvier 2011

Crémation.

La publication d'un article sur la crémation dans La Croix d'hier m'a donné envie de réagir...

Dijon, 250 000 habitants. Au crématorium, depuis une vingtaine d’années, une équipe de laïcs assure avec dévouement des célébrations de funérailles, dans l’un des salons du vaste complexe agrandi il y a peu. On en compte, bon an mal an, 300. C’est l’activité annuelle de six paroisses urbaines. Ce n’est pas rien.

A l’origine de ces célébrations, une décision de l’évêque, qui en ouvrait la possibilité dans des circonstances exceptionnelles : une personne seule, un défunt mort loin de chez lui… Les règles strictes posées au départ n’ont pas tardé à être contournées, pour toutes les raisons que l’on imagine (pression des pompes funèbres, certes ; mais plus encore, décisions prises hâtivement par les familles, mauvaise information sur la possibilité de célébrer en paroisse, et surtout perte de repères : quel importance a donc le lieu d’une célébration ?). L’équipe s’est sentie interpellée : il fallait accompagner les familles, de peur qu’elles ne se refusent à tout rite religieux.

Nous sommes nombreux, aujourd’hui, à nous interroger sur les choix qui ont été faits alors. Le nombre de crémations allant en augmentant, la demande de célébrations sur place fera de même. Nous savons donc que, contrairement à ce qu’on laisse entendre, accepter sans discernement les funérailles religieuses au crématorium se traduira par une baisse du nombre de célébrations en paroisse.

La porte est, du coup, ouverte aux maisons funéraires, qui se multiplient partout : pourquoi ne pas les utiliser également, pour répondre aux souhaits des familles ? Le diocèse de Dijon a pris le parti de s’y opposer. Jusqu’à maintenant, aucun faux prêtre ne s’est encore manifesté. La compagnie de pompes funèbres qui entrerait dans ce jeu sait qu’elle s’exposerait à une polémique très dommageable pour elle, dans un contexte où la concurrence - relative - existe.

L’enjeu immédiat concerne, bien sûr, le lieu de la célébration. Pour dire les choses de manière lapidaire : un crématorium est un lieu de mort, une église est le lieu où l’on célèbre la Résurrection. Or, l’employé des pompes funèbres qui accueille les familles n’est pas là pour leur dire les préférences de l’Eglise, mais pour accéder à leurs désirs. Il peut aussi arriver qu’il encourage une célébration au crématorium, dont sa société est propriétaire ou concessionnaire. Les plaintes de familles, qui s’estiment mal renseignées par des employés trop pressés, ne sont pas rares. Les frustrations aussi : car il y a souvent désaccord au sein des proches, et c’est le moins-disant, celui qui propose la solution la plus simple et la moins coûteuse, qui l’emporte. S’opposer aux célébrations dans les crématoriums, c’est alors soutenir les membres de la famille qui sont proches de l’Eglise.

On prend, certes, le risque de voir se développer les cérémonies animées par les pompes funèbres. Mais n’est-ce pas aussi mettre les personnes devant les conséquences de leurs choix, et d’une incroyance qu’elles n’hésitent pas à revendiquer ? La famille est la plupart du temps soucieuse de respecter la volonté du défunt : s’il avait demandé des obsèques religieuses, on accèdera à cette demande, même si l’Eglise en impose le lieu et le cérémonial.

Plus fondamentales encore sont les questions posées par la crémation elle-même. Je ne parle pas ici du choc émotionnel provoqué par la réduction brutale du corps et ses éventuelles conséquences psychologiques, mais des enjeux religieux. Les raisons qui motivent le choix de la crémation sont purement matérielles (coût, hygiène, peur de gêner les descendants, voire d’être enterré vivant …). On peut parler d’une véritable absence de sens.

A cela s’oppose la symbolique forte de l’inhumation, qui évoque la parabole évangélique du grain tombé en terre, les paroles de Paul sur la résurrection, le respect dû au corps dans la tradition chrétienne. Si le cadavre est couché (et non, par exemple, assis, ou en position fœtale), c’est parce que cette position évoque le sommeil. S’il repose dans un cimetière, c’est parce que ce mot, en grec, signifie « dortoir ». Le rite donne la signification chrétienne de la mort : un sommeil, d’où le coprs se réveillera pour la résurrection.

Pour toutes les raisons qui viennent d’être dites, l’Eglise ne fait que tolérer la crémation, et exprime une préférence forte pour l’inhumation. Il n’est donc pas juste de laisser entendre, purement et simplement, que les pratiques d’incinération des corps soient aujourd’hui acceptées sans réticence.

Accueillir sans discernement toutes les demandes de crémation, a fortiori les célébrations religieuses dans les crématoriums, n’aide donc guère les personnes à se rapprocher de l’Eglise ou à reconstruire une identité chrétienne passablement malmenée par la modernité ; c’est au contraire les conforter dans la difficulté dans laquelle elles se trouvent vis-à-vis de l’Eglise, de la foi, et plus fondamentalement vis-à-vis de la mort.

8 commentaires:

Wolfram a dit…

Si je me souviens bien des dires de l'ancien pasteur de l'Église Réformée, elle m'a expliqué que les PF gagnent pas mal d'argent en louant la salle pour des cérémonies religieuses et ont dont un intérêt non négligeable à ce que "ça" se passe chez eux et non pas dans les églises ou le temple. Personnellement, je refuse d'officier dans ces salles, pour les raisons mentionnées dans le texte (on peut facilement mettre "temple" à la place de - non, avec "église"), et il m'arrive de proposer la pratique huguenote de procéder à l'inhumation avant le culte de consolation. Ce qui déplaît aux PF, puisqu'ils en perdent un transport à facturer ainsi que l'heure que leurs hommes tournent les pouces en attendant.

Cependant, j'ai l'impression que les relations entre PF et Églises à Dijon sont particulièrement dérangées, au moins par rapport à ce que je vois dans mon consistoire.

dominique de terminale a dit…

Je pensais chaque fois que j'ai assisté à une crémation (après une cérémonie chrétienne, même si je regrettais parfois le manque de vie et d'espérance de la liturgie de certaines...)à la phrase "souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière..."

Est-ce contradictoire avec l'analyse développée?

Anonyme a dit…

La facilité et l'économie sont certainement la cause principale de l'utilisation du crématorium pour la cérémonie des obsèques alors que le lieu naturelle devrait être la paroisse au coeur de la communauté. Il convient aussi de souligner que les bénévoles qui assurent le service le font très bien dans des conditions difficiles puisque ne connaissant pas le décédé. JC

Emmanuel Pic a dit…

@ Dominique :
je ne pense pas que la phrase que tu cites soit une phrase de l'Evangile... Ni d'espérance, bien au contraire... C'est justement ce qui m'inquiète dans ces histoires de crémation.

Bashô a dit…

Très bonne note... J'exprimerai juste une réserve sur la symbolique attribuée au corps couché. Si on le couche en général dans presque toutes les civilisations, c'est plus pour des raisons pratiques (facilité de déplacement); A contrario, à certaines époques, beaucoup dormaient assis parce que la position allongée rappelait la mort. Je connais d'ailleurs des personnes qui le font.

Wolfram a dit…

@Dominique: c'est le rappel de la phrase finale du jugement d'expulsion du paradis (Gen.3, 19)
Effectivement, on peut y penser - mais également pour l'inhumation puisque du corps inhumé ne restera pas plus que de la poussière, c'est le cercle de la vie.
Il me semble important de méditer ce que l'apôtre Paul écrit dans sa première épître aux Corinthiens, au XVe chapitre... ce n'est pas ce corps-ci qui ressuscitera.

Si pour moi-même je préfère l'inhumation (le jour venu), ce n'est pas pour des raisons théologiques.

Anonyme a dit…

Ne pas confondre poussières et cendres . MADO

dominique de terminale a dit…

Ce débat fait avancer la réflexion...

Comme dit René Char :
L'intensité est silencieuse. Son image ne l'est pas. (j'aime qui m'éblouit puis accentue l'obscur à l'intérieur de moi)