dimanche 12 octobre 2008

La fin des normes ?

Blandine a un copain ; ça dure depuis des années, ils vont bientôt s'installer ensemble. Se marier ? Je ne m'y sens pas prête, dit-elle. J'ai très envie d'avoir des enfants. Le mariage, peut-être plus tard...

Blandine est chrétienne, elle a même fait partie des piliers de l'aumônerie quand elle était au collège, puis au lycée. Cela ne fait pas d'elle, comme vous le voyez, une conformiste. Au fond, comme à peu-près tout le monde, la règle essentielle de son comportement, c'est son propre jugement, et ce qui lui semble être bien pour elle. Comme elle a un conjoint, elle sait évidemment qu'il lui faut faire des compromis, et elle y est tout-à-fait disposée, comme elle le fait sans doute dans sa vie professionnelle. Mais ce qui lui paraît intolérable, c'est qu'une institution extérieure - l'Eglise, la société, que sais-je - prétende lui dicter ce qu'elle doit faire, surtout pour une chose aussi importante et aussi personnelle que sa vie affective.

Cela veut-il dire que toute norme va disparaître ? Je me souviens, il y a quelques années (plus de vingt ans en fait), d'une conférence de Paul Ricoeur, au cours de laquelle il avait énoncé ce qui est devenu une définition classique de la vie morale : "Vivre bien, avec et pour l'autre, dans des institutions justes". Nous savons vivre bien, c'est-à-dire en fonction de ce qui est bien pour nous ; nous savons vivre avec et pour l'autre : faire des compromis, consentir à des lois dans la mesure où elles nous permettent de vivre ensemble, et faire preuve de générosité. Ce qui nous pose problème, ce sont les institutions, c'est-à-dire ces normes extérieures à nous-mêmes dont nous ne comprenons plus la nécessité.

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Le conjoint n'est peut-être pas chrétien . MADO

Anonyme a dit…

Ce n'est sûrement pas la "fin des normes", puisque je suis persuadée que le genre humain ne peut pas vivre sans normes pour le guider. Sans que ces normes soient extrêmement strictes, mais même une ligne de conduite est nécessaire pour savoir où nous allons.
On ne comprend peut-être pas la nécessité des normes extérieures à un certain moment de notre vie, et après on comprend mieux. Enfin, c'est mon avis :)

Anonyme a dit…

Les normes des institutions sont les normes des groupes. A une époque où on naissait parmi les vignerons catholiques bordelais et qu'on mourait parmi les vignerons catholiques bordelais, on pouvait vivre sa vie en fonction des normes et des valeurs du groupe social auquel on appartenait (là bingo pour celui qui trouve).

La liberté individuelle, la mobilité sociale, l'éducation... tout ça fait que l'individu change de groupe et d'encadrement normatif. Petit à petit ça entraîne un certain relativisme et donc un affaiblissement de la "norme"

Anonyme a dit…

Il y a tellement de normes que pour se sentir libre on se crée des illusions...

Anonyme a dit…

L'illusion est de penser que critiquer ou refuser la norme équivaut à la rejeter, à s'en libérer, à la "dépasser"... et ainsi de s'imaginer "libre", mais on y est toujours assujetti même en se situant contre...

Anonyme a dit…

la norme dont vous parlez dans votre exemple est sans doute le mariage pour Blandine qu'elle ne souhaite pas pour l'instant comme beaucoup de jeunes et j'ai quelque peu le sentiment que vous lui jetez légérement la pierre ....heureusement qu'elle ne fait plus d'aumônerie car elle serait un mauvais exemple pour les jeunes qu'elle encadre il me semble avoir compris un peu celà lors de discutions avec d'autres prêtres ces dernières années!!! oui chacun fait comme il veut mais fait-elle vraiment du mal ? elle choisira peut être d'avoir des enfants avant de se marier et vous ne refuserez pas de baptiser ses enfants enfin je suppose ? OUI chacun fait comme il veut et les prêtres font aussi à leur façon !!!! alors ne trouvez pas bizarre que chacun face sa cuisine comme il aime !!!!

Emmanuel Pic a dit…

Loin de moi l'idée de jeter la pierre à Blandine ! Mais est-ce qu'on n'a plus le droit de discuter les choix de quelqu'un ? Evidemment ses enfants seront baptisés si elle les présente...

Son histoire est surtout l'occasion de poser la question de la pertinence des institutions, c'est-à-dire du troisième pilier de la morale au sens où en parle Ricoeur : Blandine envisage le mariage de son propre point de vue, elle tiendra compte pour cela des désirs de son compagnon, mais elle n'est pas prête à ce que la société intervienne dans ce choix car elle estime que cela ne concerne qu'elle et son ami.

Je pense simplement que le mariage, et la vie de famille en général, est quelque chose qui ne concerne pas que ceux qui se marient. C'est d'ailleurs comme cela que l'entend le droit français, puisqu'il en fait une institution, et pas simplement un contrat dans lequel les deux parties peuvent mettre ce qu'elles veulent. Il en est de même par exemple du droit du travail : on ne peut pas faire faire n'importe quoi à quelqu'un sous prétexte qu'il est d'accord.

Dans ces deux exemples, la difficulté vient du rapport à l'institution : on est de plus en plus réticent à ce que quelqu'un d'extérieur intervienne dans un domaine considéré comme absolument privé.

Anonyme a dit…

On a de plus en plus l'impression que la société évolue vers une méfiance généralisée:chacun détient la science infuse.
Cette jeune Blandine,si elle ne se marie pas,aura à affronter un jour un médecin,un enseignant,qui interviendront bien entendu dans sa sphère privée.
Vivre bien en société,n'est-ce pas se dire que les autres peuvent avoir raison pour nous et émettre un avis sans empiéter sur nos libertés?

Barbara a dit…

La désaffection à l'égard du mariage est un des effets du mauvais usage que nous faisons de "termes slogans" tels que "liberté", "privé","autonomie", "lois", "morale". De là, la distinction que nous opérons entre affaire publique et affaire privée. Autant de termes mal compris. On retient que l'autonomie est le fondement de la moralité (Sittlichkeit), et une manifestation de la liberté de l'homme comme être raisonnable. Nous oublions trop volontiers que l'autonomie est l'agir inconditionnel par pur devoir et sans considération de but ou d'inclination, c'est-à-dire l'"aptitude de la maxime de toute bonne volonté à s'ériger en loi universelle(...), sans faire intervenir comme principe un mobile ou un intérêt sensible quelconque". (cf: Fondements de la métaphysique des Moeurs, Kant). Or, ce qui aujourd'hui est mis en avant dans le mariage, c'est précisément la dimension sensible et affective(le "penchant" dirait Kant). Cette montée de l'affectif entraîne une vision du couple comme étant au service d'un bien être subjectif plutôt que comme le lieu où se tissent des liens réels et objectif, sources de communauté et de sociabilité. La définition contractuelle comme validation sociale d'un affect, prend le pas sur la définition insitutionnelle. Le risque est alors celui de l'indifférenciation: là où chacun avait sa place (génération, sexe, épousable ou non), la famille devient une sorte de "nébuleuse de relations affectives" (X. Lacroix). Mais alors,le mariage, loin d'être une option héritée d'un passé mystique, n'est pas non plus source d'une axiologie ex nihilo. Il repose par exemple sur le simple fait que pour un enfant, il est beaucoup plus libérant de sentir que le lien entre ses parents repose non sur l'attachement qu'ils lui portent, mais sur une parole d'alliance, sur un engagement entre eux deux, d'abord et avant tout; avant l'enfant surtout.
L'institution du mariage, loin d'être une "prison ringarde", n'est-elle pas au contraire une marque de réalisme acceptant d'allier l'amour et le droit? Consentir à l'institution c'est reconnaître que les amoureux ne sont pas "seuls au monde" et les uniques acteurs de leur lien, c'est peut être aussi davantage consentir à l'affectivité que de vouloir lui offrir un cadre, reconnaissant par là la fragilité du sentiment, sa vulnérabilité intrinsèque. C'est alors s'opposer à une certaine naïveté ou à un romantisme primaire qui voudrait croire à la seule vérité de la passion brûlante. Ce n'est sans doute pas douter de l'amour que de lui reconnaître une dimension institutionnelle fondamentale, c'est-à-dire porteuse d'obligations préexistantes au pacte (cf. Articles 212, 213, 215, Code civil.)Interpersonnel et intime, l'alliance conjugale doit avoir une existence sociale effective, car prendre conscience du son caractère culturel et institué du mariage, c'est être appelé à une résponsabilité (à res-pondere "répondre de", de l'autre en l'occurence)quant aux médiations par lesquelles justement est signifié son prix. Répondre de, n'est-ce pas cela entrer dans une démarche éthique et quitter l'insignifiance?

Emmanuel Pic a dit…

Redoutable Barbara
Avec vous le mariage n'aura rien d'une prison, intime ou non...
Quel honneur de voir convoqués Emmanuel Kant et Xavier Lacroix pour appuyer un modeste billet !
Merci pour cette intelligente contribution.

Anonyme a dit…

Il y a une dimension que je trouve souvent oubliée quand on parle de l'évolution du couple.

C'est le progrès: la contraception.

Le mariage chrétien est le dessein de Dieu sur l'homme. (sauf appel particulier). donc il colle exactement à la "loi naturelle" si on est en "harmonie" avec elle.
Et donc, avant, le mariage de deux personnes peu ou pas croyantes ressemblait toujours au mariage chrétien, sur le plan naturel.
A part la liberté, qui est un combat chrétien, l'accueil des enfants ne posait pas question, donc la femme ne pouvait pas être indépendante, avec 10 enfants sur les bras, d'où l'indissolubilité allait un peu de soi, et, à moins d'admettre la polygamie, la fidélité allait avec, car sinon, on prenait des risques -que ça se sache, si on avait un enfant d'un/e autre, de se faire répudier, etc.
Et surtout, la chasteté pendant les fiançailles était admise pour des raisons pratiques évidentes. Donc, en gros, quand une jeune fille quittait la maison de ses parents, elle savait que c'était pour la vie, pour avoir des enfants, dans la fidélité, et elle réfléchissait à deux fois.
Elle n'avait pas besoin que le prêtre lui fasse signer ces trois points: le mariage était valide automatiquement. (les cas de nullité tenaient à la liberté).

Aujourd'hui, du simple fait de la contraception, si on n'a pas reçu une très solide éducation chrétienne, on se retrouve à "avoir des expériences" dès 14 ans, donc l'indissolubilité n'a plus de sens; l'accueil des enfants n'est plus de fait. et la fidélité, bel idéal au début, s'érode au bout d'un certain nombre de partenaires.

En fait, bien plus que le mariage chrétien, il me semble que c'est le mariage naturel qui n'est plus un automatisme.
On est plutôt en train de fabriquer une néo-polygamie, où l'on jette les femmes l'une après l'autre sans s'en occuper, mais elles ne s'en soucient pas forcément non plus, puisqu'elles ne sont pas toujours encombrées d'enfants, qu'elles ont "jetés" également.
-légalement, même. ce qui rejoint du même coup les sacrifices humains archaïques eux aussi.-

C'est un terrible retour en arrière, ...dû au progrès.

ça montre aussi que la Foi n'était pas si bien accrochée que ça dans nos populations chrétiennes puisque si un commandement ne nous est plus utile de façon pratique, on le délaisse très vite. D'où le nombre de parents dits chrétiens qui s'enflamment contre le Pape parce qu'il est contre la pilule pour leur fillette. Ils auraient paru très catholiques, avec un discours moralisateur très papiste, à l'époque où la pilule n'existait pas et où la morale la remplaçait. Mais quelle place pour Jésus y avait-il dans ces projets de vie?

Toutes ces épreuves ne tendraient-elles pas, elles aussi, à éprouver la valeur de notre foi?